Retour sur les élections en ligne en Arizona – Régis Jamin, Election.com

« Les 200 tentatives de piratage des élections en Arizona ont toutes échoué ».

Les primaires aux États Unis, dans l’État de l’Arizona ont été l’occasion d’une grande première en matière d’élection. Le parti démocrate avait en effet décidé de tenter l’expérience du vote en ligne. Les électeurs démocrates pouvaient ainsi voter de chez eux pour choisir leur candidat. L’expérience a été un succès et les taux d’abstention ont littéralement fondu. Selon election.com, la société organisatrice de l’événement, le nombre de votants a été multiplié par sept par rapport aux dernières élections dans cet Etat.
Cette société vient de s’implanter en Europe. Toutefois, son activité ne se limite pas aux élections politiques, mais à tous les types d’élections (associations, syndicats, conseils d’administration), en ligne ou non.
L’occasion de revenir, avec Régis Jamin, vice-Président Europe, Moyen-Orient et Afrique d’election.com, sur cette expérience mais surtout de voir comment elle pourrait être applicable en Europe. Avec un challenge de taille puisque l’Europe concernait, aux dernières élections européennes de 1999, 270 millions d’électeurs !

Le site français d’election.com : http://www.election.com/fr/index.htm

Ces élections en Arizona, posent immédiatement la question du fossé numérique. Les personnes pouvant voter en ligne ont plus voté que si elles n’avaient pas bénéficié de cette technologie. Or, quid de ceux qui ne possèdent pas d’ordinateur ? N’y a-t-il pas un danger de créer un vote riche et un vote pauvre ?

Pour l’Arizona, un jugement nous a donné raison et nous avons pu installer des terminaux internet dans tous les bureaux de vote. Mais nous en avons également ouverts dans les lieux publics où il y avait de l’Internet. Finalement nous avons doublé le nombre de bureaux de vote, qui est passé de 60 à 120, pour donner à tous la possibilité de voter en ligne, que ce soit de chez eux ou non.

D’autre part, la question du fossé numérique se pose différemment aux États-Unis et en Europe. Aux US le fossé se situe entre plus et moins aisés. En France il se trouve plutôt entre jeunes et vieux…Il est donc important de relativiser la notion de fossé numérique en fonction des différentes cultures. De plus, n’oublions pas que les taux d’équipements progressent constamment de façon phénoménale. Aujourd’hui, on ne parle plus de fossé télévision et d’ici 3 ans, il y aura deux à trois fois plus d’accès Internet par téléphone que de PC. Donc, si la problématique existe aujourd’hui, elle aura disparu en 2004.
Toutefois, nous travaillons aussi à résoudre ce problème dès à présent. c’est pour cela que nous lançons le « Youth e-vote », en octobre prochain, aux États-Unis, dont l’objectif est de faire voter 55 millions d’écoliers. Il ne s’agit pas simplement de faire un cours d’information civique, mais également de réduire le fossé technologique entre les écoles, en sponsorisant l’équipement des écoles les plus défavorisées. Et nous espérons pouvoir développer ce type de projet en Europe.

L’autre question qui inquiète beaucoup est celle de la sécurité. Les votes sont ils sécurisés, les résultats sûrs… ?

Pour les primaires en Arizona, nous avons essuyé 200 tentatives de piratage. Toutes ont échoué.
De plus tous les calculs de votes sont faits par des processus de chiffrement inviolable. C’est un système basé sur des code pin à 10 caractères et une clé de chiffrement de 128 bits. Aujourd’hui, il n’existe pas d’ordinateur capable de casser ces clés. Le système de sécurité est complètement sûr et les résultats sont directement centralisés sur un serveur central.

Autre problème qui se pose en France par rapport à cette expérience de l’Arizona : l’organisation d’élections publiques, non par l’Etat, mais par une société privée.

Là encore, il y a une grande différence de culture entre les pays anglo-saxons, où la notion d’outsourcing est parfaitement intégrée et la France. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les élections, notamment syndicales, sont beaucoup plus nombreuses et obligatoires. Dans un pays aussi vaste que les États-Unis par exemple, la méthode de vote par le papier et gérée par des bénévoles est inconcevable. Les risques d’erreur sont beaucoup trop grands. Le comptage automatique des bulletins de vote est monnaie courante depuis longtemps là bas et si les élections se professionnalisent, c’est également que les États voient l’intérêt de travailler avec des sociétés qui n’ont pas de parti pris dans les élections.
Dans les pays plus latins, nous espérons voir l’out sourcing se développer avec une plus grande consultation des électeurs. Et pour ce qui est de l’Europe, il devient urgent pour la démocratie de réagir à la crise de représentativité qu’engendre la baisse catastrophique de la participation,
De plus, il existe dans chaque pays des besoins de plus en plus nombreux de consultation des citoyens : référendums, votations.

Justement, nous sommes, en France, en plein débat sur le quinquennat. L’un des problèmes soulevé concerne le coût de l’organisation du référendum. Combien coûterait une telle consultation si elle était faite en ligne.

En moyenne un élection nationale coûte 1 milliard de francs pour 40 millions d’électeurs. Si l’on enlève de ce montant les sommes allouées pour les campagnes électorales, cela représente un coût de 600 à 800 millions de francs. Soit un coût par électeur de 20 francs. Un vote par l’Internet coûte 5 francs par électeur.
Si on adoptait le vote en ligne, outre la réduction des risques de fraude électorale et la baisse de l’abstention cela ferait également baisser les coûts et accroître la démocratie puisqu’il serait plus simple de multiplier les consultations. Libre à nous de moderniser notre système…
Mais l’Internet permet aussi d’améliorer la qualité des choix : nous souhaitons que les citoyens qui viennent voter soient également mieux informés. Et pour cela, Internet est un outil formidable. En Arizona, les électeurs ont pu trouver sur Internet un choix d’informations sans égal, faire leur propre revue de presse. Ils peuvent surfer pendant deux heures s’ils le souhaitent avant de voter. Il est beaucoup moins facile de se faire une opinion dans un isoloir, avec à sa disposition uniquement les déclarations d’intentions des différents candidats.

L’isoloir. Encore un obstacle au vote en ligne. Car comment s’assurer que la personne qui vote en ligne de chez elle n’est pas influencée par un tiers ?

Une fois encore, ce débat ne revient qu’en France. La question de l’isoloir ne se pose pas en Scandinavie, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Suisse…
Et pour une raison très simple : ces pays ont déjà mis en place le vote par correspondance. Et on s’est rendu compte que le libre arbitre était souvent plus grand grâce au vote par correspondance qu’au vote dans l’isoloir. En Suisse, il y avait un parti très militant qui avait des résultats aux élections parce qu’ils allaient, entre autres, chercher les personnes âgées pour les faire voter et de préférence pour eux. Depuis la mise en place du vote par correspondance, ce parti a presque disparu. Et aujourd’hui, en Suisse, seuls 5 % des électeurs se rendent dans les bureaux de vote.
Il ne faut pas être hypocrite sur le pouvoir symbolique de l’isoloir. Ce n’est pas parce qu’on s’enferme deux minutes dans un isoloir qu’on a son libre-arbitre. On l’a peut être plus quand on est tranquille chez soi et que l’on prend le temps de s’informer avant de choisir. Et Internet ou pas, il y aura toujours des gens sous influence.

Aux Etats-Unis, les électeurs peuvent désormais s’incrire sur les listes électorales via l’Internet ?

C’est aux États-Unis un phénomène important : 30 % des électeurs ne sont pas enregistrés et donc ne votent pas. Ce qui sur la population d’un pays comme celui-là représente un nombre très important de personnes. Aux dernières élections présidentielles, seul un électeur sur 4 avait réellement élu le président. Les autres n’étaient tout simplement pas inscrits ! Faciliter la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales grâce à l’Internet était donc très important.
En Europe, le grand challenge est, grâce à l’internet, de parvenir à intéresser les électeurs aux élections européennes et des les amener à voter. (270 millions d’électeurs en 1999 – ndlr)
Or aujourd’hui, il n’existe pas de système capable d’organiser une élection touchant plusieurs centaines de millions d’électeurs…D’où l’intérêt du vote en ligne, qui permet non seulement de faire voter plus de gens mais aussi de limiter les fraudes.

Enfin, projetons nous dans l’avenir. Comment vous voyez-vous voter dans cinq ans ?

Le scénario idéal ? Je recevrai, sur mon portable, un message qui me rappelle que nous sommes dimanche et qu’il faut voter. En surfant, j’ai accès non seulement à la liste des candidats mais également à leurs sites. Ce qui me permet de me faire mon opinion, tranquillement. Je peux même me rendre dans un cybercafé et voter sur place, en utilisant ma signature électronique. Évidemment, je pourrai voter directement depuis mon téléphone portable.
Je recevrai ensuite un récépissé m’indiquant que mon vote a bien été pris en compte et me remerciant.
Et cette nouvelle approche du vote aura permis de faire passer la participation à un taux de 70 ou 80 %.

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