(Très) hauts débits au Japon : 25 Mégabits d’avance…

En deux ans, 25 % des foyers japonais se sont connectés au haut débit. Le Japon, qui faisait naguère figure de retardataire dans le paysage de l’internet « fixe », a visiblement sauté une étape. La majorité des internautes japonais n’a même jamais connu le bas débit.
Autre sujet d’étonnement : la « gamme » des hauts débits résidentiels s’échelonne, pour l’ADSL (80 % du marché), entre… 8 et 26 Mb/s, contre 128 Kb/s à 1Mb/s presque partout en Europe, et ce, à des tarifs équivalents ! Par ailleurs, la fibre optique à domicile connaît un développement très rapide, sans toutefois dépasser 6 % du marché.
Y a-t-il un « miracle japonais » dans les hauts débits ? Plutôt la combinaison d’une structure urbaine très dense qui facilite la rentabilisation des infrastructures, d’une dérégulation réussie, d’un désir collectif et enfin, de la volonté de quelques entreprises, Yahoo! Broadband en tête, d’anticiper l’ère de la « convergence » entre internet, téléphonie et télévision. Les premières offres associant les trois services émergent aujourd’hui.
Pourtant au Japon comme ailleurs, le « miracle » ne s’étend pas tout seul jusqu’aux campagnes. Au pays du haut-débit levant, les collectivités territoriales se heurtent à des difficultés et expriment des demandes qui rappellent furieusement celles que l’on rencontre sous nos longitudes.
Description du paysage des hauts débits au Japon.

Par Daniel Kaplan

Cette note d’information résulte d’un voyage effectué au Japon du 27 août au 2 septembre 2003, à l’invitation du Center for Global Communications (Glocom) et du Hypernetwork Society Institute de la Préfecture d’Oita (Kyushu).
Elle ne prétend pas rendre compte de manière exhaustive de la situation japonaise. Cependant, elle permet de prendre la mesure du dynamisme dont fait preuve le Japon, comme la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taiwan, dans le déploiement des infrastructures et l’invention des usages de demain.

Un quart des foyers connectés à haut débit ! En août 2003 (source : Adam Peake, Glocom), 11,8 millions de foyers (25,2 % des ménages japonais) étaient connectés à l’internet à haut, voire à « très » (26 à 100 Mb/s) haut débit. 8,88 millions de Japonais utilisaient l’ADSL, 2,3 millions le câble et 608 000 accédaient au travers d’une fibre optique raccordée soit à leur domicile, soit à leur immeuble.

La croissance la plus forte en chiffre absolus est celle de l’ADSL (300 000 à 450 000 nouveaux abonnés par mois). En rythme en revanche, la fibre se développe beaucoup plus rapidement : + 60 000 abonnés en juin 2003, + 77 000 en août (+ 14 % par mois !). La croissance du câble est en revanche très faible.

En ce qui concerne l’internet « fixe », le Japon est ainsi passé en deux ans du statut de lanterne rouge des pays développés à celui de leader mondial de l’internet haut débit (en chiffres absolus – la pénétration reste, elle, inférieure à celle de plusieurs pays dont la Corée). La majorité des internautes japonais n’est pas passée par l’étape du bas débit.

L’ADSL : une offre extrêmement avancée et peu coûteuse Comme le mobile, l’internet à haut débit est aujourd’hui commercialisé comme un produit très grand public : publicités criardes, marketing direct, affichettes dans les boutiques d’électronique, stands dans la rue (avec distribution de serviettes humidifiées et d’éventails)… Le leader, Yahoo ! Broadband (qui n’est pas une filiale de Yahoo !, mais de Softbank), a même ouvert quelques boutiques spécialisées.

L’offre ADSL se différencie de celle que nous connaissons en Europe par deux facteurs : son débit infiniment plus élevé (8 à 26 Mb/s en réception, 900 Kb/s à 1 Mb/s en émission) et son prix beaucoup plus bas. Des offres à 40 Mb/s seraient en préparation.

Quelques tarifs ADSL

Tous tarifs HT

Yahoo ! BroadBand

NTT / OCN

8 Mb/s

12 Mb/s

26 Mb/s

12 Mb/s

Ligne ADSL « seule »

7,92 €

9,52 €

11,12 €

21,60 €

Abonnement internet

10,32 €

10,32 €

10,32 €

15,60 €

Partage de la ligne ADSL (filtrage)

1,41 €

1,41 €

1,41 €

0,48 €

Location du modem

5,52 €

7,12 €

7,92 €

6,96 €

TOTAL MENSUEL (HT)

25,17 €

28,37 €

30,77 €

44,64 €

Option : partage en réseau

7,92 €

7,92 €

7,92 €

 ? ?

Option : téléphonie IP

– Abonnement

0,00 €

0,00 €

0,00 €

3,04 €

– Mn téléphonie nationale

0,02 €

0,02 €

0,02 €

0,02/0,07 €

Une demie-douzaine d’acteurs proposent des abonnements ADSL, le bas de gamme commençant toujours à 8 Mb/s. Yahoo ! BB est de loin le leader avec plus de 3 millions de clients (un tiers du marché) : à l’aide d’un marketing extrêmement agressif, cette entreprise a véritablement « lancé » le marché. Revers de la médaille, certains s’interrogent sur sa capacité à amortir un coût d’acquisition avoisinant les 200 € par client.

Outre un débit très élevé, les opérateurs ADSL, Yahoo ! BB en tête, proposent désormais tous un service de téléphonie IP à prix cassé (gratuit entre postes internet, peu coûteux vers des postes ordinaires). Trois des quatre grands fournisseurs d’accès ADSL viennent même de se mettre d’accord pour accepter gratuitement les appels téléphoniques IP provenant de leurs abonnés respectifs.

Dans ses boutiques, où l’on peut également se faire conseiller et acheter PC, câbles, filtres, logiciels, routeurs, etc., Yahoo ! BB propose même un téléphone-fax IP (avec combiné sans fil). Yahoo ! Broadband commercialise également un bouquet de chaînes de télévision, ce qui répond à une demande significative dans un pays où le câble est aussi peu développé qu’en France, où le nombre de chaînes hertziennes reste faible et où les conditions d’habitat ne permettent pas toujours de disposer d’une antenne parabolique.

Le téléphone ADSL de Yahoo ! Broadband

Selon nos sources, les tarifs pratiqués par les opérateurs ADSL seraient suffisants pour équilibrer leurs comptes, hors coûts marketing en tout cas. Pourquoi les tarifs d’accès ADSL sont-ils si bas ? Il semblerait que lors du démembrement de l’opérateur historique NTT [1] , les coûts aient pour l’essentiel été affectés aux communications vocales, ce qui autorise (ou contraint) NTT à pratiquer des tarifs de dégroupage extrêmement bas. Il est probable que la très grande densité des villes (faible distance des commutateurs aux abonnés) joue également un rôle, ainsi bien sûr que la concurrence.

La fibre au domicile : une croissance très rapide Trois catégories d’opérateurs proposent de raccorder immeubles et/ou appartements à la fibre optique, dans la plupart des villes du Japon : NTT (qui a reçu à cette fin des financements publics importants), USEN et les compagnies locales d’électricité. Chacune construit pour l’essentiel son propre réseau, même si les concurrents de NTT ont parfois recours à des fibres de l’opérateur historique. Dans les zones denses, il n’est donc pas rare d’avoir un choix d’opérateurs d’accès par la fibre.

L’offre est très compétitive, mais complexe. Pour un tarif allant de 29 à 48 € HT/mois, l’utilisateur peut disposer en principe de 10 à 100 Mb/s à domicile. Les différences de prix ne sont cependant pas seulement liées au débit. Elles tiennent :
Au quartier, en fonction de la plus ou moins grande difficulté de tirer de la fibre ; Au débit individuel, ainsi qu’au niveau à partir duquel celui-ci est partagé : l’immeuble, le pâté de maison, le quartier – plus ce niveau est lointain, plus le débit a des chances d’être régulier. Certaines offres de connexion « fibre » connectent en réalité l’immeuble, le trafic étant ensuite acheminé via un réseau Ethernet classique sur des fils de cuivre ; A la mise à disposition d’une adresse IP fixe ou variable, etc. Au tarif de la fibre, il faut ajouter celui d’un fournisseur d’accès internet. Selon les opérateurs, le raccordement permet, ou non, d’obtenir une adresse IP (il n’est donc pas indispensable d’utiliser les services d’un FAI, sauf éventuellement pour disposer d’une adresse e-mail).

Une mobilisation des collectivités territoriales Malgré cette situation apparemment favorable, les collectivités locales, « Préfectures » (régions) et municipalités, se mobilisent également pour accélérer l’arrivée du haut débit chez elles et en généraliser l’accès sur leur territoire. Comme ailleurs en effet, les opérateurs donnent la priorité aux zones urbaines denses et solvables et vont pas spontanément « chercher » des territoires moins attractifs.

Un grand nombre de régions ont mis en place des infrastructures qui relient les édifices publics, écoles et hôpitaux compris. Elles ne sont pas aujourd’hui autorisées à ouvrir ce réseaux aux clients privés. En revanche, certaines louent des fibres noires à des opérateurs qui le leur demandent. Plusieurs villes construisent également leur réseau afin de le faire exploiter par des opérateurs.

Une prochaine modification du Japan Telecom Act, la loi japonaise de réglementation des télécoms, devrait supprimer la différence entre « opérateur d’opérateur » et opérateur de services, ainsi que toute licence préalable. Les collectivités pourront donc choisir d’être opératrices ou de recourir à d’autres dispositifs, par exemple, confier l’exploitation du réseau local à un gestionnaire d’infrastructure chargé de trouver des fournisseurs d’accès et de services concurrents intéressés par cette zone de chalandise. Le modèle se rapprocherait ainsi fortement de celui qu’expérimentent plusieurs collectivités suédoises. Mais d’autres municipalités telles que Tsukumi (préfecture d’Oita) ont annoncé leur intention de devenir elles-mêmes fournisseurs d’accès à l’internet.

*
* *

Pour en savoir plus
« Japon : une génération Internet d’avance », dossier du Journal du Net réalisé en collaboration avec Jap’Presse : http://www.journaldunet.com/dossiers/pays/japon/ Le site de Glocom, http://www.glocom.ac.jp, contient plusieurs articles d’analyse. Yahoo ! Broadband (en japonais, mais très illustratif du marketing des hauts débits au Japon) : http://www.softbankbb.co.jp/index.html La situation en Corée du Sud est très proche de la situation japonaise : voir les articles d’Adam Peake, Residential Broadband in the United Kingdom : Observations from South Korea and Japan : http://www.glocom.ac.jp/odp/library/75_01/
(version PDF : http://www.glocom.ac.jp/odp/library/75_01.pdf) Note :
[1] Découpé en deux entreprises de téléphonie locale, NTT East et NTT West, qui se partagent le territoire, et une entreprise spécialisée dans l’interurbain, NTT Communications. Des liens capitalistiques relient cependant encore ces entités. Les deux opérateurs locaux n’ont pas le droit de proposer de l’accès internet, y compris au travers d’une filiale. [retour au texte]

À lire aussi sur internetactu.net