Le Sommet mondial de la société de l’information ouvre une nouvelle vision dans la gouvernance de l’internet

Louis Pouzin, pionnier du monde des réseaux (il a conçu et réalisé le réseau Cyclades), consultant indépendant et fondateur de l’association Eurolinc France, créée pour la promotion du multi-linguisme dans l’internet, nous propose d’observer avec attention les deux textes qui ont été adoptés au cours du Sommet mondial de la société de l’information : la déclaration de principe et le plan d’action. L’occasion pour lui de rappeler que le champ est libre pour promouvoir la gouvernance de l’internet par des développements innovants dans un cadre national, mais aussi multi-latéral, par accord avec ses voisins. « En clair, c’est aux Etats, ou au secteur privé, d’en prendre l’initiative. Pour une fois, il n’y a rien attendre des Etats-Unis dans ce domaine. »

La gouvernance de l’internet n’excite pas les Français, donc pas non plus les médias français. C’est pourtant l’un des quelques sujets chauds débattus depuis neufs mois au cours de la préparation du Sommet mondial de la société de l’information (Smsi). Mais, qui a entendu parler du Smsi ?

Le Sommet mondial de la société de l’information se tenait à Genève du 10 au 12 décembre 2003. C’est la première fois qu’un sommet mondial est axé uniquement sur les TIC (technologies de l’information et des communications). Et c’est aussi la première fois qu’un sommet mondial a invité la société civile participer aux débats.

Deux textes devraient être adoptés au cours de cette manifestation : une déclaration de principes et un plan d’action. Ces deux documents sont disponibles en-ligne :
La déclaration de principe : http://www.itu.int/dms_pub/itu-s/md/03/wsispc3/td/030915/
S03-WSISPC3-030915-TD-GEN-0006!R3!MSW-E.doc

Le plan d’action : http://www.itu.int/dms_pub/itu-s/md/03/wsispc3/td/030915/
S03-WSISPC3-030915-TD-GEN-0005!R3!MSW-E.doc

Mon intérêt principal étant l’internet, j’ai extrait les passages relevant de sa gouvernance, c’est-à-dire du contrôle et de la gestion.

Comme il est de coutume dans ces déclarations solennelles, les mots sont tellement discutés et pesés qu’ils peuvent paraître ésotériques ou simplement creux. En réalité, ils reflètent un laborieux compromis entre les pays les plus développés et les autres.

Les gouvernements des pays les plus développés soutiennent le statu quo, c’est-à-dire un état de fait où les Etats-Unis contrôlent sans partage le fonctionnement de l’internet, les ressources communes (adresses IP et noms de domaine), et les standards techniques.

Les gouvernements des autres pays sont excédés de ce monopole où ils n’ont aucun pouvoir de décision, et sont bien décidés y mettre un terme.

L’Union Européenne, représentée par l’Italie, est alignée sur les positions des Etats-Unis. La France n’est pas de cet avis, mais n’a pas réussi faire évoluer les positions des autres européens.

Le compromis du sommet consiste à créer un groupe de travail, formé dans le cadre des Nations Unies, pour étudier en commun (gouvernements, secteur privé et société civile) et dégager des propositions pour la gouvernance de l’internet. Ce groupe remettra ses conclusions en 2005, lors de la phase 2 du Smsi.

Il n’y aura donc pas d’annonce de décision impliquant des changements radicaux à court terme. En revanche, les documents (déclaration de principes et plan d’action) ouvrent un champ nouveau, immédiat, et plus large qu’il n’y parait, des initiatives nationales, ou multi-nationales. Par exemple :

a) Le pouvoir de décision en ce qui concerne les questions de politique publique liées à l’internet, de portée nationale, est le droit souverain des Etats. Ils ont des droits et des responsabilités en ce qui concerne les questions de politique publique liées à l’internet, qui ont une portée internationale ;

Reste à définir ces politiques concernant le public. Pour commencer, un droit national de l’internet ; la protection des mineurs, la délation, les droits d’auteur, la protection des consommateurs, l’anonymat…

c) Les gouvernements sont invités :

i) à créer des centres d’échange internet nationaux et régionaux ;

ii) à superviser, selon qu’il sera nécessaire, leurs noms de domaine de premier niveau correspondant à des codes de pays (ccTLD) respectifs ;

d) En coopération avec les parties prenantes concernées, promouvoir l’établissement de serveurs racine régionaux et l’utilisation de noms de domaine internationalisés pour surmonter les obstacles à l’accès.

C’est donc de l’autorité nationale que relèvent le nom de ccTLD (comme le .fr), ainsi que les noms de domaine qu’il contient. D’où la possibilité de créer des noms en langues nationales, ainsi que des noms locaux, associés à des services de proximité.

La mise en place d’annuaires (racines) nationaux, régionaux, locaux, est précisément l’outil nécessaire pour supporter commodément des services de proximité conçus pour une clientèle locale, dans sa propre langue.

En clair, le champ est libre pour des développements innovants dans un cadre national, mais aussi multi-latéral, par accord avec ses voisins. En clair aussi, c’est aux Etats, ou au secteur privé, d’en prendre l’initiative. Pour une fois, il n’y a rien attendre des Etats-Unis dans ce domaine.

Il me semble qu’il y a un besoin de « décoder » le sommet pour le public, et d’en faire apparaître les aspects positifs, plutôt que d’en fustiger les invitables insuffisances.

Louis Pouzin

Louis Pouzin, consultant indépendant, est un pionnier du monde des réseaux. Il a conçu et réalisé le réseau Cyclades, premier réseau utilisant la commutation de datagrammes, adoptée ensuite par l’internet. Il est un des fondateurs de l’association Eurolinc France (tél./fax : +33 147 551 451), créée pour la promotion du multi-linguisme dans l’internet.

Déclaration de principes (extraits)
Texte intégral : http://www.itu.int/dms_pub/itu-s/md/03/wsispc3/td/030915/
S03-WSISPC3-030915-TD-GEN-0006!R3!MSW-E.doc

48. L’internet est devenu une ressource publique mondiale et sa gouvernance devrait être un élément essentiel de la société de l’information. La gestion internationale de l’internet devrait s’exercer de façon multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales. Elle devrait assurer une répartition équitable des ressources, faciliter l’accès de tous et garantir le fonctionnement stable et sécurisé de l’Internet, dans le respect du multilinguisme.

49. La gestion de l’internet recouvre aussi bien des questions techniques que des questions de politique publique et devrait impliquer toutes les parties prenantes ainsi que les organisations intergouvernementales ou internationales concernées. A cet égard on reconnaît que :

a) le pouvoir de décision en ce qui concerne les questions de politique publique liées à l’Internet, de portée nationale, est le droit souverain des Etats. Ils ont des droits et des responsabilités en ce qui concerne les questions de politique publique liées à l’Internet, qui ont une portée internationale ;

b) le secteur privé a eu et devrait continuer à jouer un rôle important dans le développement de l’internet, dans les domaines tant techniques qu’économiques ;

c) La société civile a également joué un rôle important pour les questions liées à l’Internet, en particulier au niveau communautaire, et devrait continuer de jouer ce rôle ;

d) les organisations intergouvernementales ont eu et devraient continuer d’avoir un rôle de faciliteur dans la coordination des questions de politique publique liées à l’Internet ;

e) les organisations internationales ont eu elles aussi et devraient continuer d’avoir un rôle important dans l’élaboration de normes techniques et de politiques relatives à l’Internet.

50. Les problèmes internationaux liés à la gouvernance de l’internet devraient être traités de manière coordonnée. Nous demandons au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de créer un groupe de travail sur la gouvernance de l’internet, dans le cadre d’un processus ouvert et inclusif prévoyant un mécanisme garantissant la participation pleine et active des représentants des Etats, du secteur privé et de la société civile tant des pays développés que des pays en développement et faisant intervenir les organisations intergouvernementales et internationales ainsi que les forums pour d’ici à 2005 étudier la gouvernance de l’Internet et éventuellement formuler des propositions concernant les mesures à prendre.

Plan d’action (extraits)
Texte intégral : http://www.itu.int/dms_pub/itu-s/md/03/wsispc3/td/030915/
S03-WSISPC3-030915-TD-GEN-0005!R3!MSW-E.doc

C6. Créer un environnement propice
(…)
b) Nous demandons au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de créer un Groupe de travail du SMSI sur la gouvernance internet, dans le cadre d’un processus ouvert et inclusif faisant intervenir les organisations intergouvernementales et internationales ainsi que les forums concernés, le secteur privé et la société civile, pour, d’ici à 2005, étudier la gouvernance de l’internet et formuler des propositions concernant les mesures à prendre. La mission de ce Groupe consisterait notamment à :

i) élaborer une définition pratique de la gouvernance internet ;

ii) cerner les questions d’intérêt général qui se rapportent à la gouvernance internet ;

iii) élaborer une conception commune des sphères de responsabilité respectives des gouvernements, des organisations intergouvernementales, des organisations internationales et des autres forums existants, sur la base d’une analyse de leur capacité à traiter de façon efficace les responsabilités de gestion et les responsabilités juridiques ayant trait aux questions d’intérêt général relatives à l’internet ;

iv) élaborer un rapport sur les résultats de cette activité, rapport qui serait soumis pour examen et suite à donner à la seconde phase du SMSI (Tunis, 2005).

c) Les gouvernements sont invités :

i) à créer des centres d’échange Internet nationaux et régionaux ;

ii) à superviser, selon qu’il sera nécessaire, leurs noms de domaine de premier niveau correspondant à des codes de pays (ccTLD) respectifs ;

iii) à favoriser la sensibilisation à l’utilisation de l’internet.

d) En coopération avec les parties prenantes concernées, promouvoir l’établissement de serveurs racine régionaux et l’utilisation de noms de domaine internationalisés pour surmonter les obstacles à l’accès.

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