Serge Pouts-Lajus : des technologies éducatives et de leurs gourous

Suite aux conférences de James Paul Gee et Seymour Papert aux 2e Rencontres internationales du multimédia d’apprentissage, dont Jean-Michel Cornu vous faisait le compte rendu la semaine passée, Serge Pouts-Lajus, directeur de l’Observatoire des technologies pour l’éducation en Europe, revient avec causticité sur les propos radicaux des deux intervenants. Développer des logiciels d’apprentissage aussi captivants que le sont certains jeux vidéos pour certains enfants, pourquoi pas ? Mais alors, pourquoi n’y est-on pas parvenu plus tôt ? Serait-ce que jouer et apprendre ne sont pas (toujours) la même chose ? L’auteur nous invite à réfléchir : au-delà du désir partagé de voir évoluer l’enseignement, l’enthousiasme que soulève le discours des gourous des technologies éducatives résiste-t-il à une analyse plus poussée du sens de leurs propos, ou de l’efficacité de leurs remèdes ?

Par Serge Pouts-Lajus, , directeur de l’Observatoire pour les technologies en Europe.

Suite aux conférences de James Paul Gee et Seymour Papert aux 2e Rencontres internationales du multimédia d’apprentissage, dont Jean-Michel Cornu vous faisait le compte rendu la semaine passée, Serge Pouts-Lajus, directeur de l’Observatoire des technologies pour l’éducation en Europe, revient avec causticité sur les propos radicaux des deux intervenants. Développer des logiciels d’apprentissage aussi captivants que le sont certains jeux vidéos pour certains enfants, pourquoi pas ? Mais alors, pourquoi n’y est-on pas parvenu plus tôt ? Serait-ce que jouer et apprendre ne sont pas (toujours) la même chose ? L’auteur nous invite à réfléchir : au-delà du désir partagé de voir évoluer l’enseignement, l’enthousiasme que soulève le discours des gourous des technologies éducatives résiste-t-il à une analyse plus poussée du sens de leurs propos, ou de l’efficacité de leurs remèdes ?

Il y a beaucoup de similitudes entre les conférences de Gee et de Papert. Ils font tous les deux, implicitement pour Gee, explicitement pour Papert, une critique féroce et radicale de l’éducation et de ses méthodes. Par ailleurs, et c’est ce qui m’a le plus surpris à Québec, l’un et l’autre sont approuvés et applaudis sans réserve par les Nord-américains présents (du moins par ceux qui ont posé des questions et par d’autres avec qui je me suis entretenu) ; leurs propos ne suscitent de réserves qu’au sein de la petite colonie française présente aux Rima (2e Rencontres internationales du multimédia d’apprentissage). On ne se change pas… Pour ce qui me concerne, j’aurais tendance à être, à l’égard des analyses de Gee et de Papert, aussi radical qu’ils le sont eux-mêmes avec l’éducation.

Gee nous dit : les jeunes adorent les jeux vidéos. Première approximation. Admettons qu’un peu plus de la moitié des garçons aiment et pratiquent effectivement le jeu vidéo (je n’ai pas les chiffres sous la main mais je sais qu’ils existent : il n’est pourtant pas facile de dire que l’on n’aime pas les jeux vidéos quand on est un garçon de 11 ans…). Tout le monde sait que du côté des filles c’est beaucoup moins vrai. Les tentatives des éditeurs pour conquérir ce marché se sont soldées par des flops ; faites-leur confiance, ils ont mis le paquet sur les études et les développements. Je n’en tire aucune conclusion, sauf celle-ci : il ne faut pas dire, les jeunes mais une proportion importante (50 %, 60 % ?) des jeunes, sont attirés par les jeux vidéos. Nuance mais nuance importante.

Deuxième remarque. Gee nous dit : l’attrait des jeux vidéos s’explique par certaines de leur caractéristiques. Pas de problème avec ça. Il continue : l’éducation présente peu d’attrait pour les jeunes (Gee en donne quelques exemples mais s’il en manquait, il pourrait en trouver du côté de Papert). On ne peut qu’être d’accord. C’est la suite qui pose problème. Il dit : l’ingénierie de l’éducation devrait s’inspirer de celle des jeux vidéos pour réussir à captiver les jeunes. Et pourquoi cela ? Le raisonnement s’appliquerait aussi bien au gâteau au chocolat : les pédagogues devraient-ils donc chercher leur inspiration dans les pâtisseries ? Non, bien sûr. Si Gee défend l’analogie éducation-jeu vidéo, c’est à cause du jeu : il pense que jouer et apprendre c’est un peu la même chose. Il a raison s’agissant des chatons qui apprennent à chasser avec leur mère et des très jeunes enfants qui apprennent à marcher. Pour le reste, c’est un peu plus compliqué. D’ailleurs le rapport que chacun d’entre nous, quel que soit son âge et son sexe, entretient avec le jeu d’une part et l’apprentissage d’autre part devrait le conduire à se méfier de cette analogie. Non vraiment, jouer et apprendre, ce n’est pas la même chose. Jouer est une modalité d’apprentissage avec ses qualités et ses limites. Mais ça, les pédagogues le savent depuis longtemps (Frobel, 1782-1852) et les enseignants aussi.

L’informatique est le deuxième lien qui encourage Gee à rapprocher l’éducation et le jeu vidéo. C’est vrai que les pédagogues n’ont jamais réussi à développer des logiciels d’apprentissage captivants comme le sont (certains) jeux vidéos pour (certains) enfants. Un logiciel de maths qui scotcherait nos enfants à leur écran, on en rêve (Papert en rêvait, il l’a fait !). Mais c’est un peu comme les jeux vidéos pour les filles. Quand on cherche quelque chose et qu’on ne l’a pas trouvé, il est parfois difficile de savoir si c’est parce que l’on n’a pas encore assez cherché ou si c’est parce que la chose que l’on cherche n’existe pas. Il vaut pourtant mieux y réfléchir avant de commencer la recherche… Je conseillerais donc aux candidats à la conception de jeux éducatifs beaux comme des jeux vidéos d’y réfléchir à deux fois (et plutôt en compagnie de pédagogues que de joueurs) avant de se lancer.

A propos de Papert, l’affaire est plus sérieuse et réclamerait plus de développement. Son raisonnement sur l’éducation institutionnalisée (car c’est de cela qu’il s’agit bien qu’il ne le dise jamais et n’aille que très rarement au bout de son raisonnement) le conduit à souhaiter la mort de l’école telle que nous la connaissons. Il ne croit pas à la réforme. Pour lui, l’ordinateur est un dynamiteur. Il reconnaît bien volontiers que l’explosion attendue ne s’est pas encore produite mais il l’attend. Elle viendra en même temps de l’intérieur et de l’extérieur. C’est pour bientôt pense-t-il même : Rome brûle, dit-il dans son dernier livre, ce n’est pas le moment de jouer du violon. Il reste dans les société modernes une dernière organisation de type soviétique, c’est l’école. C’est pour cela qu’elle est condamnée.
Vous voyez, l’affaire est sérieuse.

Vous avez toujours envie d’applaudir ?

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0 commentaires

  1. Serge,
    Une fois encore, je ne peux qu’être d’accord avec ton analyse et son final surtout si tu l’appliques à l’université qui, elle, a encore moins d’excuses que le secondaire.
    Guy Casteignau
    Professeur Université de Limoges