Nous et Creative Commons

Il existe dans l’univers internet une sorte de tradition, qui consiste à se saisir de tâches impossibles et à tenter de les accomplir à plusieurs et pour pas très cher. Et si l’on couvrait toute la ville d’un réseau sans-fil gratuit ? Et si l’on numérisait des millions de livres du domaine public ? Et si l’on créait une nouvelle encyclopédie ? Et si l’on cartographiait le monde entier, dialoguait avec les extra-terrestres, décryptait le génome humain ?…

Ces démarches trouvent souvent leur racine dans une protestation, un conflit. Mais le passage à l’acte prend une forme originale : celui de la construction d’un modèle alternatif, qui se fonde sur les infrastructures et modèles existants et accepte de cohabiter avec eux.

Et si l’on se fondait sur les principes du copyright ou du droit d’auteur pour construire un dispositif alternatif qui s’inscrit dans le paysage juridique existant – mais pour en renverser la logique, en passant d’une situation où tout est interdit, sauf ce qui est permis à une autre où (presque) tout est permis, sauf ce qui ne l’est pas ? Cette question pourrait résumer la démarche de Creative Commons (CC).

Presque par définition, une telle démarche se construit à partir des concepts et infrastructures juridiques existants et ne prétend pas faire table rase du passé, mais plutôt élargir le choix – et susciter peut-être une concurrence, une émulation entre différents modèles de diffusion et de valorisation de la création.

C’est dans cet esprit qu’Internet Actu a choisi Creative Commons. CC nous fournit « en standard » le langage juridique qui nous permet d’exprimer clairement les autorisations comme les exigences qui contribuent à l’exercice de notre mission collective, et qui fournit à ceux qui utilisent nos productions un certain degré de sécurité juridique. Notre vocation consiste à faire circuler les idées et les informations et par conséquent, à encourager leur diffusion, leur redistribution, leur exploitation, à l’identique ou non. En revanche, il est normal que tous ceux qui lisent une de nos productions sachent « qui parle » – mais aussi que nos adhérents et l’Inist, qui nous permettent de réaliser cette publication, puissent constater que le texte qu’ils lisent dans un coin perdu du web provient au moins indirectement d’Internet Actu  : nous tenons à l’attribution de paternité. De même, dans la mesure où nous citons des sources et des noms, publions des contributions externes, reprenons des images, établissons des liens « profonds »… la commercialisation par d’autres de nos informations pourrait briser la chaîne de bonne volonté qui permet à un titre associatif et gratuit de faire des choses que l’on refuserait à un site à but lucratif.

Bref, la licence « Paternité-Pas d’utilisation commerciale » de CC nous ressemble – et nous fait gagner du temps en nous évitant de produire nous-même notre propre langage juridique. Chacun son métier.

Un dispositif encore incomplet
Pour autant, malgré ses qualités et son adaptation récente au droit français, l’édifice Creative Commons ne domine pas tout le paysage – et il lui manque sans doute encore quelques ailes, ou étages.

CC se focalise sur l’aval de la création et reste assez concentrée sur un modèle dans lequel une création est l’oeuvre d’un nombre restreint, fini et identifiable d’intervenants. Des deux paradigmes qui caractérisent le mouvement du logiciel libre, CC en retient un (la distribution « libre » sous l’égide du droit d’auteur) et l’élargit, mais pas l’autre (la création collective, le palimpseste). On imagine que les fondateurs de Creative Commons se sont posé la question, puisqu’ils ont généralisé l’attribution de paternité dans la seconde version de leurs licences. Or celle-ci n’est en pratique possible que lorsque l’on peut établir la liste des auteurs, ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour la plupart des logiciels libres. On peut voir là, soit une insuffisance de CC, soit un nouveau témoignage de la difficulté que rencontre la logique du libre à passer la « barrière des espèces », à sortir autrement que de manière confidentielle de l’univers du logiciel.

D’autre part, CC ne suffira pas à éviter une révision du droit d’auteur. Les licences CC clarifient l’aval de la création mais laissent traîner des risques en amont : il faudra bien un jour, dans la loi, remédier aux plus graves dérives de la propriété intellectuelle, mettre une limite à la cascade des droits, à leur allongement, au durcissement des protections et au rétrécissement des exceptions, bref, remettre en chantier la question de l’équilibre entre droits et devoirs des créateurs, des intermédiaires et du public.

Enfin, CC ne pourra pas longtemps se contenter d’écrire des textes juridiques en se désintéressant de leur mise en oeuvre, de leur respect. Il revient à la communauté Creative Commons elle-même de démontrer qu’elle prend ses règles au sérieux : aller au conflit, susciter une jurisprudence, mais aussi organiser un degré de traçabilité des oeuvres sous licence, voire créer des instances d’arbitrage. A défaut, le risque existe que Creative Commons demeure une collection d’excellents textes de principes, organisant des droits et devoirs purement formels sur lesquels ses utilisateurs, qui ne disposent en général pas des moyens d’aller en justice, ne pourraient pas s’appuyer pour faire respecter leur volonté.

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0 commentaires

  1. Il faut saluer, évidemment, l’initiative Créative Commons qui permet d’envisager d’autres modes de diffusion des créations intellectuelles (idées, litérature, musique, images…) en tirant profit des possibilités techniques offertent par leur dématérialisation.
    Mais cela ne devrait-il pas nous conduire à nous interroger sur une réforme complète du Code de la propriété intellectuelle, pas évidemment pour épouser d’emblée la conception états-unienne, elle même anté-NTIC, mais éventuellement pour construire un nouveau dispositif, simple et transparent, ménageant pour les auteurs le choix du domaine public ou du secteur commercial, ménageant aussi la nécessaire stabilité juridique nécessaire aux éditeurs, producteurs et vendeurs, et ménageant enfin les principes essentiels du service public. Deux exemples de pistes à étudier :

    – Aux Etats-Unis, une règle simple s’applique : argent public -> production dans le domaine public.
    Pourquoi ne pas l’adopter chez nous ?

    – Pourquoi laisser les nombreux (trop ?) organismes dits « représentatifs » combattre plus pour leurs propres intérêts que pour les auteurs qu’ils devaient substituer à l’époque où les micro-paiements direct de droits d’auteurs était impensables, ce qui n’est plus le cas avec Internet.

  2. Bel article
    Mais il faut aussi inlassablement rappeler qu’il n’y a pas de proprité des idées que le principe général dans le monde libre est précidément la libre circulation de l’informatiion et la libre utilisation de la connaissance.

    Droits d’auteur et Copyright, brevets sont des exceptions au principe général et des privilèges limités dans le temps et pas le contraire comme les juristes et les hommes d’affaire qui qui en vivent ont tendance à essayer de le faire reconnaître.

  3. Dommage qu’en voulant faire la morale en expliquant la démarche du libre, vous tombiez vous aussi dans le travers de la clause «non commerciale».

    Plusieurs problèmes se posent avec cette clause :
    – d’une part ne serait-ce que sa définition. Qu’est-ce qu’un usage commercial ? Un usage par une entreprise ? Un usage par une entreprise qui «vendrait» un de vos contenus ? Et si un de vos contenus (ex.: un article) est inclus dans une collection d’autres soumis à d’autres licences comme CC-BY-SA ou Licence Art Libre ou Gnu FDL, qui n’interdisent pas la commercialisation, est-ce que vendre cette collection contrevient à la licence de votre article ?
    – d’autre part que si on ne peut pas « faire de l’argent avec », alors que faire de ces articles ?
    – de plus, si quelqu’un veut faire de l’argent avec, il ôtera l’auteur, la source, voire maquillera 2 ou 3 trucs,

    Généralement, à ces questions, on me répond :
    oui, mais imagine que quelqu’un prend les articles, en fait un bouquin, le vend et devient richissime. Ce serait dégueulasse, non ?

    Non !
    Si quelqu’un vend vos articles :
    – cela prouve qu’on peut le faire, donc si vous le voulez, vous n’avez qu’à les vendre vous-mêmes,
    – peut-être que la personne qui les vend y a apporté une valeur-ajoutée, et qu’il est légitime qu’elle désire en tirer profit,
    – la personne qui vend vos articles ne vous vole rien,
    – si vos articles valent-de-l’or-et-que-c’est-pas-juste-que-vous-ne-touchiez-pas-un-rond-dessus alors ce qui a le plus de valeur reste en votre possession : votre créativité, votre talent, vos idées. Vous avez toujours l’option d’en écrire d’autres, et de les vendre en primeur, eux !
    – enfin je reprendrai une page du site Tuxfamily (http://faq.tuxfamily.org/Licence/Fr#L.27int.C3.A9r.C3.AAt_des_licences_libres) :

    Avec une licence incluant une clause NC (non commercial) :

    ———-

    * pas de diffusion sur CD accompagnant un magazine par exemple
    * pas de diffusion sur des miroirs qui auraient de la publicité (google adsense ou autre), limite votre diffusion
    * pas de diffusion sur des sites qui auraient des films à la carte, marginalisation de votre production en dehors des circuits bénéficiant d’une large publicité
    * pas de diffusion sur chaîne de Free via Freebox (celle de freenews par exemple)
    * pas de diffusion dans un cinéma indépendant avec des publicités au début
    * pas de diffusion lors d’une LAN party ou d’une soirée avec entrée payante
    * pas de reprise lors d’un concert pour une musique ou une chanson

    ce ne sont que des exemples qui montrent que la diffusion de votre production peut être limitée voire marginalisée du fait du choix du NC. En enlevant le NC, il y a potentiellement une diffusion possible beaucoup plus largement, sans que vous ayez à être sollicités en permanence. Le principal souci avec le NC est que cela bloque des utilisations que vous auriez pourtant reconnues comme légitimes, n’est-ce-pas ?

    ———-

    Enfin, voilà.

    Si le logiciel libre était non commercial, alors il serait resté aussi marginal que l’a été (et l’est toujours) le freeware et le shareware. Le fait que des personnes et entreprises vendent, modifient des logiciels libres n’a absolument pas « brisé la chaîne de bonne volonté » (comme vous dites), au contraire ! Faire du logiciel libre, et que celui-ci soit repris par d’autres, voire vendu parfois (au sein de prestations par exemple) est aujourd’hui un superbe tremplin pour des personnes sortant de formation ou d’autres cherchant à se ré-orienter.

    Si quelqu’un vend et gagne de l’argent avec vos articles, cela signifie surtout quelque chose de très positif : vos articles ont de la valeur !

    Allez, cachez donc cette clause NC que je ne saurais voir, vous ne prendre que le risque d’un succès… commercial ! 😉

  4. Loin de nous de penser que quelqu’un va devenir richissime même en vendant nos articles 😉 R4f. Mais je dois reconnaître que votre défense du libre qui ne parle que d’argent me paraît étrange.

    Nous souhaitons juste pour notre part par cette clause que ceux qui veulent faire un usage spécifique de nos articles prennent contact avec nous (oui oui, nous souhaitons être sollicités, aussi étrange que cela vous paraisse). C’est ce qui arrive la plupart du temps et tout se passe plutôt bien (notamment auprès d’éditeurs qui nous demandent pour reprendre un article).

    Sur le fond, cette clause n’est pas satisfaisante, car elle ne définit pas justement les usages commerciaux en question (quid notamment de sites qui reprennent notre info et qui génèrent des revenus publicitaires ?). Un flou qui possède en même temps son avantage donc, puisqu’il permet d’entrer en discussion. Et c’est cela l’essentiel, sans interdire aux sites et intranet qui nous reprennent, la possibilité de le faire (et qu’ils feraient certainement sans d’ailleurs).

  5. Hubert,

    Je suis incorrigible !

    Je pense toujours que mon interlocuteur est dans le même contexte que moi et qu’il a les mêmes références pour une discussion. Eh bien, une fois de plus, je me suis planté.

    En premier lieu, je vous ferai remarquer que je parle principalement d’«usage commercial», puisque c’est bien cette clause qui m’a interpellé.

    Cet usage commercial est un contexte d’utilisation de vos contenus (articles en l’occurrence). Et puisque vous faites le parallèle avec le logiciel libre, je vais moi-même reprendre les définitions majeures qui le qualifient, à savoir la Définition du logiciel libre (Free Sofware Definition) de la FSF et la définition de l’Open source (Open Source Definition) de l’OSI.

    Un logiciel peut être libre selon la FSD s’il répond aux 4 libertés dont la première est formulée ainsi (http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.html) :
    The freedom to run the program, for any purpose (freedom 0).
    (La liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0).)

    Et si on s’en réfère à l’OSD (http://opensource.org/docs/osd) :
    1. Free Redistribution

    The license shall not restrict any party from selling or giving away the software as a component of an aggregate software distribution

    (1. Libre redistribution.

    La licence ne doit pas empêcher de vendre ou de donner le logiciel en tant que composant d’une distribution d’un ensemble contenant des programmes de diverses origines.)

    et plus loin, une seconde couche :
    6. No Discrimination Against Fields of Endeavor

    The license must not restrict anyone from making use of the program in a specific field of endeavor.

    (6. Pas de discrimination entre les domaines d’application.

    La licence ne doit pas limiter la champ d’application du programme)

    Donc voilà, on en est là : le monde du logiciel libre a permis depuis bientôt 25 ans des avancées en matière de propriété intellectuelle, en ré-instrumentant le copyright et le droit des auteurs. C’est un grand pas en avant pour œuvrer pour le bien commun, faire le choix du libre.

    Par contre, l’initiative Creativecommons surfe sur la cote de popularité du logiciel libre mais propose des licences qui en violent le premier principe (qu’on soit plutôt Free Software ou Open source).

    En vous en remettant à la licence CreativeCommons NC, vous ne faites, somme toute, qu’utiliser un outil juridique fort pratique ; mais vous ne pouvez tout de même pas vous targuer d’être dans «la logique du libre».

    Enfin, vous prenez l’argument «tarte à la crème» selon lequel «ceux qui veulent faire un usage spécifique de nos articles prennent contact avec nous ». Là, c’est fort de café : pourquoi mettre une licence sur vos travaux si c’est pour ensuite, au cas par cas, octroyer des exceptions ?!

    Justement, la licence est là pour cela : éviter de devoir contacter l’auteur lorsqu’on veut connaître les droits et devoirs liés à l’usage d’une œuvre. Je suis partisan du dialogue (d’ailleurs on fait quoi, là ? 😉 mais il existe mille et un cas de figures dans lesquels on ne peut pas :
    – trouver les auteurs
    – trouver leurs coordonnées
    – les contacter les auteurs en motivant la demande
    – attendre qu’ils daignent répondre
    – prier pour qu’ils disent «oui».

    Imaginez les employés de Canonical (éditeur de la distribution Unbuntu,qui connaît un très immense succès) devoir contacter des milliers d’auteurs du projet Debian (dont est dérivée Ubuntu) pour savoir s’ils étaient d’accord que Canonical distribue dans un cadre commercial une version dérivée de Debian… 😀

    Allons, soyons sérieux ! En quoi les auteurs d’InternetActu produiraient-ils des contenus ayant une valeur intimement supérieure à celle d’une distribution GNU/Linux libre ? Et si certains parmi vis auteurs voulaient se lancer dans une carrière journalistique, ne seraient-ils pas heureux que leurs articles aient déjà été publié dans des revues, magazines, qu’ils aient été compilés au sein de collections d’articles relatifs à leurs sujets ?

    Dans la majorité des cas, faire usage d’une clause NC se base sur :
    – des a priori qui n’ont pas lieu d’être (genre : des groupes de presse se font plein de sous sur le dos de ceux qui écrivent sous licence libre),
    – sur des craintes injustifiées (ex. : on va reprendre mes articles et détourner leur sens),
    – ou un espoir infondé (ex. : «Imagine que mon article d’InternetActu soit publié pour 0 Euro dans 01Informatique… alors qu’ils auraient pu vouloir me l’acheter 2’000 Euros !! Je serais trop dégoutté…heureusement, tout est publié sous licence NC»).

    Enfin, je ne cherche pas à vous convaincre, j’espère juste que mes propos resteront sur cette page, afin que ceux qui liront votre page «licence» n’aient pas «qu’un seul son de cloche» sur ce sujet.

  6. @R4f : rien à ajouter, tout est dit. Ah ! si, je soutiens son point de vue à 100 %.

    @Daniel : Mon interrogation vient du choix de placer le logo Creative Commons en bas de toutes les pages du site SANS lien direct vers les ressources CC. C’est pourtant un des moyens utilisés par les robots d’indexation pour repérer les œuvres numériques placées sous CC ; l’une des premières mesures à prendre pour aider à établir la traçabilité des œuvres :

    « Creative Commons licenses are expressed in three different formats: the Commons Deed (human-readable code), the Legal Code (lawyer-readable code); and the metadata (machine readable code).
    […]
    The metadata describes the key license elements that apply to a piece of content to enable discovery through CC-enabled search engines. »
    (http://wiki.creativecommons.org/Frequently_Asked_Questions#What_is_the_Commons_Deed.3F_What_is_the_legal_code.3F_What_does_the_html.2Fmetadata_do.3F)

    La fing ne prend pas cette mesure alors même que tu conclus ta déclaration presque ainsi : « Il revient à la communauté Creative Commons elle-même de démontrer qu’elle prend ses règles au sérieux : […] organiser un degré de traçabilité des oeuvres sous licence […]. »

    Il y a vraiment quelque chose qui m’échappe. La fing adopte une licence CC et reste en-dehors de la communauté CC ? Où est la logique ?