L’internet, le faux et la perversité

Il y a quelques jours, l’un de mes blogs a reçu une demie-douzaine de spams de commentaires. La chose n’est pas nouvelle en soi. La plupart des blogs reçoivent désormais, chaque semaine, des dizaines ou des centaines de faux commentaires, postés par des robots logiciels. Mais ces spams se distinguaient de leurs équivalents habituels. Ils n’incitaient pas à acheter quelques médicaments miracles, ni ne cherchaient à promouvoir des casinos en ligne ou autres sites pornographiques. Non, ces commentaires visaient simplement à promouvoir un blogueur de renom, Jason Calacanis, et l’une des initiatives qu’il a initié récemment, précisément pour développer une « éthique » du blog.

Le problème est que ces commentaires, publiés sur un grand nombre de blogs, ne proviennent nullement de Jason Calacanis. Ils ont été postés à son insu.

Ce spam d’un genre nouveau ne visait donc pas à faire la publicité d’un produit commercial mais cherchait, de façon plus perverse, à jeter le discrédit sur un individu en le faisant lui-même passer pour un spammeur.

Sur un autre plan, on voit régulièrement apparaître de  »faux blogs » personnels. Ce fût le cas récemment du blog personnel de Nick Nolte. Très crédible, ce journal intime aurait pu être écrit par le comédien, mais ne l’était pas. Les instigateurs de la supercherie, admirateurs de la star et évoluant eux-mêmes dans le monde du cinéma, ne cherchaient nullement à lui nuire. Mais on peut craindre que ce ne soit pas toujours le cas.

Et l’on trouve déjà de multiples « faux blogs », dont certains se présentent en tous points comme de véritables blogs, et sur lesquels sont postés régulièrement des billets, reprenant des extraits d’articles publiés dans la presse sur un sujet donné. Ces faux blogs ne sont pas produits par de véritables blogueurs, ni même par des humains. Ils sont mis à jour de façon totalement automatisée. Ils sont souvent organisés en réseau, et constituent des grappes de « faux sites web », se renvoyant les uns aux autres. Paradoxalement, ces faux blogs ne sont pas totalement inintéressants, dans la mesure où certains agrègent de grandes quantités d’informations thématiques. Mais ils n’ont qu’un but : augmenter artificiellement le poids et la popularité globale de l’auteur ou de l’entreprise qui les  »produit ». Aujourd’hui, la fréquence de mise à jour d’un site, et le nombre de liens pointant vers lui depuis d’autres sites sont quelques uns des critères clés définissant son « importance » sur le web. Mais ces notions sont aussi facilement automatisables que manipulables.

Dernier exemple : les publicités textuelles gérées par Google, qui fleurissent sur plusieurs millions de sites web. Pour un annonceur, le succès d’une campagne provient directement du nombre d’internautes ayant cliqué sur un lien publicitaire pour parvenir sur son site. Seulement voilà : sont apparus ces derniers temps des « robots-cliqueurs », ciblant spécifiquement les annonces Google. Là aussi, le principe est particulièrement pervers. Il ne s’agit pas de gonfler artificiellement le succès d’une campagne publicitaire, mais au contraire de la rendre inopérante. Par ces « faux clics », des individus mal intentionnés « volent » les annonceurs, de façon indirecte, en diminuant l’impact réel de leurs campagnes. Et le but n’est pas tant de détourner cet argent à leur profit (ce qui serait facilement détectable par Google) que de nuire aux entreprises qui achètent de la publicité en ligne. La chose est prise très au sérieux par les analystes financiers, dont certains estiment que 20 % des clics enregistrés sont en réalité des fraudes, émanant pour partie d’entreprises concurrentes des annonceurs concernés. Et Google, dont 98 % des revenus proviennent de la publicité, indique par la voix de son Directeur Financier, que ce type de procédé est « la plus grande menace » à laquelle soit confrontée l’économie de l’internet.

Tous ces exemples montrent que le « faux » sur l’internet a de beaux jours devant lui. Mais ils montrent aussi combien notre monde en ligne est fragile, et susceptible de donner naissance à une nouvelle forme de moyens de pression.

On a cru que le spam et les autres tentatives de mystification avaient pour simple but de vendre ou de promouvoir un produit. On est en train de comprendre que le système qui s’est mis en place est beaucoup plus pernicieux. Il peut être utilisé, au deuxième degré, pour discréditer des individus ou des entreprises, leur nuire ou peser sur leur équilibre financier.

Le « faux » – dont le spam est la partie la plus visible – n’est donc pas seulement un outil mercantile. Il est sur le point de devenir un outil de pouvoir.

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0 commentaires

  1. Cette analyse du « faux » n’est pas une nouveauté. Les historiens, en particulier les médiévistes, ont déjà montré comment les « faux » avaient fleuri au milieu du Moyen Âge pour légitimer certaines possessions, pour assoir le pouvoir d’un puissant ou déclencher un conflit. Ce n’est donc pas une nouveauté et relève, à mon avis, finalement plus de l’utilisation d’un medium que d’une spécificité d’Internet.

  2. Tout-à-fait d’accord avec la pertinente remarque de Gautier: le travail de « forgerie » est un vieux souci de l’humanité. Ici, le faux prend une autre couleur, non moins intéressante d’ailleurs, du point de vue « diplomatique »…

  3. D’accord avec les commentaires précédents. Sans remonter aux « visions » des prophètes, la manipulation des messages, que ce soit dans la présentation de l’Hisotire , dans la publicité ou la presse d’aujourd’hui politiquement correcte ou pas, ldémontre que l’Internet devait y passer. et nous n’avons encore rien vu: les SPIT (spam sur VoIP) vont augementer le processus, comme cela se fait déjà sur les SMS.
    Mais c’était un nouveau très bon article de Fiévet

  4. les gens sérieux vont être amenés à ne plus utiliser l’anonymat non signé qui a fait les délices de l’internet libre
    tout ce qui ne sera pas signé n’aura aucune valeur.

    comme je ne réponds plus à ceux qui m’appellent avec un numéro masqué

    les pseudo resteront bien sur possibles, mais signés et garantis autenthiques par le prestataire dont ils proviendront

    la première insécurité du monde, depuis plusieurs milliers d’années, depuis le cheval ou le bateau, réside dans la possibilité d’arriver quelque part sans être identifié ni que sa « base » puisse être tenue responsable et payeur ou susceptible de représailles.

    l’anonymat du billet de banque ou du numéro de tel appelant, initialement inévitable, n’est plus une fatalité.