Innovation et internet : « Cycles et rythmes de l’innovation »

Dans le cadre de l’Université de printemps de la Fing qui s’est tenue à Aix-en-Provence les 8, 9 et 10 juin 2005, InternetActu.net vous propose une série de compte rendus synthétiques d’une sélection d’ateliers et de plénières.

On décrit souvent l’innovation au travers de cycles, qui démarrent autour d’une innovation de « rupture », laquelle structure autour d’elle un écosystème nouveau, fait notamment de multiples innovations « incrémentales ». Ces cycles tendent visiblement à se raccourcir – ou peut-être, plus précisément, le paysage de l’innovation se caractérise-t-il par un nombre de plus en plus grand de petites ruptures, plus localisées. Quoiqu’il en soit, le rythme s’accélère, au point de structurer un nombre croissant d’entreprises autour de l’innovation (technologique, de produit, de service, de processus), du changement permanent (Norbert Alter) au moins autant que de l’excellence dans la production, la distribution, le service, la gestion. Quel rôle les TIC et l’internet jouent-ils dans cette accélération ? S’agit-il d’un processus entièrement neuf, ou plutôt d’une évolution ?

Pour Daniel Kaplan (voir la présentation « 15 (+15) ans d’innovation internet »), l’internet a, presque d’emblée, été conçu comme une « plate-forme d’innovation » : à l’inverse des technologies concurrentes, celle-ci a été conçue de manière à pouvoir accueillir des applications et usages imprévisibles au départ. Le choix de décentraliser l’intelligence, celui du best effort, en découlent. De ce point de vue, l’internet se présente comme une « pure » infrastructure, neutre vis-à-vis de ses usages, et la multiplication de ces usages fait partie de la vision d’origine, ou en tout cas de sa reformulation très précoce.

L’innovation continue est aussi inscrite dans le processus de construction des standards de l’internet – qui se nomment d’ailleurs des Requests for comments (RFC, « appels à commentaires »). Entre 1969 et 1989, il s’en est publié 1139. Entre 1990 et 2005, 2900 nouveaux RFC sont apparus, à quoi s’ajoutent les multiples standards produits au sein de consortiums plus ou moins spécialisés, de l’IEEE au W3C en passant par le 3GPP.

La démarche des « pères fondateurs » a produit ses fruits : le rythme d’innovation dans le domaine des services et des applications est extraordinairement rapide. On constate par ailleurs plusieurs phénomènes plutôt nouveaux :

  • D’une part, aucune innovation marquante dans les services et les applications ne provient à l’origine des « grands » du secteur : web, messagerie instantanée, P2P, eBay, les blogs…
  • D’autre part, chaque rupture est suivie très rapidement d’une vague d’innovations incrémentales – et bien souvent, les acteurs à l’origine de la rupture encouragent cette vague, plutôt qu’ils ne lui résistent : la logique des standards ouverts, ou encore celle du « libre », vont dans ce sens.
  • Enfin, dans beaucoup de cas, l’innovation se pense d’emblée à une échelle inimaginable auparavant. Dans un cas, une idée est immédiatement proposée comme un standard plutôt que comme un service (cas d’Enum, qui correspond à l’idée d’utiliser un numéro de téléphone comme « clé » commune d’accès aux moyens de communication d’un individu) ; dans d’autres tels que Wikipedia ou Un Point C’est Tout, un projet coopératif s’adresse d’emblée à la planète entière, avec l’ambition de créer une encyclopédie complète et multilingues, ou de revisiter les cartes du monde entier…

Enfin, le rôle des utilisateurs semble beaucoup plus actif qu’ailleurs, même si l’intervention des utilisateurs dans l’innovation ne constitue pas en elle-même un phénomène nouveau. A cela deux raisons majeures : d’une part, les utilisateurs disposent d’outils de production aussi puissants que les professionnels ; d’autre part, la communication et l’échange restent les moteurs du développement des réseaux, et toute innovation se trouve immédiatement échangée, discutée, commentée, enrichie… Il en résulte a minima un fort raccourcissement de la boucle idée-produit-retour du marché, et souvent, une intervention des utilisateurs au coeur des processus d’innovation (voir la table ronde « innovation ascendante »).

Pour Serge Soudoplatoff de France Télécom R&D, le développement des TIC marque l’avènement d’une société de la communication, de l’interaction et de la complexité. Se dessine ainsi quelque chose comme l’émergence d’une opinion : une sorte d’intelligence collective. A la fois diffus et déstabilisant, ce phénomène marque un changement radical : de nouveaux processus logiques se mettent en place où les règles traditionnelles ne sont plus valables, les ruptures s’effacent et les phasages établis jusqu’alors se modifient. Les cycles de l’innovation sont remis en cause, les temps ne sont plus incompressibles, notamment lorsque l’on parle d’appropriation, de planification ou de recherche : l’internet induit une véritable modification du rapport au consommateur.

Soit, reconnaît, Philippe Silberzahn de Digital Airways, la puissance du broadcasting a été donné à tous. Dans ces conditions, qui peut sélectionner, réguler ? Quelles sont les limites de cette forme de darwinisme, notamment dans l’univers des contenus ?

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