Analyser la décision de la Cour suprême sur le P2P

« Quiconque distribue un dispositif et le promeut aux fins d’enfreindre le droit d’auteur, en s’exprimant dans ce sens ou en prenant des dispositions explicitement destinées à favoriser la contrefaçon, assume la responsabilité des infractions qui en résultent », exprime dans un jugement unanime la Cour suprême des Etats-Unis, ce 27 juin 2005. Cette décision, rendue à l’encontre de Grokster et StreamCast Networks, deux éditeurs de logiciels d’échange de fichiers peer to peer (P2P), renverse le jugement de la Cour d’appel fédérale de Los Angeles, et constitue une nette victoire pour les industries culturelles.

Mais quelles en seront les conséquences ?

Les réactions des parties prenantes ne surprennent pas. Les acteurs du P2P, l’Electronic Frontier Foundation et les représentants des industries informatique et électronique s’inquiètent d’un effet négatif sur l’innovation. Les représentants des maisons de disque et du cinéma se réjouissent et évoquent « l’aube d’un nouveau jour ». D’une manière moins attendue, Hilary Rosen, l’ancienne présidente de la RIAA, pense qu’il est déjà trop tard :

« La victoire est importante d’un point de vue psychologique, mais elle n’aura pas d’impact significatif. (…) [Il y a cinq ans], je pensais qu’une décision de justice était nécessaire, mais j’attendais surtout beaucoup de progrès de la part des entreprises. (…)
« Le trafic [des réseaux P2P] est 40 à 50 fois plus important que celui des sites légaux. (…) Le consommateur a le choix entre un petit nombre de services légaux qui offrent quelques contenus de qualité et un beaucoup plus grand nombre d’alternatives P2P illégales qui proposent TOUS les contenus, plus une bonne dose d’espiogiciels, de fichiers corrompus et de problèmes potentiels. (…)
« D’un côté comme de l’autre, la responsabilité ne repose plus sur des décisions de justice ou des batailles de RP. Il s’agit avant tout d’économie et ces questions doivent se traiter sur le marché. L’industrie culturelle n’a pas d’autre choix aujourd’hui que de s’ouvrir et de prendre plus de risques. »

Réagissant presque dans l’heure, News.com propose un dossier extrêmement complet sur la question. D’où il ressort que les procès vont se multiplier, les producteurs d’outils P2P (et d’autres outils technologiques, par exemple de disques durs, de baladeurs et de graveurs) se faire tout petits, le P2P accélérer sa mutation – et les échanges de fichiers protégés, poursuivre leur croissance (presque) comme si de rien n’était… Sur son site Ratiatum, Guillaume Champeau enfonce le clou :

« C’est uniquement le modèle économique de Grokster et de Morpheus qui a causé leur perte. En se nourrissant explicitement du piratage, les éditeurs ont franchi la ligne jaune. Mais les réseaux phares d’aujourd’hui sont tous désintéressés. (…)

« Avec un tel jugement, l’industrie culturelle a obtenu de la Cour Suprême américaine qu’elle tue les seuls éditeurs de logiciels de P2P qui pouvaient réellement leur apporter sur la table un nouveau modèle économique viable et dynamique. Morpheus, Grokster, Kazaa, Limewire ou eDonkey pouvaient encore promouvoir la diffusion de fichiers protégés pour en retirer menue monnaie. (…) Avec eMule ou BitTorrent, qui ne craignent rien juridiquement, ces « chevaux de troie économiques » vont totalement s’évanouir à leur profit. Les industries auront alors d’autant plus de mal à convaincre les internautes de se rabattre vers leurs services propriétaires. (…)

« Mesdames les majors, les P2Pistes vous remercient. »

On lira aussi sur generation mp3 un recensement assez complet des réactions aux Etats-Unis, par Tarik Krim.

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