Quelles leçons tirer de l’échec des wikitorials ?

On connaît l’histoire : vendredi 17 juin, le quotidien californien LA Times inaugure les « wikitorials« , pour permettre à ses lecteurs de « réécrire » les éditoriaux du journal. Un bon millier de personnes s’enregistrent et commencent à commenter, compléter, transformer un édito sur les conséquences de la guerre d’Irak. Samedi soir, alors que se réduit la vigilance des modérateurs chargés de surveiller la page, les choses se gâtent : insultes, ajouts pornographiques… Dimanche, à 4 heures du matin, après moins de trois jours, l’expérience s’achève.

Les avis des commentateurs divergent sur les causes de cet échec.

Pour certains, la contradiction résidait au coeur même du concept de wikitorial. Un éditorial serait par essence personnel, subjectif et tranché. L’ouvrir aux commentaires aurait un sens, permettre à tous les lecteurs de le réécrire, beaucoup moins. Et puis, se demande le journaliste et blogueur Jeff Jarvis, pourquoi les journalistes pensent-ils que leur avis et leur publication sont si importants que les lecteurs vont se précipiter pour réécrire leur prose ? Pour Jarvis, la forme même de l’éditorial serait méprisante et dépassée par la puissance des blogs : « Un éditorial est juste un billet de blog parmi d’autres, publié par une personne qui a son propre point de vue. » A l’inverse, certains commentateurs voient dans la courte vie des wikitoriaux l’expression de la faiblesse inhérente aux modèles de rédaction coopératifs.

Pour d’autres en revanche, l’idée en elle-même a ses mérites, mais le LA Times a mal exploité le potentiel des wikis. Editer en commun un même texte suppose d’organiser la participation de manière à parvenir à un résultat acceptable par tous – ce qui, s’agissant d’un éditorial, ressemble à un contresens. D’où par exemple l’idée, notamment testée par Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, qui conseille le LA Times, de créer deux pages distinctes, l’une favorable à l’édito d’origine, l’autre opposée. De son côté, Ross Mayfield, créateur du « logiciel social » Socialtext, qui s’était impliqué dans l’expérience, vient d’envoyer au quotidien une « lettre ouverte« , elle-même rédigée de manière coopérative sur son wiki, qui propose une sorte de méthode par laquelle les wikitoriaux pourraient se défendre contre le « vandalisme » : « Faites confiance à votre communauté, développez-la et donnez-lui du pouvoir et vous pourriez constater que les médias participatifs contribuent à revitaliser votre modèle d’affaires ainsi que votre rôle dans la communauté ».

Selon le LA Times, les wikitoriaux ne sont que suspendus. Ils reviendront sous d’autres formes. Pour le quotidien, cette expérience s’insère en effet dans une stratégie plus globale qui vise à multiplier les points de vue et à faire du journal un lieu de débat et de controverse. Ainsi, les administrateurs du journal disposent de la possibilité de critiquer (même violemment) un éditorial du journal, une fois par an. La plupart des éditos permettront aux lecteurs de poster des commentaires. Des rubriques du journal et du site s’ouvriront à des textes courts et personnels de la part de journalistes, dans lesquels ceux-ci « réfléchiront à voix haute » sur quelques grands sujets, sans nécessairement conclure… Telle serait en tout cas l’intention, que le site du LA Times ne traduit pas encore bien clairement en réalité.

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  1. Mercredi 29 juin, Michael Kinsley, promoteur du projet Wikitorials, discutera dans l’émission de [radio en ligne Open Source|http://www.radioopensource.org/hear-on-public-radio/] de l’expérience Wikitorials (19h00 horaire de Boston US côte est).