ProspecTic 2010 : Proximité / Distance

Lire et commenter le vingt-deuxième chapitre de ProspecTic 2010 : Proximité / Distance.

En intégralité

Les réseaux entretiennent avec la distance une relation ambiguë. Ils servent d’abord à la parcourir, plus vite, de manière plus fiable, plus sûre et dès lors que le temps de parcours n’est pas nul, plus agréable. On leur demande souvent de la réduire, voire de l’annihiler : les réseaux feraient des Malgaches nos voisins, ils permettraient aux ruraux de partager la modernité (et les cycles de production) des urbains sans en adopter le mode de vie. A l’inverse, on les soupçonne d’imposer de nouvelles distances, d’éloigner les individus les uns les autres, de briser d’anciennes convivialités.

Point d’aboutissement de l’ère des réseaux, les communications mobiles produiraient même, selon Michel Serres, un « espace sans distance », dans lequel les réseaux eux-mêmes se fondent et disparaissent. Et en effet, physiquement, la distance comme le lieu ont cessé de contraindre les échanges de signes.

Mais comment comprendre, alors, que distance et proximité demeurent des piliers aussi fondateurs de nos pratiques comme de nos représentations ?

Premier exemple : l’urbanisation se poursuit à grande vitesse dans le monde, même si les périphéries croissent plus que les centres-villes. L' »espace des flux » que décrit Manuel Castells s’organise autour de grands pôles urbains mondialement reliés en réseau : un espace nullement homogène, qui ressemble plutôt à notre univers, plein de vide mais troué par endroits de formidables concrétions de matière et d’énergie. Les réseaux de télécommunication, comme avant les réseaux de transport, polarisent l’espace.

Second exemple : contrairement à ce qu’espéraient certains grands réseaux de transport ou de distribution, la fermeture de leurs agences, gares, bureaux, guichets… ne se compense pas simplement par un site web et les contraint à repenser les formes humaines, voire physiques, de leur présence auprès de leurs clients et usagers distants.

Troisième exemple : le télétravail et le téléenseignement n’apparaissent plus tant comme des modèles alternatifs, que comme des ingrédients au sein de dispositifs personnalisés et mobiles dans lesquels, souvent, le regroupement régulier des corps construit le groupe. La mobilité connectée transforme plus profondément notre relation à la distance que les modèles « télé » (travail, santé, services, enseignement…) des années passées, fondées sur l’idée d’un point fixe de référence, qu’il s’agisse du domicile ou du télécentre. Cette mobilité habite, habille, irrigue, irrite la distance, mais elle ne l’abolit pas, elle ne fusionne pas lieu et lien.

Enfin, les études montrent que deux correspondants qui se rencontrent fréquemment télécommuniquent aussi plus souvent que la moyenne. Ce qui, par parenthèse, montre aussi que les réseaux numériques ne contribuent pas particulièrement à isoler les urbains les uns des autres.

Pourtant, on peut aujourd’hui créer et entretenir une vraie relation à distance. Des joueurs d’échecs aux participants des forums et communautés en ligne, les exemples sont nombreux de relations suivies, parfois profondes, nouées en ligne. Dans certains cas, la rencontre en forme l’horizon – et les sites de mise en relation rencontrent un succès dont on ne parle pas assez. Dans d’autres cas, la relation peut vivre et se développer sans aucun contact physique. On sait aussi que certaines équipes, voire certaines entreprises, peuvent fonctionner de manière chaleureuse et efficace à distance ; mais les exemples d’échecs sont tout aussi nombreux et dans la quasi-totalité des cas, les équipes qui marchent prévoient des moments réguliers de convergence physique.

Sommes-nous donc face à une transition ou à une émergence ? La relation à distance attend-elle juste une génération numérique et/ou l’arrivée d’outils qui la rendent aussi naturelle et sensoriellement riche que la relation physique, pour devenir totalement interchangeable avec la rencontre ? Ou bien, y a-t-il une nature propre de la relation distante, celle-ci occupe-t-elle une place à part dans l’éventail des formes relationnelles ? Voici une belle piste pour la recherche et l’innovation : et si, tout en cherchant les moyens de reproduire, dans la distance, les conditions de la co-présence physique, nous partions également en quête de la nature propre de la relation à distance, de l’âme que les réseaux fluides et omniprésents lui ont, sans y penser, peut-être insufflée ?

Venez réagir et collaborer à ProspecTic 2010, l’exercice de prospective de la Fing et de l’Irepp.

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