Le retour de l’email payant

Faire payer les gros émetteurs d’emails en leur garantissant que leurs messages sont envoyés et, surtout, reçus. Tel est le principe du service CertifiedMail de Goodmail, une entreprise californienne qui entend révolutionner l’email en le rendant plus fiable, plus sécurisé – et plus efficace au plan marketing.

Le principe repose sur la certification des mails : les entreprises utilisant le service de Goodmail sont assurées que leurs messages sont effectivement transmis aux destinataires, en vertu de partenariats avec de gros fournisseurs d’accès, permettant aux messages d’échapper aux fourches des filtres anti-spam. En somme, des entreprises paient Goodmail, qui reverse une quote-part aux fournisseurs d’accès et de comptes webmails, en échange d’un « droit de passage » des messages.

Un principe qui n’est pas sans poser problème aux yeux des partisans d’un internet non commercial ou, au moins, respectueux des libertés individuelles. La polémique est née fin février dernier, quand AOL a proposé d’adopter le service CertifiedEmail de Goodmail. Rapidement, une coalition, menée par l’Electronic Frontier Foundation (EFF), est créée. Les détracteurs du procédé de Goodmail, qui y voient l’instauration d’une « taxe » pénalisant les plus petits au profit des grandes entreprises qui pourront payer pour émettre de gros volumes d’emails publicitaires, expliquent :

« Il s’agit de permettre aux émetteurs d’envoi en masse de contourner les filtres anti-spam d’AOL. […] Ce procédé constitue une première étape sur la voie dangereuse d’un dispositif d’email qui se généraliserait, et où l’on paierait pour envoyer des messages. »

Dans une lettre ouverte adressée à AOL, signé par 300 organisations de défense des libertés individuelles et par près de 40 000 internautes en 15 jours, les membres de la coalition estiment en outre que le dispositif ne résoudra pas le problème du spam, au contraire :

« A partir du moment où elle aura accepté le principe d’un internet à deux vitesses, sur lequel de gros émetteurs paient pour un traitement privilégié, AOL sera confrontée à un choix commercial simple : soit dépenser de l’argent pour maintenir à niveau ses filtres anti-spams, soit gagner de l’argent en négligeant ces filtres et en incitant de plus en plus d’entreprises à payer pour émettre des messages dont la délivrance est garantie ».

« C’est pervers, car ce système récompenserait AOL pour accepter de dégrader le service d’email gratuit qu’ils proposent à leurs utilisateurs », ajoute Danny O’Brien, coordinateur de l’EFF.

Pourtant, comme le note The Register, tout en s’en étonnant, la démarche AOL/Goodmail est défendue par quelques observateurs, parmi lesquels Esther Dyson, ex-présidente de l’Icann, entrepreneuse et investisseuse à succès, commentatrice très écoutée des industries numériques et… ancienne présidente de l’EFF. Dans les colonnes du New York Times, elle expliquait vendredi :

« A mes yeux, Goodmail ne soulève aucun problème moral. Ils veulent simplement rendre l’internet meilleur – et gagner de l’argent au passage. […] Très bientôt, envoyer des emails coûtera de l’argent, et je pense que c’est une bonne chose. […] Il ne fait aucun doute que nous avons besoin d’une nouvelle approche en matière d’email. La situation actuelle – où l’internet est submergé de spam et la plupart des emails sont non sollicités et même dangereux – illustre un échec du marché. »

Et de conclure :

« Si le modèle Googmail est bon, il réussira et s’améliorera avec le temps. S’il est mauvais, il échouera. Pourquoi ne pas laisser les utilisateurs décider ? »

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