Identités pérennes ou identités jetables ?

Les adolescents s’accommodent tout à fait d’identités jetables, explique danah boyd : « Beaucoup d’adolescents sont contents (pour ne pas dire heureux) de recommencer à s’enregistrer. Vous avez oublié votre mot de passe de messagerie instantanée ? Enregistrez-vous sous une nouvelle identité ! Vous avez oublié votre adresse mail ? Créez-vous en une nouvelle ! Vous avez oublié votre login ? Il est temps d’en changer. »

Alors que les adultes pensent construire leur identité de manière pérenne, extensive, les adolescents en créent sans cesse de nouvelles, qui n’ont cours que dans l’instant. « Les adolescents ne rêvent pas de portabilité (comme tant d’adultes que j’ai rencontré). Ils sont contents d’ouvrir de nouveaux comptes sur de nouveaux sites, ils s’amusent à construire sans cesse de nouveaux profils. (…) Quand ils arrivent sur un nouveau site, ils veulent tout recommencer. »

Comme le dit encore la chercheuse : « Je ne crois pas que le problème soit d’aider les ados à se souvenir de leurs mots de passe. Je pense plutôt que cette tendance à remiser sa vieille identité est avantageuse, de la même manière qu’on remise de vieux vêtements parce qu’ils ne nous correspondent plus. La technologie est un peu trop obsédée par le souvenir, là où l’oubli a une valeur en soi. »

Pour maîtriser notre identité, on nous invite à mieux maîtriser les traces que nous laissons, à construire notre image, à en être maître, en agrégeant ce que nous sommes, ce que nous faisons, comme le propose l’intéressant Ziki (un agrégateur de traces). « Le bon réflexe est d’occuper le terrain », disait Frédéric Cavazza à l’émission 8-fi de cette semaine, à laquelle participaient également l’avocat Alain Bensoussan et Daniel Kaplan. En partant du constat inverse, danah boyd nous montre que les adolescents pratiquent une autre maîtrise de leur identité ; que, dans ce domaine également, la dissolution est tout autant une solution que l’agrégation. La règle qui voudrait qu’on maîtrise notre identité, qu’on élabore des stratégies, parfois complexes, et qui sont autant de contraintes, n’est peut-être pas une solution unique, ou une solution pour tous. On peut, au fond, admettre qu’une stratégie de gestion de son identité en ligne repose… sur l’absence de stratégie.

Pour autant, cette pratique adolescente, ne repose-t-elle pas sur une ignorance fondamentale ? Pourquoi ne pas gérer nos identités, nos personnalités quand, quoiqu’il en soit, notre adresse IP est capable de nous trahir à tout instant. Une simple enquête policière permet de savoir quel ordinateur, quel téléphone mobile a émis quoi, quand ce n’est pas parfois un coup d’oeil sur les données que vous avez émises qui permettent de le faire. Souvenons-nous de l’affaire AOL qui a permis, depuis la simple liste des requêtes effectuées sur un moteur de recherche, d’identifier des dizaines de personnes. Souvenons-nous d’un commentaire laissé dans l’anonymat qui disait par erreur tout ce que nous voulions cacher.

Peut-on toujours établir des stratégies identitaires ? Peut-on les tenir ? Si cela peut être le cas des plus avancés des utilisateurs, est-ce que cela peut-être le cas de tout le monde ?

Posons la question dans l’autre sens. Quels outils, quel réseau, faut-il construire pour rendre possible l’absence de stratégies identitaires ? Comment permettre au jeu pas tout à fait innocent des ados de demeurer un jeu ?

Hubert Guillaud

PS : danah boyd pose encore une question intéressante sur le devenir de ces identités adolescentes, notamment lors du passage au mobile. Plus contraignant que le web, le mobile permet beaucoup moins de jouer de son identité. Reste pourtant à savoir si pour les ados, cela est vécu comme un avantage ou un inconvénient ? « Il serait intéressant en tout cas de savoir si les adolescents préfèrent une identité plus forte à des identités jetables. »

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0 commentaires

  1. Bravo pour cet article. Il renvoie à la question « qui » les adolescents craignent-ils ? Généralement pas la police, ni d’éventuels hackers des comptes bancaires qu’ils n’ont pas. Plutôt sans doute les parents, les trolls plus ou moins libidineux, les camarades (réputation dans le cercle amical), … ?

    Dans ce cas, une stratégie de protection par les contenus, inattentive à l’infrastructure technique, peut être efficace.

    Par exemple, R. tient plusieurs blogs, individuels ou collectifs, où elle parle d’elle-même, de sa personnalité, ses goûts, etc. ; sa photo y figure, mais difficilement reconnaissable. Elle ne mentionne ni son nom, ni son prénom ; son second prénom figure sur l’un des blogs, mais agrégé avec un autre mot (donc difficilement trouvable par un moteur). Ni bien sûr son adresse, ville, code postal. Si le nom de l’école figure (?) c’est sous forme de surnom. Les blogs sont fréquentés par des ami(e)s dans la vie réelle.

    Un exemple parmi plusieurs qui m’ont impressionné par la finesse du réglage de « ce que je dis ou ce que je ne dis pas, ce que je montre ou pas ». On est à cent lieues de ce que certains adultes non internautes imaginent (fantasme d’une sorte de nudité, de dévoilement complet par internet). La conscience me semble généralement très claire du fait que ce que « je » mets sur la toile sera visible de tous et a priori éternellement.

    La meilleure analogie me semble être celle du « club de théâtre » : la présence sur internet est une mise en scène de soi.

  2. dites moi ce qui me représente j’en ai beaucoup besoin alors je compte sur vous ça m’aiderai alors bonne chance et MERCI.
    et encore MERCI beacoup
    biz

  3. envoyez moi votre réponse à mon Email MERCI MERCI MERCIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII MERCIIIII!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

  4. Billet très intéressant.

    Je pense que la bonne stratégie identitaire est une stratégie multi-identité.
    Avoir plusieurs identités correspondant à plusieurs facettes de sa personnalité (personnelle, professionnelle, administrative, etc.) permet d’éviter d’être tracé tout en limitant l’hémorragie de login/mot de passe.
    C’est d’ailleurs de que nous faisons déjà en ayant plusieurs adresses email…

    J’aborde ce sujet à cette adresse : http://www.tendances.it/?post/2006/10/08/CardSpace

    Je vous conseille de tester OpenID pour vous faire un idée par vous même (cf. http://www.tendances.it/?post/2006/11/29/OpenID-%3A-la-federation-didentite-sur-le-Web)

  5. Merci Guillaume. J’ai testé car j’étais déjà tombé sur votre billet très complet. Mais utiliser ainsi OpenID demande de vouloir ou d’être capable de mettre en oeuvre un réelle stratégie.

  6. bonjour,

    sujet ouvert qui est posé…

    nous donnons aux élèves de notre collège des accès à différente ressources numérique en ligne… adresse mèl, accès à un service de web TV, accès à une encyclopédie, accès aux bureaux virtuels du collège….

    la question qui nous posaient le plus d’incertitude c’est leur capacité à conserver les mots de passe et à les réutiliser en situation de travail scolaire, ne vont ils pas les oublier ?

    nous avons décidé de mettre en avant le notion de sphère personnelle et de sphère professionnelle.

    Quand vous êtes au collège vous êtes des professionnels qui utilisent leur nom et prénom comme identifiant.

    Sur les 600 comptes ouverts multiplié par 4 mots de passe à notre surprise chaque élève à trouvé une astuce pour ne pas égarer son identifiant et mot de passe.

    ce qui tendrait à prouver quand position où l’élève utilise son nom et prenom en place d’un pseudo qui le cache, il met en oeuvre d’autres processus de mémorisation qui le responsabilise et évite une dilution d’identité propre aux outils de l’internet !

    pour ouvrir le débat

    patrick
    http://www.martonne.net
    un classeur de technologie sur clé usb !

  7. je suis stupéfait, tombant longtemps après, sur ces « articles », de voir que l’on s’étonne du trouble des adolescents à le recherche ou en fuite d’identité. Il me semble que ce « Je est un Autre » devrait rappeler quelques souvenirs, au moins à ceux qui croient ne plus être adolescents et ne semblent pas avoir beaucoup de mémoire au moins littéraire. Que l’hétéronomie révélée largement par l’accès au net soit intéressante, bien sûr, mais il n’y a aucune raison de s’en inquiéter, bien au contraire, par contre on peut s’inquiéter de voir des adultes ne pas s’interroger sur eux-mêmes et ce qu’ils sont à partir des interrogations et des propositions adolescentes. Le rencontre entre « les âges de la vie » devrait surtoiut conduire à des interrogations identitaires réciproques et non pas à des quêtes inquiètes d’identification (justement!). L’identité ne peut être qu’un questionnement, dès lors qu’il y a des réponses fermes, cela devient un enfermement. L’identité, quelle qu’elle soit, ne peut être qu’une interrogation et une construction permanente dont les variantes se rencontrent ou s’opposent…