La peau, objet et frontière de l’art ?

Régine Debatty de We Make Money Not Art s’est rendue à Aix-en-Provence assister à une semaine de conférence et d’ateliers organisée par l’Ecole d’Art d’Aix-en-Provence et intitulée De l’objet de laboratoire au sujet social. Elle y a notamment entendu le conservateur Jens Hauser, celui qui avait lancé en 2003 L’Art Biotech à Nantes (voir le compte-rendu de Transfert à l’époque), la première exposition européenne d’artistes qui utilisent les biotechnologies comme moyen d’expression. Jens Hauser est également le conservateur de l’exposition récente Still Living qui s’est tenue à Perth en Australie et il prépare l’exposition Sk-interfaces qui se déroulera à Liverpool du 31 janvier au 31 mars. Régine Debatty en profite pour faire, à sa suite, un intéressant catalogue d’artistes et de performances.

On y relève le travail de NoArk, qui interroge nos systèmes taxinomiques à l’heure où les hommes créent de nouvelles formes de vies. Comment conserverons-nous et montrerons-nous demain ces organismes ? Une question d’autant plus d’actualité que la plupart des oeuvres des bioartistes ne sont plus disponibles que sous formes vidéos ou photographiques. Et de préciser que le bioart ne doit pas être confondu avec des travaux sur le thème de la biotechnologie : les images retouchées, les sculptures de chimères, les programmes informatiques, bref, toutes les formes traditionnelles que les musées connaissent bien, n’entrent pas vraiment dans le registre de l’art biologique. Le bioart se réserve seulement à l’art dont la matière même est biologique.

Le dôme du Huitième jour d

Régine Debatty mentionne aussi le huitième jour, une installation datant de 2001 d’Eduardo Kac (que Régine a également interviewé), qui interroge la nouvelle écologie des créatures fluorescentes (comme les poissons déjà commercialisés en Asie, où des cochons transgèniques qui deviennent fluorescents la nuit…). « Le huitième jour » consiste en un dôme où cohabitent plusieurs espèces génétiquement modifiées : plantes, souris, poissons… comme un miroir de ce qu’il pourrait advenir de notre monde. Une oeuvre qui montre que nous sommes déjà entourés, pour ne pas dire immergés dans le transgénique.

Jens Hauser a ensuite présenté plus précisément l’exposition SK-Interfaces : un évènement qui souhaite montrer comment les artistes utilisent la peau, matériellement et métaphoriquement, comme une interface, en allant au-delà de sa surface pour explorer les enjeux des échanges trans-espèces. On pense par exemple à la xénotransplantation, c’est-à-dire la transplantation de cellules ou d’organes issus d’espèces différentes de la notre, comme l’idée d’avoir demain à notre disposition des fermes d’organes issues de cochons élevés pour cela.

Des cochons comme ferme à organe ?

A l’heure de la dématérialisation (tout est numérique), l’art contemporain explore une tendance à la rematérialisation, à la réintégration corporelle, comme le montre la création de la catégorie « Art Hybride » à la dernière édition d’Ars Electronica. Que se passe-t-il quand on abolit la surface de la peau ? L’industrie cosmétique représente la peau comme quelque chose qui n’a que deux dimensions, comme une surface pour le maquillage. Quelle est la troisième dimension qui se tient sous cette surface lisse ?

Les comédons de Will Delvoye Kira O

D’où l’évocation par exemple du film de Wim Delvoye, Sybille II, qui montre en très gros plan la beauté de l’explosion de comédons ; les inquiétantes performances de Kira O’Reilly utilisant des cadavres de porcs comme poupées ou doubles d’elle-même ; la tête partielle de Stelarc, qui joue de la confusion entre la surface et l’interface et qui consiste en une peau en plastique moulée sur son visage, qui baigne dans un dôme de nutriments et de cellules qui finissent pas contaminer et ronger la peau ; le travail de Julia Reodica de VivoLabs, qui cultive ses cellules corporelles en fines membranes comme des hymens unisexes

le masque de Stelarc les hymens de Julia Reodica

Un catalogue d’horreurs diront certains. Un catalogue de questions que les artistes posent aux biotechnologies plutôt, comme nous allons-nous même bientôt devoir les poser.

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