La rue comme plateforme

Dan Hill, directeur de la conception et des technologies interactives pour la BBC, a publié un long et passionnant article sur la « rue comme plateforme », qui prolonge et nourrit nos réflexions sur la ville comme plateforme d’innovation ouverte.

« La façon dont nous ressentons notre environnement dans les rues sera peut-être bientôt définie par ce qui n’est pas visible à l’oeil nu. (…) Nous ne voyons pas comment la rue est immergée dans un nuage de données. Au-delà des rayonnements électromagnétiques, des ondes radio, télé ou vocales (…), il s’agit d’un nouveau type de données, collectives et individuelles, regroupées et discrètes, ouvertes et fermées, qui enregistrent en continu des schémas de comportement incroyablement détaillés. Le comportement de la rue. »

La rue comme plateforme, une photo de Dan Hill

Et Dan Hill de décrire longuement ces comportements, cette rue d’une ville dont on pourrait visualiser toutes les informations qui y circulent. Cette partie qui forme l’essentiel de son texte (et que je vous invite à parcourir), décrit l’invisible, à la façon d’un instantané, mettant en valeur les flux de données sous-jacents aux activités urbaines et aux relations entre les gens. Dan Hill souligne que ce panorama sous-estime de façon significative la taille, la forme, l’intensité du nuage de données. L’instantané ne suffit pas à exprimer le flux et le reflux des systèmes : « Chaque élément de données provoque des vagues de réactions dans d’autres bases de données connectées, parfois en interaction les unes avec les autres, grâce à la proximité physique, d’autres fois par le biais de connexions sémantiques à travers des bases de données complexes, parfois en temps réel, causant parfois des ondulations des mois plus tard. Certaines données sont une propriété exclusive, fermée et gérée par le secteur privé, d’autres sont ouvertes, collaboratives ou publiques. Mais quelle part de cette activité est-elle clairement perceptible dans nos rues lorsqu’on la regarde avec nos moyens conventionnels ? »

« Les systèmes d’information commencent à changer profondément la façon dont nos rues fonctionnent, dont elles sont utilisées, dont elles se perçoivent. Cela, en soi, constitue un défi majeur pour la pratique actuelle et le vocabulaire de la planification. Quelle part de cette vie de la rue, de ce torrent de l’activité humaine, est-elle vraiment prise en compte dans nos activités de planification ? » Et cela se complique encore si on imagine une scène de rue dans quelques années explique-t-il, avec le déploiement de l’informatique omniprésente : on mesure alors qu’identifier, comprendre, concevoir un plan pour cet environnement est encore plus pressant. Hill fait ici référence aux travaux de l’architecte-géographe Steven Flusty sur les descriptions des nouveaux espaces : comme les « espaces furtifs » (qui ne peuvent pas être trouvés), les espaces glissants (qui ne peuvent pas être atteints), les espaces piquants (qui ne peuvent pas être confortablement occupés), les espaces agités (qui ne peuvent pas être observés sans être utilisés)…

Les schémas de données dans les rues, les systèmes qui permettent de les transporter, la qualité des connexions, leurs différents niveaux d’ouverture ou de sécurité… tout va affecter la façon dont les rues « se sentent », comme le mobilier urbain ou la signalisation routière. « Des trous dans les données, publiques et privées, peuvent devenir plus graves que le nid-de-poule dans la chaussée – jusqu’à ce que vous trébuchiez sur eux, du moins. »

Nos systèmes sont en pleine mutation, souligne Dan Hill. « Dans nombre de ces cas, il y a des décisions à prendre en matière de transparence, de responsabilité, de respect de la vie privée, de sécurité, d’interaction, d’expérience. ». En particulier, cette nouvelle complexité urbaine sera gérée par des acteurs qu’il faut identifier : « Qui est responsable de la représentation de la rue sur les différents systèmes d’information qui la sous-tendent ? Ou, inversement, qui est responsable de la représentation de ces systèmes d’information dans les caractéristiques physiques de la rue ? » Faudra-t-il déposer des permis d’urbanisme pour développer des services numériques dans la ville ?

Dan Hill imagine deux avenirs caricaturaux de la Ville : « la rue refermée », c’est-à-dire, une rue où l’infrastructure numérique est laissé aux partenaires privés, comme c’est déjà le cas de nombre de services urbains, allant de l’affichage à la fourniture d’électricité. La rue devenant une plateforme hautement sécurisée pour le transfert de données autour de systèmes propriétaires qui ne communiquent pas entre eux.

L’autre avenir, bien sûr, c’est « la rue ouverte », c’est-à-dire une ouverture des données qui parcourent la rue afin de permettre une couverture maximale et de stimuler l’engagement et l’innovation.« La réalité, bien sûr, c’est que l’avenir proche de la rue va englober simultanément les deux scénarios – et beaucoup d’autres – en raison de la multiplicité des individus, des services et des produits qui composent un quartier. Concevoir les moyens contemporains qui composent la rue est assurément une façon de comprendre la forme la plus complexe des relations entre les humains et environnement bâti jamais imaginé. »

Les indicateurs de consommation énergétiques de chaque maison, imaginés par Dan Hill

Reste que pour Dan Hill, l’essentiel n’est peut-être pas là. Le plus important est de rendre visible l’invisible. Bien que cela puisse aller à contresens de la tendance actuelle dans la conception de produits – qui est plutôt de dissimuler ou supprimer les coutures qui indiquent comment un produit fonctionne, est construit ou articulé – pour Hill, il faut montrer les coutures de la rue. « En montrant les coutures d’un objet, il est beaucoup plus susceptible d’engendrer la confiance, l’engagement et l’appropriation. » En exposant les données d’une manière ouverte, « on engendre la confiance, on stimule l’innovation et on constitue une relation civique aussi importante que toute autre », explique-t-il. Une idée qu’il détaille dans un de ses projets : l’environnement personnel bien tempéré (présentation en vidéo), un concept très détaillé de tableau de bord environnemental pour les maisons, les villes et même les gens fondé sur la « sousveillance » des comportements individuels. L’idée essentielle de son système, comme il l’explique, est de rendre visibles la consommation électrique et le comportement des gens pour nous aider à changer nos comportements individuels et collectifs et à les rendre plus « durables ». Tracer nos usages énergétiques et les rendre visibles à tous, en permettant de les comparer, de les contraster et de les recombiner avec ceux des autres, est certainement le levier pour changer nos comportements, estime Dan Hill qui pense qu’utiliser l’émulation est un bon moyen pour encourager des comportements civiques et soutenables… Une conception certes très dérangeante sur le plan des libertés individuelles, mais dont la richesse des propositions mérite un examen plus attentif qu’un rejet de principe.

Via Putting People First.

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0 commentaires

  1. Un truc de petit bourge !!! qui peut ce payer ce genre de chose ?

  2. La rue comme plateforme est en construction.

    Apprenez que rendre visible cette rue traversée par de l’information, imaginée par Dan Hill, sera bientôt possible. Avec l’aide d’étudiants en architecture et en technologie, Dan Hill vient d’attaquer le portrait d’une rue sous de multiples perspectives. Les étudiants ont mis en place un blog pour noter leur progression dans la description et nous faire suivre en direct leurs progrès dans la description des informations qui parcourent nos rues.

    A suivre.