Où sont les coopérations fortes ?

Le consultant Charles Leadbeater, célèbre chercheur associé à Demos, le think tank britannique, vient de publier We Think : l’innovation de masse, pas la production de masse et signe une tribune très stimulante dans le Guardian sur la puissance du web 2.0 : « Si d’ingénieux concepteurs de jeux peuvent inspirer des milliers de personnes à collaborer pour résoudre un casse-tête en ligne, pourrions-nous faire quelque chose de similaire pour lutter contre le réchauffement de la planète, soutenir les personnes âgées, aider les victimes de catastrophes, prêter ou emprunter de l’argent, discuter de politique et de décisions publiques, enseigner et apprendre, concevoir et fabriquer des produits ? »

Puissant le web 2.0 ?

construiredescommunautes.jpg Reste qu’il est difficile de voir dans les formes de collaboration que décrit Leadbeater une véritable puissance, car beaucoup d’entre elles n’ont lieu que derrière l’écran et peinent à impacter le réel. Les mobilisations par SMS pour faire tomber les gouvernements de Corée du Sud, des Philippines ou d’Espagne ont-elles été des éléments déclencheurs ou des symptomes ? Certes, comme il le dit, « le web abaisse le coût de la mobilisation », mais cette mobilisation électronique est-elle de même teneur que d’autres formes, a-t-elle la même force ? Mobiliser les gens derrière leur écran n’est-il pas plus facile, mais aussi moins impliquant, que les faire se déplacer à une manifestation ou une réunion ? Leadbeater le reconnait lui-même, nous ne savons pas encore comment nous pouvons nous organiser sans l’attirail traditionnel des organisations. Charles Leadbeater est également conscient que le web « n’améliore que trop imparfaitement la qualité du débat démocratique », ce qui ne l’empêche pas, comme d’autres prophètes du numérique, d’aller de l’avant et de continuer à être optimiste : « Les Etats-Unis dépensent des centaines de milliards de dollars dans une guerre pour apporter la démocratie en Irak. Or, 4 % des gens dans le monde arabe ont un accès haut débit. Le meilleur moyen pour promouvoir la démocratie au Moyen-Orient serait de porter ce taux au-delà de 50 %. » En guise de démonstration, c’est peut-être un peu faible ?

La coopération et la conception ouverte qui caractérisent certains projets sur le réseau tiennent-ils d’un mouvement de fond ou l’outil internet les rend-t-il seulement plus visibles ? Certes l’internet permet, comme le dit Leadbeater, « de créer de nouveaux entrepôts de connaissances au bénéfice de tous », d’innover différemment (pas forcément plus « efficacement » comme il le dit), de développer le débat démocratique (mais peut-être pas de « renforcer la démocratie » comme il l’affirme trop rapidement), « de donner à plus de gens l’opportunité de mieux exploiter leur créativité ». Mais sommes-nous vraiment passé, comme il le clame, de l’individuel « je pense donc je suis », au social « nous pensons donc nous sommes » ?

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Sur l’internet, nos coopérations sont faibles

C’est peut-être mal mesurer la teneur des coopérations que permettent pour l’instant ces outils. La plupart d’entre elles sont dites « faibles », nous rappellent les sociologues Dominique Cardon et Christophe Aguiton dans « La force des coopérations faibles » (.pdf, angl.). C’est-à-dire qu’elles sont le produit de productions individuelles publiques, sans plan d’action, coopération ou motivation altruiste préalable. « L’espace public est vu comme une opportunité pour se rendre visible, et permet d’élaborer des relations et des coopérations à différents niveaux d’engagements ». Une coopération qui peut fonctionner à très large échelle parce que, précisément, elle n’est pas demandée, construite, consciente. Une coopération qui peut fonctionner car elle mêle des utilisateurs aux pratiques parfois très différentes, ce qui serait certainement plus problématique dans la vie réelle.

Cela ne veut pas dire que ces coopérations ne sont pas importantes ou qu’agrégées elles ne représentent pas une force imposante, au contraire. Mais le fait de pouvoir étiquetter des photos sur FlickR et les partager demeure une forme de mobilisation et de coopération diffuse, ténue comme nous le disent les étonnants chiffres de Flickr révélés par l’étude (.pdf, angl.) de l’équipe du laboratoire Sense d’Orange.

Le problème de nos coopérations faibles est qu’elles restent faibles justement, distantes, lointaines, impalpables. C’est leur agrégation qui leur donne de la force. L’internet 2.0 n’a pas fait bouger le monde – ou peut-être pas encore, pourrait-on dire si l’on veut rester optimiste. Il se pose en tout cas plus comme une contradiction, un « je pense donc nous sommes », que comme un changement de paradigme.

« Rendre nos productions personnelles publiques créé une nouvelle articulation entre l’individualisme et la solidarité qui révèle la force des coopérations faibles », détaillent encore Dominique Cardon et Christophe Aguiton. Les coopérations fortes, rappellent-ils, correspondent « aux sociabilités courantes et à un ensemble de fonctions et de modalités d’échanges définies qui donnent aux individus le sentiment qu’ils font partie d’une communauté et qu’ils partagent une vision commune ». Le développement du «  »bon vieux web » a été longtemps conduit par un idéal communautaire, construit via des coopérations organisées entre des participants volontaires. La coopération a longtemps été décrite comme forte : socialisation mutuelle et rôles définis donnant aux membres le sentiment d’appartenir à une communauté et de partager un objectif commun. » En revanche, les coopérations faibles, sur le modèle de la théorie des liens faibles, « nous connectent à des territoires éloignés, ce qui est particulièrement intéressant dans les moments de recherche et d’exploration », mais peut-être beaucoup moins pertinent dans d’autres moments de nos activités comme quand il s’agit de bâtir ensemble l’action collective.

Le web 2.0 pour noter le monde : et puis ?

Le web 2.0 mobilise avant tout ces formes de coopérations là : des coopérations agglomérées, sans plans de coopération prédéfinis, sans préoccupation altruiste reliant ses membres. Quand nous notons nos profs et nos médecins, les garages et les photos, les infos et les vidéos, nous sommes bien dans un espace situé entre l’individualisme et l’action collective, qui n’est pas vraiment l’un, mais pas vraiment l’autre non plus. Leadbeater, à la suite de beaucoup d’autres, présume un peu facilement que nos « coopérations faibles » pourraient sans difficulté se transformer en mobilisations puissantes et conscientes d’elles-mêmes en faveur d’un objectif collectif, étendant ainsi d’une manière considérable le champ de l’action collective.

Oui, le réseau permet aussi à des « coopérations fortes » de s’établir (coopérations professionnelles, mobilisations politiques par exemple), de produire de manière efficace, de s’élargir et parfois d’atteindre des échelles inimaginables auparavant. Oui, le réseau permet, par agrégation, à des actes individuels ou des relations à petite échelle, de produire des effets collectifs massifs. Mais y a-t-il une voie de passage entre ces deux constats ?

Quels outils, quels techniques, quelles pratiques surtout nous aideront à faire progresser le degré de coopération ? Peut-on espérer que nos coopérations faibles deviennent un jour des coopérations fortes ? Est-ce que le réel permettra aux mobilisations virtuelles de mieux s’exprimer ou au contraire continuera-t-il longtemps à les distinguer et à les minorer – parfois il faut le reconnaître, avec raison ?

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. J’ai vraiment très souvent constaté que l’internet était surtout un révélateur de signaux faibles (autant sur des problèmes et que sur des potentialités).

    À la question de savoir si « la coopération et la conception ouverte qui caractérisent certains projets sur le réseau tiennent-ils d’un mouvement de fond ou l’outil internet les rend-t-il seulement plus visibles », je pense que cela tient au fait que :
    – l’internet permet une motorisation puissante
    – l’internet accélère les choses, permet de faire beaucoup plus vite des choses qui prendraient un temps fou en terme d’échange et de consolidation d’information notamment
    – l’internet leur permet d’être des manières de faire qui sont plus productives
    En fin de compte, pour moi, l’internet rend certains modèles possibles et porteurs, là où ils ne l’étaient pas avant. Mais cela n’empêche pas qu’ils ont été pensés bien avant que l’internet n’existe.

    Pour le reste, je ne pense pas sain de mettre le web sur un piédestal, ou en faire la solution à nos faiblesses humaines, individuelles ou collectives. C’est bien que le web 2 ne soit plus magique. Le web ne l’a jamais été et on l’a trop pensé.
    Cela dit, ça n’empêche pas que, parfois, il permette à certaines choses de progresser plus vite.
    Tachons de comprendre et de progresser dans la mise en application. On n’en est qu’au début !

  2. Nous avons beau nous trouver sur un site dont la géopolitique n’est pas la spécialité revendiquée, ni le coeur du propos, il faut quand même une bonne dose d’ignorance ou de naïveté pour (faire) croire, tel quel, sans aucune réserve, que « les Etats-Unis dépensent des centaines de milliards de dollars dans une guerre POUR apporter la démocratie en Irak. » Quel extraordinaire altruisme…

    Pour le reste cet article rend compte très fidèlement je trouve des atouts et des limitations du web 2.0 en matière de potentiel de coopération.

  3. @Pascal : comme l’indique les guillemets, ce sont les propos de Charles Leadbeater, pas les miens.

    @Alexis : Entièrement d’accord Alexis, reste que nous cédons souvent trop facilement au piédestal de la web révolution, preuve qu’on le pense souvent pas forcément « trop », mais plutôt mal les modifications induites par le web – et nous y participons certainement autant que d’autres.

    @Florence. Bien sûr. Les gens utilisent le web 2.0 et seront de plus en plus nombreux. Mais cela ne veut pas dire que cela peut transformer les comportements ou les valeurs en profondeur. C’est en tout cas ce que je retiens de la lecture d’Aguiton et de Cardon.

  4. Hubert, les guillemets ne m’avaient pas échappé ; néanmoins rien n’interdit d’apporter un petit point de commentaire de nature à se démarquer en le relativisant le propos ainsi rapporté. D’ailleurs, c’est ce que vous faites dans le paragraphe suivant à deux reprises :

    – d’innover différemment (pas forcément plus “efficacement” comme il le dit),
    – de développer le débat démocratique (mais peut-être pas de “renforcer la démocratie” comme il l’affirme trop rapidement)

    Ceci étant dit je ne mets pas une seule seconde votre bonne foi en doute.

  5. Cher Hubert,

    Voilà un article qui trahit un p’tit coup de blues tout de même ce qui, après tout, n’est pas étonnant tant il est vrai que les bonnes surprises géopolitiques (!) ne sont pas toujours à l’heure au rendez-vous, là où on les attend.

    M’en vais quand même tenter de te redonner le moral 😉

    L’omniprésence des seuls liens faibles dans les études de France Telecom (pardon, dans les études de Dominique Cardon et de Christophe Aguiton) n’aurait-elle pas quelque chose à voir avec le fait que c’est très facile à observer les liens faibles sans gros efforts en dehors de laisser les compteurs tourner devant les yeux. La discrétion des liens faibles, leur inscription dans le temps long, ne supposerait-elle pas des études d’une autre trempe pour en conclure et donc à une autre échelle de temps ?

    Il faudrait d’abord sur ce terrain là (mesurer la coopération) cesser de prendre le Web pour l’Internet, que celui-ci soit de 1 de 2 ou de 3ème génération. N’est-il pas raisonnable de redire que le Web est un service parmi d’autres dans une totalité qui s’appelle l’Internet.

    Mais tu marques bien la différence toi-même : d’un côté « Le web 2.0 mobilise avant tout ces formes de coopérations là : des coopérations agglomérées, sans plans de coopération prédéfinis, sans préoccupation altruiste reliant ses membres. » et de l’autre « le réseau permet aussi à des “coopérations fortes” de s’établir (coopérations professionnelles, mobilisations politiques par exemple), de produire de manière efficace, de s’élargir et parfois d’atteindre des échelles inimaginables auparavant. ».

    C’est bien clair et nous sommes donc d’accord, le web, sous-ensemble fonctionnel du réseau, service parmi d’autres services, ne produit pas par lui-même des coopérations fortes sinon un flux dans lequel il est intéressant de plonger mais qui ne prend son sens et ne s’inscrit dans la grande transformation des rapports sociaux que par le jeu avec le réseau dans son ensemble.

    C’est plus fin à étudier mais j’admets que, pour France Telecom il puisse y avoir moins de motivation à l’étude ; le web et les foules du web ça peut se vendre et se revendre de suite tandis que le réseau (phénomène total comme l’explicite si bien Paul Mathias) c’est invendable.

    Bref, rien n’est perdu camarade, c’est à peine le début et il serait dommage de conclure trop vite.

    Amitié,
    Olivier

  6. Ne serait il pas intéressant de différencier les liens, qui peuvent être faibles, des coopérations, qui peuvent être fortes. Il est assez évident que les investissements que nous avons dans un SNS ne sauraient être profond pour tous les membres de notre réseau social. Par contre, les coopérations qui *résultats* de l’ensemble de ces liaisons peuvent être fortes.

    Ces liaisons faibles donnent lieu à une sociabilité syncrétique. Dans ce type de sociabilité, les différences entre les individus ne sont pas très importantes. Sur le net, l’absence de différence totale, c’est être un lurkeur. Puis, on peut être quelqu’un qui transmet du contenu, ou en produit…
    Le modèle est ici celui de la communauté d’insecte. L’imaginaire de la communauté d’insectes est d’ailleurs assez présent sur les groupes en ligne, et plus particulièrement dans la blogosphère. Ne buzze t on pas comme des abeilles bourdonnent ?

    Il nous faut aussi comprendre pourquoi ces liaisons sont habituellement faibles. On peut avancer quelques hypothèses : l’éclipse des corps, le flux continu de nouveaux objets, y participent certainement. Il faut également mettre ces liaisons faibles en regard d’autres liens beaucoup plus fermes, voir même aliénants. Les trolls en sont un exemple type

    Qu’en pensez vous ?
    Je pense que les coopérations fortes sont données par… les trolls. Cela peut paraitre étrange de mettre ces deux mots – troll, coopération – cote à cote.

  7. Je ne sais pas si France Télécom a tendance à faire des études sur ce qui est facile à observer Olivier, mais ce qui est certain en tout cas, il me semble, c’est que si le réseau permet à la fois à des coopérations faibles et fortes d’exister, ce n’est visiblement pas à la même échelle. Les deux types de coopérations sont certainement favorisées par les effets de réseaux mais pas de la même façon. En tout cas, le passage d’un type de coopération à l’autre ne me semble pas si évident… D’où mon doute – mais il est ancien – sur la révolution du web 2.

    @Yann. Je ne sais pas si ce n’est pas l’inverse finalement. Des coopérations faibles peuvent donner des liens faibles, comme l’explique la théorie de Mark Granovetter, mais avoir des conséquences fortes. Mais j’ai dû mal à voir les trolls comme héraults des coopérations fortes, au moins parce qu’ils n’est pas sûr qu’ils partagent une vision commune de leur pouvoir de nuisance ;-).

    @Loran. Effectivement, le projet Chanology est un contre-exemple intéressant du type de ceux que Rheingold traque. Mais voyons bien que ces contre-exemples, ces coopérations qui se renforcent, prennent conscience d’elles-mêmes, pour l’instant, demeurent rares, éparses, isolées, peu reproductibles. Souhaitons que cela bouge, mais cela prendra assurément du temps, beaucoup de temps.

  8. Hubert lorsque tu dis – « si le réseau permet à la fois à des coopérations faibles et fortes d’exister, ce n’est visiblement pas à la même échelle. Les deux types de coopérations sont certainement favorisées par les effets de réseaux mais pas de la même façon. » – nous sommes parfaitement d’accord (je n’en doutais pas d’ailleurs) et l’auto-proclamée révolution web2 est une sorte de tabouret à un pied qui a bien du mal à servir à autre chose qu’à traire les vaches à lait.

    Ce serait mieux de considérer un tabouret à trois pieds si l’on veut observer des phénomènes durables (ne pas se casser la figure toutes les 5 minutes). Pardon pour les analogies rurales mais je pense à une conférence très joyeuse de Michel Authier dont l’enregistrement video a malheureusement disparu du web.

    Si nous accordons sur le fait que la coopération c’est la résolution des problèmes par le jeu durable des connaissances entre elles (connaissance dans le double sens du terme amis et savoir-faire), Michel formulait cela avec élégance : dissoudre, résoudre, absoudre les problèmes : dissolution, résolution, absolution.

    Le web2 c’est la dissolution du problème dans le flux des informations croisées, la résolution des problèmes c’est la découverte heureuse d’un mode d’emploi tout fait contenant LA solution au problème (et les documents foisonnent sur le web) enfin l’absolution au sens premier du terme c’est à dire le fait de confier son problème à quelqu’un pour qu’il le résolve à sa place c’est certainement ce que facilite le phénomène total de l’Internet qui multiplie les opportunités de contracter (lien fort) avec des connaissances en abaissant la barrière de la distance.

    Sur un tabouret à trois pieds comme celui-là la coopération en réseau fonctionne quotidiennement. Ce n’est pas tant « le passage d’un type de coopération à l’autre » qui n’est pas « évident » que l’observation, l’analyse et la description claire de ces allers et retours multiples d’un registre à l’autre qui font précisément « réseau social ».

    Ce serait heureux pour commencer que chacun d’entre nous réserve alors le terme de « réseaux sociaux » pour décrire l’ensemble et non contribue à faire croire par l’emploi abusif de ce terme que le tout est dans un seul aspect de la question. C’est ce que je reproche essentiellement à des études comme celle de Dominique Cardon et Christophe Aguiton (au-delà de mes provocations sur France Telecom) c’est ce détournement sémantique que j’espère inconscient de leur part.

  9. A Olivier : très instructive votre prose champêtre ! 🙂
    Dommage pour la vidéo !

    L’équilibre à trois pieds plutôt qu’à un pied me semble une approche stabilisante assez sûre..quoique…le trois me semble toujours très académique…on peut surement trouver encore plein d’autres pieds ! Là, je taquine ! 🙂

    Une chose est sûre, ce n’est pas tant l’observation, l’analyse et la description claire de ces allers et retours multiples d’un registre à l’autre qui font précisément « réseau social »…c’est les acteurs, ce qu’ils vivent et ce qu’ils construisent qui fait réseau social…il s’agit de recherche/formation/action…bref il s’agit de vies et de gens…pas de mots et de concepts vides de sens…ou plutôt plein du sens que l’on met pour eux !

  10. Pendant que j’y suis : qui décide de la force d’une coopération sinon les acteurs eux-mêmes…là encore la généralisation abusive et l’arbitraire sont des dimensions sociologiques qui ne cadrent pas avec la vie de tous les gens…a ce propos, il y a plein de blogs ou l’on cause ! 🙂

  11. La « coopération forte » entre citoyens, ce ne serait pas par hasard ce que les anciens appelaient « Démocratie » ?

  12. le 05/04/08, sur la liste , Bastien a écrit :
    Est-ce qu’on peut m’expliquer le potentiel esthétique qui couve dans le
    passage de l’IPV4 à l’IPV6?

    Ben IPv6 pourrait permettre d’éviter que l’Internet se recroqueville en forme de Minitel 2.0
    http://reglement.mezzoproject.com/Minitel2Zero

    Comme tente de l’expliquer cet extrait de « GAME OVER, changeons l’Internet! »
    (Troll sur la liste ISOC-refondation en cours de réformulation sur: http://perspective-numerique.net/wakka.php?wiki=GameOver )

    « Il est dit partout que la version actuelle du protocole sur lequel fonctionne l’Internet depuis 25 ans (IPv4) arrivera à saturation vers 2011 et qu’en conséquence le passage à la version 6 (IPv6) devra avoir lieu avant, c’est-à-dire tout de suite. Beaucoup n’ y voient un saut quantitatif, à savoir que les nouvelles adresses disponibles à profusion (2 puissance 128, soit environ 2,56 × 10 puissance 38) pourront être utilisées pour identifier, relier et contrôler n’importe quoi (qui), ce qui peut être la source de nouveaux profits. Bref, rien de nouveau. C’est évidemment une vison très réductrice. Il y a en effet dans IPv6 l’amorce d’un changement qualitatif d’une importance décisive: c’est la notion d’adressage de groupe connue sous le nom de « IP Multicast » définie par Steve Deering dès 1985.

    Dans l’Internet tel que nous le connaissons, il est impossible de réunir un « groupe » – ce terme désignant une assemblée en conversation synchrone comprenant plus de deux personnes – ce qui peut vouloir dire des millions – sans avoir recourt à une machine particulière effectuant la commutation entre les individus. Cette machine dépend nécessairement de « quelqu’un », le plus souvent d’un tiers extérieur au groupe (Facebook par exemple). Le « lieu de la rencontre » est nécessairement « privé ». Il faut donc le dire et le répéter : il n’existe pas à ce jour de véritable « espace public » sur l’Internet. L’espace public n’est tout au plus qu’une collection d’espaces privés interconnectés. Dans le contexte de verrouillage commercial et sécuritaire du réseau auquel nous assistons, la surveillance automatique des réunions privées équivaut de plus en plus à une « interdiction de réunion sur la voie publique ».

    Les « adresses de groupe » prévues dans la prochaine version de l’Internet font potentiellement sauter ce verrou. Elles ne sont pas attachées à une machine particulière. A ce jour, elle ne sont pas la propriété de qui que ce soit, et peuvent être choisies et utilisées par n’importe qui. Tel que défini par Steve Deering, le Multicast est un protocole symétrique, c’est à dire qu’il est théoriquement possible pour tous de recevoir ET d’émettre un flux de quelque nature que ce soit sous couvert d’un numéro de groupe. Bien entendu, il faut pour cela des logiciels particuliers8 capables de formater et d’interpréter ces données. Dès lors, il est possible avec le Multicast de faire de manière économique et sans dépendre de tiers, beaucoup de choses que l’ont fait déjà avec l’Internet Unicast actuel, mais il est surtout envisageable de concevoir une toute nouvelle classe d’applications collaboratives distribuées qui pourraient rendre désuètes très rapidement celles du Web2.0.

    Il y a donc en germe dans IPv6 une toute nouvelle culture du réseau, voire le changement de paradigme qui pourrait remettre les compteurs à zéro. *Ipv6 peut contribuer à créer enfin un véritable espace public sur l’Internet, à condition que cette idée soit défendue.*

    Ce changement, nous l’analysons comme le passage d’un réseau fonctionnant suivant une forme de « perspective temporelle » admettant comme point de fuite les serveurs assurant la commutation des groupes, à un autre où s’exercerait une « perspective numérique » régulée par des « codes de fuite » que sont les adresses IP de groupe. Cette transformations extrêmement profondes pourraient conduire l’actuelle « économie de l’attention » a muter en une « économie du lien » impliquant de tout autres rapports sociaux. Elle induit au passage un renouveau complet des formes de légitimité des structures présidant aux destinées du réseau. Dans un esprit plus proche de la « seconde cybernétique, ces organismes devront s’inclure eux-mêmes dans le système auquel elles président, et donc devenir acentrées, comme lui. »

    Bon, en terme de potentiel esthétique, disons que c’est pas mal: de mémoire d’homme, nous n’avons pas connu un « espace public » affranchi des « espaces privés » depuis la fin du paléolithique, il y a 10 000 ans environ

  13. conclusion : du bazard ET de la cathédrale !
    pas vraiment un scoop !
    ça été abordé par Mintzberg dans son approche de l’adhocratie : pour perdurer ces « structures » innovantes ont besoin de mettre en place des règles…tout l’art consisterait à mettre en place des règles et des organisations qui peuvent de déstabiliser et se ré-équilibrer de façon pertinente en fonction de leurs contextes !

  14. J’aime beaucoup ton texte Hubert et la discussion est très intéressante. Je voudrais juste ajouter mon petit grain de sel parce que je crois qu’il est inutile d’opposer coopération faible et forte, comme deux choses distinctes, concurrentes ou qui se substitueraient l’une à l’autre. Il s’agit plutôt de regarder le processus par lequel s’institue la coopération sur le web. En disant que le web 2.0 se caractérise par des coopérations faibles, avec Christophe Aguiton, on veut simplement dire que la coopération est quelque chose qui émerge, une conséquence imprévue de l’engagement d’individus curieux, quelque chose dont les contours se dessinent dans l’action commune. La qualité de « fort » ou de « faible » est une question d’intentionnalité collective, un classique en théorie de l’action : soit les acteurs sont habités par un plan d’action commun préalablement à leur engagement, soit ils le découvrent et le construisent ensemble dans le cours de leurs engagements réciproques. Mais ensuite, les coopérations faibles peuvent avoir toutes les géométries possibles. Souvent, il s’agit de liens effectivement éphémères, lointains, fragiles et intermittents. Mais parfois aussi, il s’agit de réelles actions communes, engageantes, fortement signifiantes pour les personnes. La force de la coopération n’est pas une propriété des systèmes techniques ou des plateformes, mais des acteurs engagés, de ce qu’ils font ensemble, de ce qu’ils mettent en commun, de la manière dont ils organisent leurs règles de vie collective. Et de cela, Wikipédia, nous donne un exemple remarquable et sublime (oui oui sublime, je crois qu’on ne s’émerveille jamais assez sur le miracle d’inventivité collective qui préside aux règles d’auto-régulation de Wikipédia !).

    Pour Granovetter, et pour nous qui lui reprenons l’idée pour le web 2.0, le titre complet du modèle est « La FORCE des liens (coopérations) faibles ». Or cette force qui fait retour est la chose la plus intéressante. Elle est cette sorte de ruse de la raison qui fait émerger la coopération, la mobilisation, l’action collective en marge, à côté ou tout simplement ailleurs, des avant-gardes militantes, des programmes venant du haut et des schémas organisationnels tout fait. C’est le tissu relationnel, proliférant, inchoatif, déceptif surement pour tous ceux qui voudraient que les acteurs soient responsables, bien éduqués et altruistes à temps plein, qui rend possible l’émergence plus dense, plus concrète ou plus forte d’actions collectives.

    Du coup, cette question appelle me semble-t-il une vraie réflexion politique sur la forme des collectifs sur le web. Le modèle de la force des coopérations faibles est en parfaite adéquation avec la gauche libérale-libertaire. Il en est même sans doute la meilleure illustration. Il faut lire l’excellent livre de Fred Turner, From CounterCulture to Cyberculture, qui raconte parfaitement comment les communautés hippies des années soixante ont fait la synthèse de la communauté, du new age, des technologies personnelles et de l’esprit d’entreprise (à côté et sans connexion avec les mouvements sociaux militants étudiants, féministes, etc.). Il y a bien une scission qui s’est opérée entre les deux gauches militante et communautaire (sociale et artiste, dans les catégories de Boltanski-Chiapello). Le web et plus encore les dynamiques relationnelles du web 2.0 sont une parfaite illustration de la seconde. A mon avis, cela a plein d’avantages et c’est le seul modèle viable dans nos sociétés hautement individualistes et fortement critique. Qui a encore envie d’enrôlements militant programmatique, réunissant des acteurs socialement et culturellement homogène dans une chefferie verticalisée ? La maxime d’Hubert « Je pense donc nous sommes » n’est pas illogique ou incohérente. Elle résume parfaitement notre manière contemporaine d’articuler individualisme et solidarité, de créer des formes collectives qui n’abolissent pas l’esprit critique et l’indépendance des acteurs. Simplement, il est aussi nécessaire d’être conscient et critique vis-à-vis du format d’action qu’elle produit : beaucoup de petits collectifs, peu de stabilité des engagements, une grande indétermination des objectifs, une perméabilité au monde marchand, une dépendance vis-à-vis des communicants et, surtout, une très grande inégalité sociale et culturelle entre ceux qui maîtrise la « vie en réseau » et ceux qui s’y perdent, n’y sont pas ou n’en veulent pas.

  15. Intéressant Dominique…surtout le jeu FORCE / FAIBLESSE…jusqu’à ce que vous colliez une étiquette politique sur les processus en cours et que vous oubliez purement et simplement de les inscrire dans le temps et dans une dynamique de maturation…ce qui n’enlève rien aux problématiques et et limites actuelles mais les situent dans des perpectives évolutives !

  16. Merci beaucoup Dominique d’exprimer bien mieux que moi les critiques sur le format de l’action produite, qui me semblent essentielles.

  17. Ce débat est symptomatique des veilles visions du web (bien vu le coup du minitel 2.0). Je suis d’accord avec les deux Olivier : Il faut repenser le web comme un ensemble comprenant différents réseaux, différentes entités communautaires ayant autant d’interactions de communication que de coopération à prendre en compte.

    MSN (ou similaire) a copié IRC en ajoutant des contacts pérenes aux communications, FaceBook a copié MSN en ajoutant le contenu des interactions à ces contacts.. Vous voulez une nouvelle killer app ? trouvez ce qu’il manque à une interaction et généralisez la.. (la réponse est sur le google). trouvez et je vous promet que quelqu’un d’autre trouvera une autre innovation de continuité qui prendra le pas sur la votre dans les 2 ans. Il faut une innovation de rupture (amenée avec subtilité) qui soit adaptée a notre activité de consommation et de diffusion d’information grâce à Internet.

    @Hubert, je suis a peu prés sur que tu peux trouver rapidement au moins 3 difficultés (= outils inadaptés) dans ta production quotidienne et collective de billets/commentaires. Est-ce vrai ? (je ne publie pas encore assez pour me rendre bien compte par moi-même, mais j’ai pu l’observer)

    @ Dominique Cardon « … une très grande inégalité sociale et culturelle entre ceux qui maîtrise la “vie en réseau” et ceux qui s’y perdent, n’y sont pas ou n’en veulent pas. » C’est l’adaptation des TIC (les réseaux par exemple) aux activités quotidiennes de ces personnes qui réduira ces inégalités. Facebook l’a compris pour les réseaux étudiants et festifs, Myspace pour les artistes et Viadeo/LinkedIn pour les échanges pros.

  18. Tardivement – bravo pour cet excellent billet. Problème parfaitement posé, débat en commentaires passionnant !

    Le sujet qui me préoccupe le plus, sur l’exemple de la recherche d’emploi : Quelles formes de production fortes peuvent émerger efficacement de coopérations faibles ?

    La théorie de Granovetter est fondée sur un exemple très particulier : la recherche d’emploi par les seuls salariés qualifiés américains, faut-il le rappeler – or les modes d’obtention d’un emploi dépendent fortement du pays et du type d’emploi. Ça mérite de creuser sur les conditions qui rendent productif un réseau de coopérations faibles (comme J.-M. Cornu l’avait déjà fait brillamment en 2001).