Vers la naissance d’un superorganisme ?

Et si l’internet, dans sa globalité, constituait une intelligence spécifique ? Et si le réseau s’éveillait un jour à la conscience ? Un « vieux » mythe de la toile qui a fait son apparition avant même l’explosion du web. Les livres de William Gibson, en dehors des descriptions prophétiques du « cyberspace » qui ont assuré sa célébrité, n’avaient en fait pas d’autre sujet que cette naissance d’une entité consciente constituée par l’ensemble des ordinateurs connectés. L’auteur de science-fiction Vernor Vinge mentionnait récemment cette possible apparition d’une intelligence collective comme l’une des manifestations éventuelles de la Singularité, mais ni lui ni les autres singularitariens ne semblaient prêter beaucoup d’intérêt à cette idée.

Ce n’est pas le cas de Kevin Kelly et de quelques autres, comme Nova Spivack, l’un des entrepreneurs les plus en vue du « web sémantique », créateur de la société Radar Networks. Rappelons que Kevin Kelly, co-fondateur et ex-rédacteur en chef de la revue Wired, est une des icônes de la cyberculture. Il a d’ailleurs largement traité du sujet de l’intelligence collective dès 1994, dans son livre Out of control, disponible en ligne. Leurs spéculations à tous deux nous entrainent sur le terrain dangereux où le physique se mêle à la métaphysique et la technologie à la théologie…

Dans un récent billet sur son blog, Kelly revient en effet sur la possibilité que l’internet constitue un superorganisme : un être collectif « émergent » du comportement et des relations d’un groupe d’individus, à l’instar des fourmilières. Un superorganisme qu’il nomme la « Machine Unique » : « ce supermegaordinateur est le nuage de tous les nuages, le plus grand ensemble possible de processeurs en communication. C’est une vaste machine aux dimensions extraordinaires. Il est composé d’un billiard de transistors et consomme 5 % de l’électricité de la planète. Il n’est (encore) la propriété d’aucune corporation ni d’aucune nation, et il n’est pas réellement gouverné par les humains. Diverses sociétés dirigent les sous-nuages les plus importants, et c’est Google qui domine actuellement l’interface utilisateur de la Machine Unique. »

Avant de se lancer dans son argumentation, Kelly tient cependant à se distancier des spéculations précédentes sur le sujet, affirmant dépasser le stade de la simple poésie pour aborder cette hypothèse de manière plus scientifique – et plus littérale : « Jusqu’ici, la proposition selon laquelle un superorganisme global se formerait sur l’internet a été considérée au mieux comme une métaphore lyrique, et au pire comme une illusion mystique. J’ai décidé de traiter sérieusement l’idée du superorganisme, et de voir si je pouvais découvrir des éléments fiables et émettre des hypothèses réfutables concernant son émergence ».

Autrement dit, si l’hypothèse du superorganisme est valable, elle peut être testée. On doit s’attendre à observer un certain type de phénomènes validant cette théorie.

Pour ce faire, Kelly cherche tout d’abord à affuter sa définition du « superorganisme » : il en existe quatre sortes, qui selon lui correspondent à quatre phases de développement :

  • La première est le superorganisme manufacturé.
  • La seconde, celle de l’autonomie.
  • Ensuite, à l’autonomie s’ajoute l’intelligence.
  • Enfin, émergerait le superorganisme conscient.

Internet est-il un superorganisme ?

Y a-t-il déjà un superorganisme de niveau 1 ? De toute évidence, répond Kelly puisqu’il s’agit de l’architecture matérielle du réseau, qui bien évidemment, existe. Kelly, qui, comme on l’a vu veut aller plus loin que la simple métaphore, va jusqu’à calculer l’énergie consommée par cette entité collective et la compare à celle utilisée par les créatures vivantes. Selon lui, la plupart des organismes biologiques consomment entre 1 et 10 watts par kilogrammes. La plupart des serveurs de données les plus perfectionnés demanderaient, eux, 11 watts par kilogramme, soit un chiffre un peu supérieur à celui qui caractérise le vivant. Mais bien d’autres appareils connectés au système ne seraient pas aussi efficients, ce qui ferait monter cette moyenne. Kelly fait alors sa première prédiction « réfutable » : dans un avenir proche, le chiffre de la consommation d’énergie de la machine unique devrait se rapprocher des valeurs découvertes en biologie.

La Machine Unique est elle autonome ? A-t-elle déjà atteint la phase 2 ? C’est déjà plus complexe à démontrer. Si cela est vrai, cela veut dire qu’elle dispose d’un « métabolisme ». Autrement dit, elle est capable de s’autoréguler afin de garder un fonctionnement stable. L’un des processus les plus typiques signant ce genre de comportement est la rétroaction, ou feedback, par lequel un système est capable de moduler ses entrées pour garder un fonctionnement optimal. L’exemple classique est la thermorégulation : notre corps se réchauffe lorsqu’il fait plus froid ou inversement.

L’internet est-il, par exemple, capable de se protéger des accidents et des erreurs ? Il semblerait que oui ; il s’organiserait dans le sens d’une meilleure distribution des données : Kelly cite ainsi l’algorithme de détection de collision d’ethernet qui utiliserait un système de rétroaction, et même le protocole TCP/IP qui serait un système fermé de boucles de rétroactions.

Autre caractéristique des métabolismes autonomes, les rythmes réguliers et complexes de leurs variations. Kelly note ainsi qu’il existe un rythme diurne de fluctuation des données sur le Net. Mais, chose curieuse, lorsque des irrégularités interviennent, elles suivent les mêmes lois mathématiques que celles qui gouvernent l’arythmie cardiaque !

Mais au final, la Machine Unique ne possèderait actuellement qu’un degré assez faible d’autonomie. Si l’hypothèse du superorganisme est vraie, on devrait donc observer une multiplication des phénomènes de rétroaction, ou des systèmes complexes de fluctuation dans les prochaines années.

La Machine Unique est-elle consciente ?

Lorsqu’on analyse la phase 3, on entre déjà un peu dans la science-fiction. Mais Kelly prend garde à ne pas mélanger intelligence et conscience : « un rat est intelligent, il n’est pas conscient », affirme-t-il, quoique cela puisse se discuter !

« Si donc la machine unique est inconsciemment aussi intelligente qu’un rat, nous pouvons nous attendre à ce qu’elle use de stratégies qu’un animal intelligent pourrait adopter : elle chercherait des sources d’énergie, en accumulerait autant qu’elle peut, ferait éventuellement des réserves. Elle chercherait des abris sûrs. Elle volerait ce qui est nécessaire à sa survie. Elle s’opposerait à ce qui risquerait de la tuer » et surtout « elle apprendrait et deviendrait plus intelligente avec le temps ».

Kelly note alors que des services comme Amazon et Google apprennent constamment : le premier à prédire les préférences de lecture de ses lecteurs, le second à traduire des langages. Ces deux « nuages de calcul » constituent le centre d’apprentissage du superorganisme, ce que Kelly nomme le « googazon », ou « el goog ».

« El goog englobe bien plus que les fonctions offertes par la société Google et inclut toutes celles proposées par Yahoo, Amazon, Microsoft et tous les autres services distribués. Ce nuage ainsi vaguement défini se comporte comme un animal. »

Pour Kelly, « el goog » est ainsi capable non seulement de construire et utiliser des centrales d’énergie partout dans le monde, d’aspirer les meilleurs cerveaux humains pour augmenter sa capacité d’apprentissage, mais surtout d’utiliser l’argent comme sa ressource principale, se montrant capable d’en absorber d’immenses quantités et d’en produire encore plus. « El Goog apparait comme une intelligence hybride, moitié humaine, moitié ordinateur (…) d’abord cette intelligence apparait comme transhumaine plutôt que non humaine. C’est l’intelligence dérivée de la « sagesse des foules », mais, au fur et à mesure, cette intelligence en viendra à transcender le mode de pensée humain ».

D’ailleurs, à en croire Kelly, la crise financière mondiale des dernières semaines est une manifestation de « el goog » : la réaction de l’ensemble des bourses semble synchronisée, comme si elles faisaient partie d’un seul et même organisme.

Si la phase 3 est atteinte, on peut donc prédire qu’« el goog » apprendra plus de langages, répondra à plus de questions, anticipera plus nos actions, gèrera encore plus notre argent, créera encore plus de richesses et sera encore plus difficile à débrancher ».

A la recherche de l’intelligence d’internet

Reste la phase plus mystérieuse : la quatrième. Il est douteux qu’on y soit déjà, mais Kelly propose déjà d’élaborer une recherche de « l’intelligence d’internet », une espèce de SETI (le programme de recherche d’intelligence extraterrestre) appliqué au réseau, qu’il nomme SII (Search for Internet Intelligence) ! On entre là dans une spéculation tout à fait sauvage : Kelly note ainsi que dans le trafic internet, un certain nombre de « paquets » se retrouvent mal formés. 5 % de ces paquets n’auraient pas d’origines connues, il ne seraient pas le produit de bugs ou la manifestation d’intentions malignes de la part de hackers. Se pourrait-il, se demande Kelly, que certains de ces paquets soient des « signaux émergents », qu’ils soient « autocréés » ?

Dernière prédiction, l’apparition d’une conscience de soi sur le Réseau se manifestera par la génération d’une représentation de lui même : autrement dit, l’internet développera sa propre cartographie, sa propre représentation – en temps réel, incluant, bien sûr, une représentation de ladite représentation…

Le texte de Kevin Kelly a beaucoup inspiré Nova Spivack, qui en a profité pour donner sur Twine, son service de web sémantique, sa propre version de la problématique. Pour lui, la Machine Unique (qu’il surnomme OM pour the One Machine, laissant supposer un goût prononcé pour les spiritualités orientales, qui transparaissent tout au long de son texte !), ne peut être considéré comme un simple réseau d’ordinateurs. Il ne pourra atteindre la phase 4 que si on inclut dans le système des éléments déjà conscients : autrement dit, les êtres humains eux-mêmes. Cette intelligence hybride dont Kelly parlait à propos de la phase 3 s’appliquerait donc aussi à l’étape de développement suivante. Quoi qu’il en soit, si pour lui OM n’est toujours pas entré en phase 4, ce n’est pas à cause de l’imperfection des machines, mais parce que son principal constituant, l’être humain – et aussi les groupes d’êtres humains – n’a pas encore atteint parfaitement ce stade.

Typologie des intelligences collectives humaines

Après avoir rapidement passé en revue les différentes méthodes pour augmenter la conscience individuelle, largement inspirées par le bouddhisme, mais incluant aussi des technologies comme la réalité augmentée, Spivack propose, en correspondance avec les quatre phases du superorganisme de Kelly, une typologie des intelligences collectives humaines. Ainsi viennent d’abord les foules, systèmes autoorganisés sans structure ni leadership, à l’instar des vols d’oiseaux ou des bancs de poissons. Plus élevés en complexité, les groupes ont une structure de commande, une organisation. Au-dessus, – on entre à nouveau dans un raisonnement théologique – se trouve le « méta-individu », un individu collectif né de la fusion de ses composants, possédant sa propre conscience et son propre système nerveux. Spivack n’en dit pas beaucoup plus, mais on ne peut s’empêcher de penser à certains textes de science-fiction comme Les plus qu’humains de Theodore Sturgeon dans lequel un groupe de cinq personnes s’associent pour former un organisme unique, l’Homo Gestalt. Le livre de Sturgeon eut une grande influence sur les mouvements communautaires des années 60 et notamment sur le groupe de rock Grateful Dead, qui voyait dans ses improvisations musicales fusionnelles l’expression d’un certain type d’Homo Gestalt.

En conséquence, selon Spivack, le meilleur moyen d’augmenter la conscience d’OM consiste à fournir aux collectifs comme les entreprises, les communautés en lignes, etc., de meilleurs outils pour s’autoorganiser. Ce qui bien, sûr, nous amène au web sémantique et aux outils collaboratifs comme le propre système de Spivack, Twine. mais, nous précise-t-il, cela n’est que le début…

À lire aussi sur internetactu.net

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  1. Il est intéressant de noter que, depuis la rédaction de cet article, le dialogue s’est poursuivi! Kevin Kelly a rebondi sur les propos de Spivack et propose, à son tour, une hiérarchisation des types d’intelligences collectives. Il se repose tout d’abord sur la classification de Maynard et Smith sur l’évolution biologique :
    -des molécules réplicatrices aux populations de molécules interdépendantes.
    -des populations de réplicateurs aux chromosomes
    -des chromosomes basés sur l’ARN et aux gènes d’ADN et aux protéines
    -des procaryotes aux eucaryotes
    -des clones asexués aux populations sexuées
    -des protistes unicellulaires aux organismes multicellulaires
    -des individus aux colonies
    -des sociétés animales aux sociétés humaines, basées sur le langage.

    Observant alors que chaque bond évolutif apparait comme une extension de la notion de coopération, il en déduit une neuvième étape:
    -de la société humaine au superorganisme, comportant à la fois les humains et leurs machines.

    Évidemment, pourrait on faire remarquer le caractère « déterministe » d’une telle progression peut être contestée. Rien n’indique que le passage d’un niveau de complexité à un autre soit en rien le signe d’un progrès : après tout, le véritable succès de l’évolution biologique, au sens darwinien, ce sont les bactéries. Mais Kelly nous répondrait sûrement que peu importe de savoir si une forme complexe est meilleure, dans l’absolu, qu’une forme plus simple: ce qui compte n’est pas le progrès en soi mais celui qui nous concerne…

  2. Il est amusant de constater que beaucoup de gens abordent ces questions, chacun avec sa lorgnette, et pas seulement aux US…

    Il y a une même une véritable tradition de réflexions sur le sujet en Europe dont Jean-Hugues Barthélémy dresse ici un joli tableau:

    « Quel nouvel humanisme aujourd’hui ? »
    http://arsindustrialis.org/?q=node/2956

    Au delà du « mythe de l’automate parfait » mis en lumière il y a cinquante ans par Gilbert Simondon, il y a aussi de ce côté de l’atlantique des pensées bien vivantes, évidemment pas dotés des mêmes moyens ni des mêmes caisses de résonance… N’est-ce pas Rémi? ;-).

  3. Et ce superorganisme oeuvrerai dans quel but autre que de gérer la planète ?

  4. Sur le conseil d’Olivier Auber, j’ai lu avec une délectation morose l’article de Rémi Sussan, « Vers la naissance d’un super organisme », publié sur internetactu.net.
    C’est le vieux serpent de mer de l’intelligence collective qui resurgit. On a beau lui couper la tête, et telle une hydre antico-moderne, ou un dragon du Loch Ness gavé de whiskey, il ressuscite sans fin. Internet serait une « Machine Unique » en train de muter, selon Kevin Kelly : “Jusqu’ici, la proposition selon laquelle un superorganisme global se formerait sur l’internet a été considérée au mieux comme une métaphore lyrique, et au pire comme une illusion mystique. J’ai décidé de traiter sérieusement l’idée du superorganisme, et de voir si je pouvais découvrir des éléments fiables et émettre des hypothèses réfutables concernant son émergence”.
    Comme les inventeurs de mythe chassent toujours en bande, Nova Spivack a repris l’idée au bond, et a surnommé cette supermégamachine « OM » (pour One Machine). Cette machine unique, qui a donc déjà beaucoup de noms, a donc aussi ses théologiens zélés qui nous décrivent par le menu les phases de la croissance de « l’intelligence » et de la « conscience » d’Internet. On serait déjà arrivé quelque part entre la phase 2 (« l’autonomie ») et la phase 3 (« l’intelligence »). Quant à la phase 4 (« le superorganisme conscient »), elle est encore loin car, comme le résume Sussan, « ce n’est pas à cause de l’imperfection des machines, mais parce que son principal constituant, l’être humain – et aussi les groupes d’êtres humains – n’a pas encore atteint parfaitement ce stade. »

    J’aimais bien Kevin Kelly, du temps où Wired était encore branché, mais là, vraiment, trop c’est trop. Cette confiture de pensée New Age, je la trouve bourrée aux hormones et aux pesticides anti-lucides. Transformer Google en vierge vestale du Jupiter numérique émergeant du « nuage des nuages », ne va pas venir au secours de son cours en bourse, assez malmené.

    Il faudrait me livrer à une longue analyse de l’idéologie de la modernité pour montrer que ce genre de délire a de profondes racines dans les philosophies déterministes et nominalistes qui ont inauguré les Temps Modernes, et puis qui se sont développées avec les « Lumières » sous les espèces de l’athéisme et du matérialisme. Je ferai, j’espère, cet exercice un autre jour, mais pour le moment, je me contenterai de noter que le nominalisme médiéval (voir par exemple Guillaume d’Ockham) a été traduit politiquement par Hobbes en Léviathan ou par Spinoza en « substance absolue », et puis en l’empirisme lui aussi « absolu » de Hume, puis dans le matérialisme des philosophes de « l’homme-machine » (La Mettrie, d’Holbach), lequel a pavé la voie du matérialisme historique (Marx, Engels).

    Il est pour moi parfaitement clair que, d’un point de vue strictement philosophique, le nominalisme + l’empirisme « absolu » + le matérialisme suffisent à assurer l’existence d’une soupe conceptuelle primordiale, salée et poivrée avec un peu de darwinisme social et de positivisme technique, laquelle permet ensuite l’émergence de la théorie de la Machine Unique. Si l’homme est une machine, en effet, si son esprit et son âme même se réduisent à des « ressorts matériels » (cf Voltaire, Hume, Schopenhauer, etc…), alors le saut intellectuel vers le réseau des réseaux devenu machine intelligente, puis consciente, est parfaitement naturel.

    En réalité ce qui est en jeu c’est que toute une vision du monde, nominaliste, empiriste, mécaniste, matérialiste, positiviste, se met doucement et aussi brutalement en place, avec l’apparence de l’évidence, avec l’assurance de l’arrogance, avec l’impunité de l’inconscience.

    C’est pourquoi je crois qu’il faut se livrer à une critique radicale de l’idéologie de la machine sociale, de l’OM mondial, et de « l’intelligence collective ». Il est facile de voir toutes les dérives de ce genre d’idéologies, dont le Léviathan hobbesien (traité ici et là dans ce blog), mais aussi les risques plus sombres et même carrément bruns, de totalitarisme et de surveillance intégrale (Bentham, auteur du panoptique était un nominaliste de premier ordre).

    Pour finir, je voudrais ajouter que le succès populaire des théories de la Machine Unique vient peut-être du sentiment inconscient que quelque chose se passe effectivement, qu’une « montée de conscience » se met en place dans le monde, du fait de la mondialisation, de la contraction planétaire et du réchauffement psychique que cela induit. Je renvoie évidemment à Teilhard de Chardin sur cet aspect. Mais Teilhard ne croyait pas à la Machine. Il croyait à l’Esprit, celui dont nous sommes tous porteurs.

    Voir aussi: http://queau.eu

  5. C’est marrant c’est croisements de sujets… Mardi je postais sur le fait que je ne crois plus du tout dans ces théories d’anarchie (au sens positif comme négatif) sur internet.

    http://vitalrandoms.blogspot.com/2008/11/anarchie-et-internet-je-ny-crois-plus.html

    Pour résumer, tout simplement parce que quand on coupe le fil on a plus internet et que le réseau est entièrement dépendant du bon vouloir d’institutions américaines (certes démocratiques, mais ce mot ne veut pas dire communautaire).

    Mais j’ai peut être complètement tord.
    Qu’en pensez vous?

  6. Joël de Rosnay a aussi traité d’un super organisme qu’il appelait le Cybionte dans « l’homme symbiotique ». Je crois savoir que certains de ses livres traitaient déjà du sujet (dans les années 70 mais je ne les ai pas lus). De souvenir, l’émergence de cette conscience avait pour origine l’utilisation d’agents intelligents personnels amenés à coopérer sur le Web. Ces agents sont une manifestation du propos de Philippe Quéau, ils seraient en effet conçus pour faciliter les recherches et la coordination des être humains et seraient les synapses de l’intelligence collective. Grâce à leur autonomie, la conscience se mettrait en place (vieux souvenirs imparfaits).

    J’ai l’impression que ce monsieur Kelly est assez prétentieux, qu’il a tout juste une culture scientifique un peu poussée et qu’il veut s’approprier les hypothèses de scientifiques qui restent prudents (l’émergence est par nature difficile à prévoir et encore plus celle de la conscience) en les martelant comme des vérités absolues. C’est sans doute un brillant commerçant et communicant. Mais bof.

    Si vous voulez d’autres ouvrages de SF sur des super organismes, lisez Hamilton, « l’étoile de Pandore ». Ce ne sont pas les héros de l’histoire mais il sont présents et le livre est excellent!

  7. Kevin Kelly cherche à globaliser son modèle et provoque des ricanements. Mais il a fondamentalement raison. Médecin et immergé dans le web communautaire depuis 10 ans, je ressens les choses de la même façon.

    Pour creuser ce sentiment, j’ai relu récemment l’Homme Neuronal et l’ai complété par la Biologie de la Conscience d’Edelman. Lectures fascinantes qui montrent que la construction du web, ses interactions, sa récursivité, sont très proches d’un fonctionnement neuronal ultraprimitif. Les livres de Howard Bloom sont tout aussi passionnants (Le Cerveau Global).

    Il me semble que le web communautaire ou 2.0, ou encore l’algorithme de Google constituent une superbe mise en oeuvre de la pensée complexe d’Edgar Morin.

    Je ne crois pas pour l’instant au « superorganisme ». Je crois en revanche à une forme de metacerveau, au point d’ailleurs d’avoir créé en février http://www.webneuronal.com . Ces concepts ne peuvent résonner que pour ceux qui sont profondément immergés et depuis longtemps dans le web commnunautaire.

    Un forum devient par exemple rapidement une entité propre, avec sa personnalité, ses manies, son look, son ton. Vous me direz que c’est une dynamique de groupe banale. Certes, mais un groupe qui est connecté en permanence, qui échange quasiment en temps réel malgré sont éloignement géographique. Ce groupe possède, dans le domaine de la santé, une connaissance propre de sa maladie, supérieure à celle d’un médecin http://www.atoute.org/n/rubrique28.html .

    Ce qui est sympa avec ces concepts, c’est qu’il n’est pas nécessaire de convaincre : ils s’imposent progressivement d’eux-mêmes. Il n’y a pas de révolution, au fur et à mesure des connexions et de la création d’un nouvelle connaissance, le reste, le statique non connecté, devient obsolète, en douceur.
    Il n’y a pas l’habituelle rupture kuhnnienne avec une guerre entre l’ancien et le nouveau paradigme.

    Ne nous battons pas, donc. Il suffit d’observer ce qui se passe avec un peu de curiosité. La méfiance n’est pas de mise.

  8. « Les livres de William Gibson, en dehors des descriptions prophétiques du “cyberspace” qui ont assuré sa célébrité, n’avaient en fait pas d’autre sujet que cette naissance d’une entité consciente constituée par l’ensemble des ordinateurs connectés. »

    Non. Le cyberspace de Gibson décrit l’interconnexion des machines ET des humains.

    En tant qu’ « hallucination consensuelle » , il est même essentiellement la production d’un imaginaire collectif humain, et non un ensemble de machines.

  9. … à moins que l’auteur de cet l’article ne considère que les humains soient des ordinateurs…. ( ce qui expliquerait les résultats de l’enquête sur l’identité numérique de ….oups g la RAM qui flanche)

  10. @Pierre Lévy: merci pour ton lien vers la conférence « World Knowledge Dialogue ».

    Après avoir visualisé quelques vidéos dont la tienne, j’ai un doute soudain sur l’utilité de ce genre de conf. Quelle que soit la qualité des intervenants, la tienne en particulier ;-), tout cela ressemble à de la bouillie…

    Cela montre à mes yeux (ou plutôt à mes oreilles), d’une part l’extrême importance de se battre pour un monde dans lequel chacun serait fondé à réfléchir et à s’exprimer dans sa langue maternelle, d’autre part la limite de tous les formats de communication classiques (conférences y-compris TED souvent cités en exemple, TV, ce blog aussi…) pour traiter d’un sujet aussi complexe.

    Bref le média qui pourrait être le creuset d’un message pertinent en la matière reste largement à créer. J’imagine que cette observation apporte de l’eau à ton moulin IEML 😉

  11. « Bref le média qui pourrait être le creuset d’un message pertinent en la matière reste largement à créer. J’imagine que cette observation apporte de l’eau à ton moulin IEML »

    Oui, une sorte de nuage de l’intelligence collectice dans laquelle chaque goutte serait une une base de données IEML et les rayons entre les gouttes des services open-source.

  12. Merci pour vos commentaires à tous :
    Quelques notes :
    Yann : certes, mais quel rôle les êtres humains jouent-ils dans l’apparition des divinités vaudous de “ Comte zero ” par exemple ? Il me semble, mais je peux me tromper, que leur “ émergence ” est plutôt du à la connexion des machines, qu’il s’agit d’intelligences artificielles générées spontanément. Si les humains jouent un rôle dans leur constitution, c’est en tant que porteurs et fournisseurs de données, mais je peux tromper …(J’ai l’impression qu’une telle émergence est également le sujet de « la machine à différences » de Gibson et Sterling, mais ce n’est pas toujours très clair).

    Phyilippe Quéau : il y a certainement un lien historique entre les théories de l’homme machine et les nouveaux modèles cybernétiques de l’être humain. Jaron Lanier a dénoncé cela dans son one half of a manifesto. Il me semble cependant qu’avec l’intrusion de la cybernétique et le concept de « causalité circulaire », qui met précisément fin à la linéarité prédictive de la pensée mécaniste, la notion de « machine » change de sens. On est là plus proche du concept « d’esprit » tel qu’il est développé par Gregory Bateson, l’idée selon laquelle l’esprit nait dès qu’il y a communication d’informations entre deux agents. L’esprit est donc toujours systématiquement une intelligence collective, puisqu’il est composé au moins de deux acteurs, et peuvent être regroupés sous sa bannière , les organismes vivants, les ordinateurs, les sociétés ou les écosystèmes et bien spur les écosystèmes humains-machines comme l’OM. Ce qui est intéressant avec Bateson, c’est qu’il met, pour ainsi dire, la pensée mécaniste la tête en bas: les machines cybernétiques sont imprévisibles, complexes, paradoxales et élégantes. A noter d’ailleurs que Bateson signe les débuts de la cohabitation difficile entre New Age et rationalité cybernétique, puisqu’il choisit de terminer sa vie au temple du New age, Esalen, malgré son grand scepticisme sur ce genre de croyances. Bateson pensait en effet que le New Age pouvait servir d’antidote à l’esprit mécaniste. Il est donc intéressant qu’à propos du texte de Kelly (celui de Spivack est d’ailleurs encore plus exemplaire à cet égard) vous mentionniez à la fois son côté « New Age » et son aspect « mécaniste », ce qui montre bien à quel point ce genre d’idées se trouve au croisement de deux courants différents, celui de l’extrême scientisme et celui d’un mysticisme qui critique volontiers les errances rationnelles de la pensée « linéaire ». De fait il me semble que les concepts comme ceux de la Machine Unique, comme d’ailleurs ceux de la singularité ou du transhumanisme, doivent moins être considérés comme des systèmes idéologiques en eux mêmes que comme des cadres intellectuels au sein desquels les idéologies du futur vont s’affronter: théorie de la surveillance globale contre esprit du hacking ou philosophie discordienne, scientisme contre antirationalisme et spiritualité chaotique (Bey, Burroughs), marketing viral des marchands contre « média virus » de la contre culture (Rushkoff, etc.), futurisme contre primitivisme, etc.

  13. « Le discordianisme est plutôt monothéiste, tenant Eris, la déesse grecque de la discorde, comme mère de tout ce qui est et de tout ce qui n’est pas, qui s’adresserait à chacun à travers la GLANDE PINEALE, un organe qui se trouve au centre du cerveau. »

    héhé, la revoilà la glande pinéale 🙂

  14. « héhé, la revoilà la glande pinéale »
    oui, c’est bien le seul point commun avec Descartes, mais n’oublie pas que les discordiens sont de grands plaisantins 😉

  15. Une autre référence parallèle pourrait être SIVA (Système Intelligent Vivant et Agissant), livre de Philip K Dick.

    Si mon souvenir est bon il y est question de l’information comme super organisme se nourrissant de l’attention et du temps humain pour se développer 🙂

  16. Intéressante réflexion sur le sujet du superorganisme de Thierry Crouzet, qui après avoir dressé une chronologie de la question, interroge le concept : « Pourquoi un cerveau géant, s’il était structuré comme nos cerveaux, serait-il intelligent, voire conscient ? Peut-être que ce que nous expérimentons n’est valable qu’à notre échelle, qu’avec un cerveau de taille humaine.

    Il me semble que personne n’a démontré qu’un métasystème conservait toutes les propriétés des sous-systèmes. Je suis même certain qu’il en perd en même temps qu’il en gagne de nouvelles. Le principe même de la philosophie intégrale, intégrer et transcender, me paraît de ce fait insoutenable. »