ProspecTic 3/12 : Stratégies pour les biotechnologies

ProspecticA l’occasion de la parution de « ProspecTic, nouvelles technologies, nouvelles pensées ? » par Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fing – un ouvrage pédagogique et de synthèse sur les défis des prochaines révolutions scientifiques (Amazon, Fnac, Place des libraires) -, il nous a semblé intéressant de revenir sur les enjeux que vont nous poser demain nanotechnologies, biotechnologies, information et cognition.

Quelles sont les prochaines révolutions technologiques à venir ? Quels défis nous adressent-elles ?

Cinq méthodes originales utilisées par le vivant

Le vivant propose un mode de production qui utilise cinq méthodes originales. Outre leur utilisation dans le domaine des technologies du vivant (les biotechnologies), elles pourraient proposer de véritables changements de paradigme si elles étaient employées dans d’autres secteurs, couvrant pratiquement toutes les sciences.

Tout d’abord le système de double paroi permet de prendre un milieu (de l’eau) et de le séparer en un intérieur et un extérieur. Il ne s’agit pas de mettre une frontière entre deux choses différentes, mais plutôt de créer une nouvelle entité à partir d’un milieu ambiant.

La deuxième découverte a trait aux protéines (et en partie à l’ARN). Ces usines du vivant ont une fonction donnée le plus souvent par leur forme. Le passage d’une séquence linéaire d’information à une structure 3D fonctionnelle se fait grâce à un ensemble complexe de règles de repliement dues aux forces chimiques faibles. En cela, la programmation de la forme de la protéine est très différente de l’usinage (qui décrit une séquence dans le temps des différents endroits dans l’espace où il faut retirer de la matière) ou de l’approche plus récente des imprimantes 3D (qui décrit pour chaque point de l’espace, l’existence ou non de matière). Grâce à leur forme tridimensionnelle, les protéines pourront obtenir certaines fonctions (ossature de la cellule, clé s’insérant dans une serrure, usine complète transformant des molécules, etc.).

La troisième méthode utilisée par le vivant est la capacité d’une chaîne comportant les informations de création de s’autorépliquer grâce à un mécanisme d’appariement des briques de base. La structure, lorsqu’il s’agit de l’ADN, est donc double ou plus précisément en double hélice. Elle s’ouvre, telle une fermeture Éclair, pour reconstituer ensuite deux nouvelles doubles hélices en acceptant de nouvelles bases qui peuvent s’apparier à chaque brin. Ce système constitue ce que Jacques Monod a appelé « le premier secret de la vie ». Ainsi, l’information linéaire qui permet la création des structures 3D de la vie (protéines mais aussi ARN) est non seulement conservée, mais elle peut se répliquer sans intervention extérieure.

Une quatrième spécificité du vivant consiste à créer les structures 3D du vivant non pas seulement à partir des informations linéaires conservées, mais également en fonction des composants présents dans la cellule et des informations venant de l’extérieur. Ces informations d’expression ou non des gènes constituent le « second secret du vivant » selon Jacques Monod. Contrairement à la plupart de nos approches, ce n’est pas tant l’information qui est importante mais son inhibition ou activation.

Enfin, le vivant ne peut se comprendre qu’en prenant en compte les différents niveaux d’échelle (molécule, cellule, organisme, écosystème) et leur influence les uns sur les autres. Ainsi, le fonctionnement d’une cellule est influencé par les macromolécules qui la constituent, mais aussi par la forme adoptée par les réseaux de molécules et par l’environnement de la cellule. Même si certains résultats dépendent principalement d’un seul niveau (biologie moléculaire, biologie des systèmes ou génétique des populations par exemple), d’autres nécessitent une articulation entre ces différentes influences. Ce cinquième changement de paradigme est le résultat des lois de la complexité, comme nous le verrons au chapitre suivant.

ProspecTic, la carte de la biologie et des biotechnologies

Les débats autour des biotechnologies et des possibilités de la biologie s’articulent autour de quatre grands thèmes (les mêmes que ceux que nous avons vus dans le domaine des nanotechnologies) :

Le risque sanitaire
Le risque zéro n’existe pas, mais la question de l’évaluation des risques est complexe et nécessite des temps très longs. Entre la caractérisation d’une nouvelle molécule et l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un médicament l’utilisant, il peut s’écouler une dizaine d’années, parfois plus. Le premier produit alimentaire génétiquement modifié a été commercialisé en 1990 aux États-Unis et au Canada. Il s’agissait de la chymosine, utilisée pour la fabrication des fromages. Le débat sur les OGM est vif et il est parfois difficile d’obtenir des informations pertinentes non partisanes.

Le risque peut également être environnemental. Les cultures transgéniques en plein champ présentent un risque de dissémination des nouveaux gènes introduits dans les parcelles voisines, malgré des parcelles tampons.

De plus, la présence permanente de toxines dans les cultures génétiquement modifiées pour résister aux animaux ravageurs pourrait favoriser l’apparition de résistances dans leur population, réduisant à néant l’intérêt de la variété transgénique. Il s’agit d’un cas où le manque de transparence a conduit à une méfiance par rapport aux industriels, mais également face aux décideurs et aux chercheurs.

Le risque pour les libertés individuelles
L’étiquetage des OGM doit permettre au consommateur d’exercer sa liberté de choix, car la modification génétique n’est généralement pas visible. Mais le nombre d’informations à vérifier sur les emballages risque de rendre cette mesure peu opérante.

De même, la possibilité d’obtenir le séquençage d’un génome pour moins de 1 000 $ pose la question du séquençage du génome d’une personne autre que soi-même (en prélevant un peu de salive sur un verre par exemple) ou encore de la conservation et la réutilisation de ces informations par les sociétés qui effectuent le séquençage.

Par ailleurs, si le génome indique des prédispositions à certaines maladies, il est important que ces données personnelles puissent être maîtrisées par leur propriétaire et puissent rester confidentielles.

Le risque de voir dériver l’usage des technologies
La légitimité de l’utilisation d’embryons humains à des fins thérapeutiques pour produire des cellules souches est âprement discutée. Nous avons vu que les travaux récents sur les cellules IPS pourraient transformer la donne. Mais la question reste d’actualité car si nous sommes capables de modifier ou de cloner des plantes ou des animaux, rien ne nous empêche d’aboutir à un « homme modifié ».

Encadré
Les biotechs en chambre
Rob Carlson a montré que les progrès du séquençage et de la synthèse ADN sont comparables voire supérieurs à la fameuse loi de Moore qui montre l’intégration d’un nombre exponentiel de transistors dans les circuits intégrés. « On peut aujourd’hui acquérir les différents éléments d’un synthétiseur d’ADN pour 10 000 dollars. En 2010, un individu devrait être capable de séquencer, mais aussi synthétiser environ 10 puissance 10 bases par jour. Une décennie plus tard, la même personne sera en mesure de séquencer ou synthétiser l’ADN de tous les habitants de la planète en une journée ou son propre ADN en quelques secondes. » Il devient donc de plus en plus facile de synthétiser de nouvelles formes de vie potentiellement dangereuses.

Face à ce risque, les modes de régulation classiques semblent impuissants et ne pourraient conduire qu’à un marché noir des biotechnologies. La stratégie alternative proposée par le chercheur tient en trois points :
– Ne pas restreindre la recherche ou la circulation de l’information. Face à un danger, l’ignorance est le pire ennemi.
– Au contraire, organiser un réseau ouvert de chercheurs suivant les principes de l’open source en informatique (des chercheurs communiquant sur le net et partageant leurs résultats pour chercher ensemble des solutions).
– Utiliser la biologie elle-même contre les risques qu’elle suscite sous la forme d’organismes modifiés capables d’avertir des changements dans l’écosystème et même d’agir dessus. Par exemple des bactéries transformées pourraient détecter des attaques bactériologiques et peut-être même les inhiber.

Le risque de déconnexion
La commercialisation de produits OGM n’est pas issue d’un débat public mais d’une volonté industrielle. Les politiques, pour faire leur choix, doivent comprendre les enjeux sanitaires et sociétaux qui leur sont présentés souvent par les mêmes lobbies industriels. Ce manque de transparence a suscité l’essor de mouvements anti-OGM. Le débat s’étant bipolarisé fortement, il s’agit plus d’un rapport de force que d’un véritable débat de
société, qui rechercherait un juste équilibre entre le principe de précaution face aux risques énoncés précédemment et les opportunités offertes dans les domaines de l’alimentation des populations, de la médecine et de l’environnement.

Encadré
La révision de la loi sur la bioéthique
La loi sur la bioéthique du 6 août 2004 doit être évaluée et révisée en 2009. Plusieurs points devraient entraîner de longs débats :
– La procréation médicalement assistée, y compris la gestation par autrui et la gestation post mortem, c’est-à-dire utilisant une mère porteuse après la mort des deux parents biologiques.
– Le recours à des tests génétiques à des fins autres que thérapeutiques.
– Les greffes avec organes de personnes vivantes.
– La levée du moratoire sur les cellules souches embryonnaires humaines.
– La brevetabilité et la vente de produits issus du corps humain.
– L’impact des découvertes récentes sur le fonctionnement du cerveau humain.

Ces risques et la difficulté de faire avancer les débats sont également amplifiés par les mêmes points que ceux que nous avions vus dans le chapitre sur les nanosciences et nanotechnologies :

Le déséquilibre entre la rentabilité et la gestion des risques
Les enjeux industriels sont énormes pour les biotechnologies, en particulier dans les domaines agroalimentaire et pharmaceutique. Le problème des conflits d’intérêts y est central avec, par exemple, la question des brevets
sur le vivant ou bien la structure du débat public entre les différentes parties. Il ne peut être résolu uniquement par de bonnes intentions. Des quatre domaines des NBIC, celui des biotechnologies est celui où les désaccords sont apparus de la façon la plus visible.

La difficulté culturelle à travailler de façon pluridisciplinaire
Nous avons déjà observé ce point dans le chapitre sur l’interdisciplinarité. Nous avons vu que si la difficulté à vulgariser les avancées récentes des biologies et des biotechnologies est réelle, celle-ci est amplifiée du fait de la multiplicité des approches des différentes sciences. S’agit-il de déterminer les caractéristiques des constituants élémentaires (principalement au niveau moléculaire), les propriétés globales du système pris comme un graphe ayant ses propres propriétés ou bien l’influence de l’environnement ?

Articuler ces trois types d’explication pour comprendre les phénomènes observés sera de plus en plus indispensable au fur et à mesure que nous rentrerons dans une compréhension plus intime des sciences du vivant. La biologie est même le domaine où la différence entre les modes explicatifs et la nécessité de les articuler est d’abord apparue avec les travaux d’Ernst Mayr, puis ceux de Michel Morange.

Jean-Michel Cornu
Extrait de ProspecTic, nouvelles technologies, nouvelles pensées, FYP Editions, 2008.

Pour en savoir plus, voir les annexes sur le blog de Jean-Michel Cornu :

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires

  1. Bonjour, votre article est original est sympa pour le néophyte. J’en profite pour mettre quelques lignes sur mon site et faire un lien vers votre article.
    Bien cordialement,
    Benjamin

  2. J’ai complété ce qui était dans ce chapitre de Prospectic avec un article : « Les biotechnologies : 3 grands types et 3 domaines de production » qui présente une vision synthétique des biotechnologies.

    On y retrouve les trois grandes applications qui étaient aussi celles des nanotechnologies :
    Les technologies de l’information (mémoire ADN mais aussi directement des systèmes de calcul parallèle…)
    Les matériaux (avec bien sûr les systèmes organiques de type OGM mais aussi d’autres types de matériaux organiques ou non)
    les systèmes (une protéine est une usine qui peut produire une fonction mécanique, optique, hydrolique…)

    J’y parle également des trois méthodes des biotechnologies : génie génétique (le plus connu), génie microbiologique et génie protéique.