Quand YouTube remplacera Google

La facilité d’accès aux vidéos en ligne, incarnée par la plateforme de partage de vidéo YouTube, change profondément la société, concluaient les intervenants du Web 2.0 Summit à San Francisco qui discutaient sur le sujet du web et de la politique (vidéo, transcription en français des meilleurs moments). YouTube est récemment devenu le second moteur de recherche du monde selon Comscore (passant devant Yahoo !), avec 344 millions de visiteurs uniques (voir les chiffres d’audience mis en avant par Didier Durand). En juillet 2008, 75 % des internautes américains ont visionné 5 milliards de vidéos en ligne, soit plus de 54 vidéos en moyenne par personne et par mois, estime Comscore. Non seulement presque tout le monde regarde des vidéos en ligne, mais toute conversation, significative comme insignifiante, est désormais filmée – et tous ces films sont accessibles sur YouTube.

Le champ de recherche qui s'affiche dans les vidéos de YouTubeEn affichant depuis quelques jours sur toutes les vidéos embarquées un champ de recherche, la fonction de YouTube comme moteur de recherche est devenue d’un coup plus manifeste. Est-ce que cela suffit pour penser, comme le suggèrent certains observateurs, que YouTube pourrait devenir le prochain Google (et comme YouTube appartient à Google, voilà qui devrait limiter les querelles de succession) ? Est-ce que les contenus vidéos vont transformer notre expérience du web ? Et si l’après-Google, correspondait à un web où les textes seraient devenus non seulement une part mineure des contenus (c’est déjà le cas), mais leur consultation également une part mineure des usages ?

Les plus jeunes ont tendance à utiliser YouTube comme moteur de recherche, c’est-à-dire à regarder les contenus du web seulement sous l’angle vidéo, comme si les contenus textuels n’existaient pas ou plus. Pour eux, une grande partie de leur expérience du web s’arrête aux vidéos qu’ils y trouvent. Dès à présent, les usages de YouTube explosent auprès des pré-adolescents remarque WebMetricsGuru et on ne compte plus ceux qui écoutent de la musique via YouTube, pour profiter des clips en même temps que des morceaux de musique. Comme l’explique une étude suédoise, regarder des clips vidéos sur YouTube est une activité sociale pleine et entière, tant pour en discuter que pour les échanger.

Force est de constater, à la suite d’Alex Iskold du ReadWriteWeb, qu’on trouve tout sur YouTube et que le site est en passe de devenir l’encyclopédie vidéo qui vous renseigne sur la danse contemporaine comme sur la politique locale, qui permet de porter un regard sur l’actualité des personnalités comme sur l’activité numérique de nos semblables, voire sur le caractère avant-gardiste de leurs productions. Comme c’était le cas avec Google : si on ne vous trouve pas sur YouTube c’est que vous n’existez pas. D’où le fait que tout le monde cherche à investir le site de partage vidéo, que ce soit le futur président des Etats-Unis, comme les terroristes islamiques. Voilà longtemps que, dans une folle course en avant, les grands succès du web imposent leurs pratiques aux utilisateurs si ceux-ci veulent y exister.

Encadré : Les limites techniques et économiques
Bien sûr, YouTube pour l’instant ne fonctionne que sur les contenus que les internautes lui fournissent et n’indexe pas les contenus vidéos provenant d’autres plates-formes. En cela, il n’est pas un « vrai » moteur de recherche à la recherche de toutes les vidéos disponibles sur le web quelque soit leurs formats. De plus, comme tout moteur de recherche, YouTube n’est pas parfait : les recherches spécifiques fonctionnant bien souvent mieux que celles sur des sujets généraux, qui peinent à renvoyer des résultats pertinents (Astrophysique fonctionne beaucoup moins bien que Simpsons Mapple par exemple). Autre difficulté technique encore à résoudre : les propos de ces vidéos ne sont pas indexés par le moteur. Ce qui rend impossible de retrouver un passage particulier perdu dans la nasse des milliards de vidéos indexés. Mais comme le montre Google lui-même avec son outil d’indexation audio, à la suite de Blinkx ou EveryZing, l’indexation des contenus vidéos est amenée à progresser. Nous serons donc capables demain de chercher de l’information dans les propos tenus dans les vidéos, de sélectionner les commentaires vidéos selon des mots clés ou des termes de recherche. Enfin, l’ajout d’outils de reconnaissance des formes ou des visages, comme Viewdle permettra également d’aller plus loin dans l’indexation et donc à terme dans la fluidité avec laquelle nous naviguons entre et dans les vidéos.

La comparaison Youtube Google en terme de pages vues

Autre problème majeur pour Youtube : rendre cette révolution technologique économiquement soutenable. Car transformer le coût de la bande passante de ce milliard de vidéos vu chaque jour sur YouTube en argent sonnant n’est pas si simple explique Rémi Douine sur le blog d’Actualité de la recherche en histoire visuelle. En effet, YouTube a besoin de centaines de milliers de serveurs pour distribuer des vidéos qui ne sont vus en moyenne que par une poignée d’utilisateurs. Et la question de comment rentabiliser ce trafic reste pendante. Même si YouTube vient visiblement de décider d’utiliser AdSense pour monétiser ses contenus, en faisant s’afficher des publicités en bas des fenêtres vidéos, rien n’indique que la solution sera suffisante pour rentabiliser le trafic. Pourtant, des solutions commencent à s’esquisser, comme celle suggérée par Auditude : le système identifie le contenu originel de chaque vidéo publiée sur MySpace et fait apparaître en surimpression le programme d’origine, sa date de diffusion et un lien vers des magasins où l’on peut acheter la musique ou l’épisode en question. Surtout, une fois le contenu originel trouvé explique TechCrunch, Auditude ajoute un encart publicitaire à la vidéo dont les revenus iront au propriétaire du contenu original, quelque soit la personne qui a chargé la vidéo. Une invention qui permet d’imaginer une rémunération de facto de la dissémination des contenus par la foule comme le dit très bien Alexis Mons : « le piratage devient l’essence même du business ». On pourraitimaginer bien d’autres solutions comme ajouter des publicités facilement dans les vidéos, à la manière du projet ZunaVision, capable d’ajouter des publicités d’une manière réaliste dans les surfaces planes qui figurent dans un film. Dans le domaine, il est à parier que l’innovation va faire feu de tout bois dans les prochains mois. Le temps presse : la rentabilité de YouTube est devenue une priorité pour Google.

Tout contenu peut-il devenir une vidéo ?

Dans ce monde où la recherche vidéo rattrape la recherche tout court, une question doit être à présent posée : tout contenu peut-il devenir une vidéo ? Chaque texte que nous produisons pour le net peut-il être transformé en vidéo ? Les amoureux de l’écrit comme nous vous diront que ce n’est pas possible, que la vidéo ne concurrence pas l’écrit et ne s’y substitue pas. Néanmoins, on le voit bien déjà, le champ de la vidéo semble s’étendre toujours un peu plus. Après ce qui tenait naturellement de la vidéo (clip, pub, émissions de télé, interviews…), celle-ci arrive sur de nouveaux champs, comme le montrent par exemple ces vidéos de chercheurs qui rendent accessibles sous forme visuelle leurs résultats de recherches ou ces tutoriels en vidéo (sur un spectre grandissant de sujets) qui remplacent de plus en plus les communiqués de presse, les articles et les guides d’antan. Si le flux de la vidéo continue de progresser, pourrons-nous nous passer de transformer tout propos, tout communiqué de presse, toute information en vidéo ? Assurément pas et c’est d’ailleurs ce qui commence à se passer comme le montre les vidéos accompagnant le lancement de tout nouveau service ou de toute nouvelle start-up du web.

Alex Iskold n’est pas convaincu de cette transformation automatique. Pour lui, ce sont les hyperliens qui rendent le web possible. Or, s’il est désormais possible d’intégrer des liens dans les vidéos (exemple), force est de reconnaître que le support s’y prête mal, que le lien n’a pas la même clarté qu’un lien dans un texte. Mais est-ce un obstacle suffisant à la visibilité immédiate que promet l’image animée par rapport au texte ? Autre critique fréquente : la vidéo est moins facile à copier-coller. Le remixage demande plus de technicité, malgré l’existence d’outils toujours plus simples d’utilisation comme JumpCut, Rifftrax, ou d’autres. Mais là encore, notre utilisation accrue du support vidéo nous conduira certainement à être tous mieux à même de produire des contenus vidéos.

Autre objection courante : écouter une vidéo monopolise plus l’attention que parcourir un texte. C’est une critique récurrente qui a été faite à l’encontre de tous les contenus au format vidéos, que ce soit les commentaires en vidéo de Seesmic aux CV en vidéo. Certes, la vidéo n’est pas une fin en soi. Malgré la justesse de ces critiques, que j’aurais tendance à partager d’ailleurs, je me demande si nous ne passons tout de même pas à côté de quelque chose. On le sait, ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas pratiques, pas fluides, pas simples à utiliser que les gens ne font pas usage de certaines technologies. On peut dire que les commentaires vidéos ou les CV en vidéo ne sont pas une bonne option, raisonnablement, cela ne veut pas dire que la pratique ou la mode ne vont pas l’imposer : au moins parce qu’il n’y a pas que des arguments rationnels à utiliser ou pas un support. Les internautes qui échangent des commentaires en vidéo sur Seesmic ne le font pas avec une volonté d’optimisation de leur commentaire, mais parce que le mode de communication leur convient. Si nous ramenions toutes nos pratiques à l’utilitaire, il n’y a pas beaucoup de Twitter, de Facebook ou même de YouTube qui y résisteraient.

La Génération YouTube

« Imaginez une génération entière de gamins grandissant et apprenant le monde via YouTube. Dans la première moitié du XXe siècle, les gens grandissaient en lisant des livres et des journaux. Ensuite, il y a eu une génération qui a grandi avec la télévision. La suivante a grandi avec l’internet. Et maintenant la vidéo en ligne est en train de dessiner une nouvelle génération », explique encore Alex Iskold. Nous consommerons d’énormes volumes d’informations via la vidéo, tout comme nous le faisons aujourd’hui du texte. Tout en étant plus maître de ce que nous allons regarder. On veut pouvoir regarder ce qu’on veut au moment où on est disponible pour le faire. Certes, comme le dit l’Institut Nielsen, les grands messes ne sont pas terminées pour autant. La vidéo en ligne n’est pas encore tout à fait une République Vidéo (vidéo), comme le prophétise le think tank britannique Demos dans l’une de ses dernières publications. En effet, contrairement à ce qu’en disent les Cassandres, la vidéo en ligne n’a visiblement pas encore tué la télévision puisque si le temps passé sur la télé, l’internet et le mobile ont tout trois progressé aux Etats-Unis en 2008, le temps passé sur l’internet est tout de même 5 fois moindre que le temps passé devant la télé, pour la grande majorité des gens.

Comme l’explique Howard Rheingold sur son vidéo blog, « dans les prochaines années, les présentations et les discussions vidéos vont envahir les cours, des jardins d’enfants aux grandes écoles. La vidéo vernaculaire est déjà en train de changer la culture populaire. Demain, elle transformera nos façons d’enseigner et d’apprendre. » Assurément, à bien y penser, il y a là une transformation culturelle forte que l’invention du cinéma et de la télévision n’avaient fait que préfigurer. Si YouTube est l’après Google, nous allons pouvoir remiser nos claviers. Mais nous risquons d’y perdre quelque chose. Cette impression de devenir toujours plus consommateur qu’acteur des contenus que l’on visionne, non pas parce que nous serions moins capables de produire des vidéos que des textes à l’avenir (nous nous adapterons), mais parce que le visionnage semble toujours plus passif qu’un temps de lecture. Alors que notre regard est maître de ce qu’on lit sur une page, nous ne sommes pas encore maîtres de la linéarité de la vidéo. Peut-être est-ce là un champ de recherche à pousser plus avant ?

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Très bel article de synthèse, effectivement.
    Le flux de l’image écrase le poids des mots. Et lire sur un écran reste une pratique douloureuse où l’oeil glisse en permanence à la recherche d’une image en mouvement.
    Ce qui implique également que la réforme de l’audiovisuel n’est pas un sujet poussiéreux sous prétexte que le web remplace la télé : mais irait-on jusqu’à dire que la video va avaler le web ?
    En tout cas elle avale déjà sa bande passante.

  2. Je ne suis pas totalement persuadé. Autant la vidéo se développe pour tout un tas de contenus où elle est bien adaptée (contenus récréatifs divers, présentations, tutorials et formation, tests, …), autant le gros de l’interaction entre utilisateurs reste sous forme de texte. Il est tout de même significatif que le vlogging reste un phénomène assez marginal alors que n’importe quel téléphone portable moderne permet d’enregistrer des vidéos basiques.

    Et la linéarité de la vidéo ne permet effectivement pas facilement de sélectionner le contenu de façon active; il n’y a pas d’équivalent vidéo au fait de passer des paragraphes qui ne nous intéressent pas ou de parcourir en diagonale à la recherche d’une information ou d’un lien intéressant. Et étant donné la richesse de plus en plus importante dudit contenu sur Internet, la sélection devient un besoin de plus en plus important.

  3. @Endy. Oui pour l’instant, il n’y a pas. Mais dans le domaine on pourrait imaginer demain qu’on puisse graisser un passage de vidéo ou que le flux des reprises et citations génère des passages plus mis en avant que d’autres, permettant à celui qui découvre une vidéo, de visualiser uniquement les passages signalés comme importants par l’éditeur ou par les lecteurs. La linéarité est aujourd’hui un problème, mais la recherche montre qu’il y a peut-être plusieurs moyens de la « casser » : indexation du contenu audio permettant de faire des requêtes fines, facteur d’impact des passages les plus cités, etc. Il est sûr que le téléchargement de vidéos au format flash n’aide pas trop, puisque le chargement lui-même recréé la linéarité : mais peut-être qu’un jour on chargera des vidéos non pas du début à la fin, mais selon la recommandation des passages, allez savoir ;-).

    Je ne suis pas sûr du premier constat pour ma part. La vidéo aujourd’hui envahit de plus en plus de domaines où elle n’est pas nécessairement la plus adaptée. Et il y a les signes précurseurs d’un glissement intéressant, non ?

  4. La vidéo se justifie pour du contenu d’actualité, de la musique, ou les gags idiots 😉 Mais pour un article comme celui-ci, le texte est bien mieux adapté. Pas facile de revenir en arrière précisément sur une vidéo, genre 2secondes avant, pour revoir un passage, la technologie est encore balbutiante. La qualité des vidéos est aussi limitée et est gourmande en bande passante, impliquant d’avoir un ordinateur ou un téléphone dernière génération pour les vidéos haute définition. Et à l’école, même si le net y entre, les devoirs sont encore rendu sous forme écrite. Mais j’apprécie youtube/dailymotion, c’est facile de retrouver le dernier clip, de le télécharger d’en extraire la musique pour l’écouter sur son baladeur et de regarder le clip sur son pc ou téléphone à l’occasion, la qualité est suffisante dans ce cas. On peut aussi retrouver facilement les actualités passée, revoir les petites phrases des hommes politiques, qui autrement aurait été oubliée. Le fameux « casse toi » du président, sans la vidéo en ligne, aurait fait l’actualité papier un jour ou deux, pas plus, et sans conséquence sur sa carrière, c’est maintenant sa croix 😉

  5. un article qui donne des clefs pour comprendre l’évolution des usages de la vidéo. merci beaucoup.

  6. Alexis Mons publie un intéressant graphique issue de la dernière enquête Mediamétrie sur l’internet et les français portant sur l’attention que les utilisateurs portent aux médias.

    « Depuis 2004, les français sont deux fois plus nombreux en ligne et y passent deux fois plus de temps. Et ce temps là, ils le passent à faire quoi ? et bien très largement à se parler et à brasser de l’information en Société de l’Information. Les segments médiatiques sont au plafond et seuls progressent ceux qui participent de là où les gens se parlent et font des choses entre eux. Une tendance de fond, inéluctable, qui ne devrait que s’accélérer. »

  7. Le texte n’est pas prêt d’être détrôné , explique Steve Rubel en faisant référence aux déboires du vidéoblogueur Robert Scoble qui produit de très bonnes vidéos, mais qui ne génèrent pas suffisamment de trafic car ne sont pas suffisamment liées par la blogosphère. Elles fonctionnent mieux quand il les entoure de textes ! Car le texte fournit le contexte, mais surtout est un « proxy pour la vidéo ». Et d’expliquer selon lui, les raisons pour lesquelles le texte a encore de beaux jours devant lui :
    – le texte est scannable
    – il est optimisé pour les moteurs de recherche
    – il est plus facile de lire un texte qu’une vidéo depuis son lieu de travail (et les usages du web ont lieu depuis les lieux de travail)
    – le texte est plus facile à consulter sur les mobiles
    – la distribution est optimale car on peut couper, copier, envoyer facilement un texte.

  8. C’est la musique qui domine les requêtes sur YouTube nous explique Marie-Catherine Breut. Mais cette audience de mélomane est-elle monétisable ? Pas si simple, explique Heather Hopkins, analyste à Hitwise, qui constate que les liens publicitaires fonctionnent moins sur les mélomanes que pour d’autres publics : en décembre 2008, tout moteur de recherche confondus, 5,10 % des requêtes sur le terme Twilight (le film) se sont transformés en clic sur un bandeau publicitaire, mais seulement 1,43 % pour Beyonce (la chanteuse) ou 0.28% pour Soulja boy (le groupe). Alors que le terme « Wii Fit » se transforme à 34,24 % ! Publics différents, produits différents expliquent en partie ces différences. Chercher une Wii-Fit, c’est parce que le produit nous intéresse. Chercher une chanteuse, ne veut pas dire qu’on veut acheter son album, mais peut-être juste l’écouter.

    Reste que la vidéo en ligne sait faire vendre des DVD, comme le montre le succès du canal Youtube des Monthy Python.

  9. Combien pèsent les contenu vidéo sur le web entier? Où se trouve l’information sur le net? Si l’on pense le vidéo peut remplacer le web, c’est l’on ne connaît pas le web. A part de loisir, Youtube reste très faible pour fournir d’autres informations et fonctions.

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