ProspecTic 12/12 : Le matin des cartographes

ProspecTicA l’occasion de la parution de « ProspecTic, nouvelles technologies, nouvelles pensées ? » par Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fing – un ouvrage pédagogique et de synthèse sur les défis des prochaines révolutions scientifiques (Amazon, Fnac, Place des libraires) -, il nous a semblé intéressant de revenir sur les enjeux que vont nous poser demain nanotechnologies, biotechnologies, information et cognition.

Maintenant que nous avons posé l’avenir des prochaines révolutions technologiques, observons les clefs pour comprendre et les défis qu’elles nous adressent.

L’auteur de science-fiction Arthur C. Clarke a proposé des lois dont la troisième, la plus connue, s’énonce ainsi : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » Nous l’avons constaté dans l’introduction de cet ouvrage, où nous avons montré quelques liens entre deux mondes : le monde magique du roman Harry Potter de J.K. Rowling et l’univers technologique des chercheurs dans les laboratoires. Mais les autres lois de Clarke présentent également leur intérêt. Ainsi, la deuxième dit que « la seule façon de découvrir les limites du possible, c’est de s’aventurer un peu au-delà dans l’impossible ». Tout au long des chapitres précédents, nous avons rencontré les projets ambitieux de scientifiques. Se réaliseront-ils à plus ou moins longue échéance ou bien resteront-ils à jamais des fantasmes ? De multiples débats existent sur notre capacité à créer des objets atome par atome, sur la possibilité de
réaliser une cellule complète vivante synthétique ou encore sur le téléchargement d’un esprit humain dans un ordinateur. Arthur Clarke va encore plus loin avec sa première loi : « Quand un savant distingué mais vieillissant estime que quelque chose est possible, il a presque certainement raison, mais lorsqu’il déclare que quelque chose est impossible, il
a très probablement tort. »

Par ailleurs, nous avons également rencontré de nombreuses innovations qui, bien qu’elles soient très étonnantes, font partie des possibles que les chercheurs ont réussi à réaliser : des matériaux qui changent leurs propriétés en fonction de l’environnement, des nano-usines construites à partir d’une simple chaîne d’acides aminés, des interfaces directes entre le cerveau et les ordinateurs, des robots qui mangent pour acquérir de l’énergie, l’observation en temps réel du cerveau humain en fonctionnement. La faisabilité de toutes ces expériences ne fait plus de doute. Mais leurs usages, en revanche, font débat. Nous sommes à une époque de progrès accéléré où différentes technologies peuvent amplifier leurs potentialités en interagissant les unes avec les autres pour réaliser ce qui, hier encore, relevait du rêve ou de la science-fiction. Tout ce qui est imaginé n’est pas aujourd’hui réalisable, bien sûr, mais suffisamment de choses le deviennent pour qu’il soit urgent de discuter du monde que nous désirons.

Qui peut aujourd’hui comprendre et maîtriser les différentes options qui s’offrent à nous ? Les chercheurs, bien qu’ils soient le plus souvent spécialisés dans un domaine précis ? Les industriels, qui rassemblent ces nouvelles technologies pour en faire de nouveaux produits ? Il devient indispensable que ce débat accueille également les politiques, auxquels nous avons délégué une partie des choix de société, mais aussi le plus grand nombre possible de citoyens. Par leur diversité, ils peuvent contribuer à mieux cerner la richesse des possibles, souhaitables ou non. Notre capacité individuelle à envisager un grand nombre de points de vue est restreinte. Les limites de notre mémoire de travail, celles de notre expérience vécue, nous donnent une vision insuffisante face aux futurs qui s’ouvrent à nous. Pour relever le défi de l’avenir, nous devons utiliser l’intelligence collective, quelles que soient les difficultés que nous avons à la faire émerger ou même à la croire possible.

Alors, comment ouvrir ce débat au plus grand nombre ? Michel Serres utilise l’image de la dépose par hélicoptère : « Voilà, je suis montagnard, ça a été une des grandes passions de ma vie. J’ai donc fait mille et une courses avec toujours le même guide, ou à peu près, et je connais assez bien le métier de guide de haute montagne. Ces guides, je les admire beaucoup. Ce sont des gens qui connaissent vraiment la montagne. […] Alors vous montez en montagne, vous faites une course de dix-neuf heures – ça peut arriver – avec bivouac, et, stupéfait, vous trouvez au sommet une équipe de cinéastes en train de tourner des images sur la chaîne des sommets, la vallée, et qui sont déposés là par hélicoptère. Bon alors vous dites : c’est des jean-foutre ! Mais on ne tranche pas cette question si aisément, parce que ces gens-là se sont fait déposer par hélicoptère sur trois cents sommets du monde alors que moi je n’ai fait que trois sommets dans l’Himalaya. Et tout d’un coup, qui connaît le mieux la montagne ? Celui qui s’est fait déposer par hélicoptère ou moi ? » L’expertise de celui qui s’est fait déposer par hélicoptère ne lui permet certes pas de gravir les montagnes, mais elle lui donne une vue d’ensemble. C’est sans doute ce dont nous avons le plus besoin pour débattre sur le futur que
nous désirons pour notre monde et notre société.

Dans cet ouvrage, nous n’avons pas seulement fait un beau voyage au pays des technologies. Nous avons cherché à repérer les principaux sommets et nous nous y sommes rendus par hélicoptère. Au-delà de la vision égocentrée, nous avons souhaité offrir une vision allocentrée avec le but d’acquérir une vue d’ensemble des recherches en cours. Nous avons poursuivi une folle ambition : celle de cartographier au mieux ces nouveaux territoires.

Nous n’avons pas la prétention d’avoir abouti à une carte parfaite. Malgré le grand nombre de spécialistes consultés, nous avons sans doute oublié des domaines importants qui ne relèvent pas du simple détail.

Nous avons probablement dressé des cartes imparfaites de certaines parties, là où d’autres ont produit un travail plus structuré. Notre ambition est d’avoir posé les fondations d’une structure – qui pourra s’enrichir au fur et à mesure des ajouts – afin que chacun puisse s’orienter et ainsi contribuer au débat sur notre avenir. Toute carte est partiale, car elle ne
représente que certains points de vue. Nous avons cependant cherché à dresser également, le mieux possible, la carte des points de vue. Comme nous l’avons vu avec la pensée-2, nous devons tout d’abord établir une carte pour, dans un second temps, y appliquer notre pensée. Nous vous proposons de participer à l’aventure. Améliorons ensemble non seulement les détails de la carte, mais également la façon dont les territoires se relient ensemble. Le nombre de personnes expertes dans un domaine s’est considérablement accru ces dernières années, en même temps que la diversité de champs nouveaux. Que vous soyez spécialiste ou simplement spectateur du haut d’un sommet où vous vous êtes fait déposer par hélicoptère, n’hésitez pas à commenter et à enrichir les concepts scientifiques présentés ici, et également à compléter les points de vue sur la faisabilité de leurs applications ou les conséquences qui peuvent en découler.

Antoine de Saint-Exupéry disait : « Quant à l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » Nous espérons que ce livre y contribuera, si vous nous aidez à en enrichir le contenu.

Jean-Michel Cornu

Extrait de ProspecTic, nouvelles technologies, nouvelles pensées, FYP Editions, 2008. Si vous souhaitez lire l’intégralité de ProspecTic, vous pouvez le commander à votre libraire, sur Amazon, sur le site de la Fnac ou via Place des libraires par exemple.

Sommaire de la publication de ProspecTic sur InternetActu.net :

Les 4 enjeux des révolutions technologiques :

4 clefs à la passerelle des enjeux :

Questions en suspend :

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0 commentaires

  1. En te lisant jean Michel, je me fais juste la réflexion que toutes ces questions de représentations graphiques collaboratives se pensent depuis longtemps…j’ai à l’esprit le livre sur les arbres de connaissances et bien d’autres choses encore…Ce qui se joue aujourd’hui relève presque de l’aboutissement : cela se fait en actes…Beaucoup de travail encore mais impression d’être en bonne voie ! 🙂

    Merci pour tous ces articles et ce regard lucide et transversal ! 🙂

  2. Merci pour ces perspectives qui permettront sans doute de transformer les arbres de connaissances en jardins ouverts à la culture collective de l’intelligence…