Le cerveau, objet technologique (3/8) : Deux cerveaux pour une décision

C’est la crise. Le patient château de cartes élaboré au fil des dernières années par les institutions financières s’est effondré d’un seul coup. Une occasion – de plus – pour constater les limites de la croyance en l’homo economicus, animal rationnel qui sait en toutes circonstances choisir ses options en fonction de son intérêt bien compris.

La couverture de Philosophy in Flesh, le livre de George LakoffNous avons vu que le cerveau humain ne correspondait guère à un ordinateur de type PC, en ce qui concernait les entrées-sorties ou la mémoire… Un coup d’oeil sur la manière dont il prend les décisions nous fera comprendre que le cerveau n’est pas, et de loin, une CPU classique (Central Processing Unit pour « Unité centrale de traitement » c’est-à-dire le processeur d’un ordinateur qui interprète les instructions et traite les données d’un programme). Notre raisonnement abstrait n’est pas seulement influencé par le corps, les émotions, et les sens ; bien plus que cela, il est bâti dessus. Pour le linguiste cognitif George Lakoff, même l’architecture la plus abstraite conçue par l’homme, les mathématiques, repose finalement sur un ensemble de métaphores qui trouvent leur origine dans le corps. Dans son livre, Philosophy in the flesh (Philosophie dans la chair), il résume ainsi sa conception de l’esprit :

« L’esprit est fondamentalement incarné.
La pensée est la, plupart du temps inconsciente.
Les concepts abstraits sont largement métaphoriques.
Voici les trois découvertes majeures des sciences cognitives. (…) A cause de ces découvertes, la philosophie ne pourra plus jamais être la même. »

L’intuition et la raison

Selon Jean-Michel Cornu, le neurologue Alain Berthoz divise en deux circuits nos capacités de décision : il y a les « voies courtes », capables de réagir en 80 ms, et donc idéales pour faire face aux dangers, et les voies longues, qui correspondent à la « pensée » au sens où on l’entend habituellement.

Mean Markets and Lizard Brains par Terry BurnhamD’autres préfèreront opposer les différentes parties du cerveau. C’est le genre de choses qu’on voit dans les analyses utilisant l’imagerie par résonance magnétique (IRM) tant prisées par les adeptes du neuromarketing. On évoque alors l’activité de l’amygdale (qui réagit face au danger) du cortex préfrontal, qui correspond à nos capacités de planification et de décision, etc. Mais il n’est pas toujours facile d’associer une fonction mentale avec une zone du cerveau. Un économiste comme Terry Burnham simplifie les choses en se contentant d’opposer l’ancien cerveau (Burnham parle du « cerveau du lézard » dans son livre Mean Markets and Lizard Brains), celui qui s’est progressivement développé au cours des millions d’années d’évolution et le cerveau moderne, celui qui héberge nos facultés de raisonnement abstraites. Mais en fait, point n’est besoin d’entrer dans des considérations anatomiques. On peut voir les choses de manière complètement abstraite. C’est largement suffisant pour notre hypothétique cognhacker, qui se pose les questions pratiques (Que faire ? Comment ça marche ?).

La couverture du Cygne noir de Nassim Nicholas TalebAinsi, le philosophe Nassim Nicholas Taleb, dans son livre Le Cygne noir, la puissance de l’imprévisible, récemment traduit, oppose simplement le « système 1 » au « système 2″… Le « système 1 » est ce qu’on nomme l’intuition. C’est un système rapide, reposant largement sur les émotions, mais qui peut commettre des erreurs. Le second est notre pensée rationnelle classique. La plupart des problèmes explique Taleb, arrivent lorsque nous agissons en utilisant le « système 1 » alors que nous croyons employer notre « système 2 ».

Mais ce « système 1 » ne doit pas être sous-estimé. S’il est piètre calculateur et dirigé par l’émotion, il est aussi parfois plus perspicace et plus rapide que le cerveau « rationnel ». L’intuition, ce n’est pas juste un truc New Age. La fameuse expérience de Bechara et Damasio, effectuée en en 1996, en est l’illustration.

Bechara et Damasio ont ainsi proposé à leurs cobayes de jouer à un jeu truqué. Selon les piles de cartes que l’on tirait, on pouvait avec certaines gagner ou perdre de petites sommes, mais dans l’ensemble, on gagnait de l’argent. Dans les autres piles, on avait beaucoup plus de chance de tirer de mauvaises cartes et donc de perdre gros. On gagnait ou perdait de plus grosses mises, mais au final on était plutôt perdant.

On a remarqué qu’au bout d’un certain nombre de tirages, les sujets avaient spontanément tendance à choisir de plus en plus fréquemment dans les « bons » paquets, et rechigner à piocher dans les « mauvais ». Ce n’est pourtant que bien plus tard qu’ils se rendaient consciemment compte que les chances étaient inégalement distribuées.

Dans ce cas, on peut remercier le « système 1 ». Il s’est rendu compte bien avant la conscience rationnelle de l’anormalité des évènements et a agi en envoyant au corps une série de sensations corporelles (sueurs, sensation d’insécurité…) afin d’éviter au sujet d’effectuer le mauvais choix. A noter que certains patients atteints de lésions cérébrales frontales ventromedianes continuaient de leur côté à piocher dans les paquets dangereux, sans recevoir d’avertissement de leur corps.

On le voit, le cerveau du lézard est souvent bien meilleur pour évaluer les risques que notre pensée linéaire et discursive. C’est pourquoi la Darpa essaie de mettre au point des jumelles capables de court-circuiter le conscient et se brancher directement sur les parties primitives de notre cerveau pour repérer plus efficacement les dangers.

Comment notre cerveau nous protège des risques et comment on peut le tromper

Mais le « cerveau du lézard » n’est pas toujours aussi efficace. Par exemple, il est très effrayé à l’idée de perdre de l’argent. Si on demande à quelqu’un de parier en lui promettant soit une perte de 100 euros soit un gain de 150, sachant qu’il peut parier autant de fois qu’il le désire, il aura tendance à refuser. Pourtant sur plusieurs coups, les risques non seulement s’annulent, mais vont dans les sens du gain. On a statistiquement des chances de terminer la partie 25 % plus riche qu’au départ. Mais le lézard n’aime pas le risque. Lorsqu’on propose ce type d’expérience à des patients possédant des lésions dans l’une des parties du cerveau concernées par le processus de décision, ils semblent dépourvus de cette « aversion à la perte ». Autrement dit, des cerveaux défectueux s’avèrent parfois davantage capables d’effectuer de bons investissements que ces cerveaux sains !

Naturellement, si des lésions cérébrales sont en mesure d’influencer nos décisions, de nombreux stimuli sont en mesure d’interférer avec notre rationalité. Dans nos colonnes, nous avons relaté à plusieurs reprises comment notre objectivité pouvait être trompée dans les mondes virtuels par l’aspect de nos avatars : par exemple, un avatar plus grand aura de meilleures chances de réussir une transaction. De même, il vaut mieux qu’il soit fortement sexué, l’androgynie ayant tendance à ne pas favoriser les échanges virtuels…

Dans le monde réel, aussi, nos choix dépendent de conditions tout à fait particulières, au premier rang desquelles on trouve bien sûr les produits chimiques. Une expérience de psychologie sur la confiance donna des résultats particulièrement positifs après que les sujets eurent inspiré un produit contenant de l’Ocytocine via un spray nasal. Cette hormone, qui déstresse et augmente la sociabilité, est produite dans le corps lors de l’allaitement, de l’accouchement et des rapports sexuels… Mais point n’est besoin de recourir à des composants aussi difficiles à trouver. Vous voulez mettre toutes chances de votre côté ? Selon une récente expérience, vos transactions auront plus de chances d’aboutir si vous offrez une boisson chaude à votre partenaire. Lui proposer une boisson glacée aura tendance, littéralement, à refroidir l’atmosphère.

La couverture de Predictably Irrational de Dan ArielyPour le professeur d’économie comportementale Dan Ariely, nous sommes non seulement irrationnels, mais, aussi bizarre que cela paraisse, notre irrationalité est prévisible. Autrement dit, nous refaisons toujours les mêmes erreurs. Parmi les comportements répétitifs, il y a par exemple l’incapacité de juger un prix indépendamment de son contexte. Ainsi, explique-t-il, nous avons tendance à choisir toujours le produit à coût moyen, à mi-chemin entre le plus onéreux et le meilleur marché. D’où l’intérêt, selon lui, qu’ont certains restaurateurs de proposer toujours un plat hors de prix – afin de pousser les clients à demander celui qui se trouve juste en dessous – un plat dont on aura, bien entendu, optimisé le rendement.

Dan Ariely raconte d’autres expériences quasiment surréalistes. Par exemple,on a demandé à un panel de sujets de se remémorer les trois derniers chiffres de leur numéro de sécurité sociale. Ensuite, on leur a présenté une série de produits à acquérir et leur a demandé : « Combien seriez-vous prêts à payer pour chacun de ces produits ? ». Conclusion : ceux qui avaient les numéros de sécu les moins élevés étaient également ceux qui étaient le moins disposés à payer de fortes sommes. C’est ce qu’Ariely nomme « l’ancrage ». Les sujets avaient été « ancrés » dans leurs évaluations par leur numéro de sécurité sociale.

Notre trop grande confiance en nous est un autre exemple classique de nos biais cognitifs. Posez à quelqu’un une question à laquelle il doit répondre par un nombre, mais dont il a peu de chances de connaitre la réponse (combien d’habitants à N’Djamena ?). Proposez-lui ensuite de fixer une marge d’erreur, de la taille qu’il désire. La plupart du temps, sa réponse sera non seulement fausse, ce qui est normal, mais tombera même en dehors de la marge d’erreur, à laquelle il aura assigné une largeur trop étroite. Nous voulons bien admettre avoir un peu tort, mais nous pensons trop souvent être approximativement justes. Nous ne soupçonnons pas à quel point nous pouvons nous tromper.

Ariely expose de nombreux autres comportements de ce type dans son livre Predictably Irrational et sur son blog.

La politique de l’irrationnel

Nudge de Thaler et SunsteinL’ensemble de ces travaux sur la décision a donné naissance à une nouvelle discipline, la neuroéconomie, également nommée économie comportementale et à son fameux rejeton, le neuromarketing. Mais si le neuromarketing laisse souvent sceptique, la neuroéconomie, elle, n’est pas aussi dépréciée. Cette science qui étudie l’influence des facteurs cognitifs et émotionnels dans les prises de décision joue un rôle important pour comprendre les comportements politiques, et a eu une vraie influence sur le retour des démocrates sur la scène américaine et lors de l’élection de Barack Obama. Notamment au travers de Thaler et Sunstein, auteurs du livre Nudge, improving Decision about Wealth, Health and Happiness (que l’on pourrait traduire littéralement par Coup de coude pour améliorer la décision sur la richesse, la santé et le bonheur)…

Alors que le néolibéralisme imagine que chacun est un acteur économique rationnel, capable de maitriser pleinement ses choix, et que les keynésiens souhaitent réguler le marché soulignant par là que chaque acteur économique ne maitrise pas toutes les conséquences de ses actions, Thaler et Sunstein préfèrent une stratégie de l’incitation : plutôt qu’imposer des règlements, l’Etat « pousserait du coude » (Nudge) les citoyens à choisir les meilleures options à coup de formulations appropriées. Ce qu’ils appellent le « libertarisme paternaliste« . On n’oblige personne à faire le bon choix, mais on oriente insidieusement les gens dans la direction voulue. Les deux auteurs prennent exemple sur les associations de charité qui suggèrent de donner « 50, 100, 1 000 ou 5 000 dollars », sachant que le fait de simplement mentionner des sommes aussi élevées va avoir tendance à augmenter les sommes données. On n’est pas loin de la technique d' »ancrage » de Dan Ariely… Les « architectes du choix », comme ils nomment les décideurs politiques de demain, se trouvent dans la même position qu’un designer ou un spécialiste des interfaces. Un de leurs plus gros travaux consiste à correctement déterminer l’option par défaut. Celle vers laquelle les gens se laisseront naturellement couler.

« Lorsque vous entrez dans une cafétéria », explique Thaler, « vous vous retrouvez généralement en face du bar à salade. C’est une bonne chose, car si vous deviez passer par les hamburgers et les frites avant d’arriver aux salades, vous auriez plus de chances de craquer. »

Ainsi, on peut rendre certaines actions plus complexes, tandis qu’on simplifie celles qu’on souhaite voir adoptées. Par exemple, parmi les coups de coude que suggèrent les auteurs (.pdf), il suffit de ne plus interdire aux motards de circuler sans casque. Mais ceux qui voudront rouler tête nue devront passer un permis supplémentaire. Pour remédier à certains des mauvais comportements du consommateur américain, les deux auteurs suggèrent ainsi que les salariés souscrivent automatiquement au plan d’épargne retraite de leur entreprise, sauf s’ils le refusent explicitement. « Dans le monde idéalisé de l’économie néoclassique », explique John Cassidy dans la New York Review of Books, « cela ne fait pas une grande différence. Les gens rationnels décident de ce qui est le mieux pour eux. En fait, à cause de la tendance à maintenir le statu quo, ou par pure paresse, l’option par défaut compte énormément. » En fait, selon le même article, le nombre de gens inscrits à un tel plan d’épargne passe de 50-60 % à 90 % lorsqu’une telle mesure d’inscription automatique est mise en place.

On a appris en début d’année que Cass Sunstein était nommé à la tête du bureau des régulations de l’administration Obama. Attendons-nous donc à une série de « nudges » dans les prochaines décisions américaines en matière d’économie…

Nous voici donc avec notre cerveau incarné dans un corps, et dont les perceptions comme les actions se manifestent de façon beaucoup plus embrouillées et complexes que notre éducation ne nous y a préparée. Il est donc temps, maintenant, de tenter un début de réponse à la plus grande des questions philosophiques : et maintenant, on fait quoi ?

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. Je ne suis pas certain qu’on puisse attribuer à Nassim Nicholas Taleb l’opposition entre un système 1 intuitif et un système rationnel. En effet, Daniel Kahneman l’a revendiqué expressément dans son discours de réception du prix Nobel, dans lequel Mr Taleb n’est pas mentionné (je laisse aux petits maîtres bornés la médiocre polémique sur la qualification exacte de ce prix dont les lauréats sont présentés comme les autres sur le site http://www.nobel.s, ici: http://www.nobel.se/economics/laureates/2002/kahnemann-lecture.pdf ):
    « The distinction between intuition and reasoning has been a topic of considerable interest in the intervening decades (among many others, see Epstein, 1994; Hammond, 1996; Jacoby, 1981, 1996; and numerous models collected by Chaiken & Trope, 1999; for comprehensive reviews of intuition, see Hogarth, 2002; Myers, 2002). In particular, the differences between the two modes of thought have been invoked in attempts to organize seemingly contradictory results in studies of judgment under uncertainty (Kahneman & Frederick, 2002; Sloman, 1996, 2002; Stanovich, 1999; Stanovich & West, 2002). There is considerable agreement on the characteristics that distinguish the two types of cognitive processes, which Stanovich and West (2000) labeled System 1 and System 2. The scheme shown in Figure 1 summarizes these characteristics: The operations of System 1 are fast, automatic, effortless, associative, and difficult to control or modify. The operations of System 2 are slower, serial, effortful, and deliberately controlled; they are also relatively flexible and potentially rule-governed. As indicated in Figure 1, the operating characteristics of System 1 are similar to the features of perceptual processes. On the other hand, as Figure 1 also shows, the operations of System 1, like those of System 2, are not restricted to the processing of current stimulation. Intuitive judgments deal with concepts as well as with percepts, and can be evoked by language. »
    Pour mémoire:
    (1) DK a été présenté par le comité Nobel comme un des principaux représentants de l’économie expérimentale, tandis que son co-lauréat Vernon L. Smith était classé dans l’économie comportementale (http://www.nobel.se/economics/laureates/2002/ecoadv02.pdf).
    (2) Dans un entretien postérieur à son prix Nobel (http://www.strategy-business.com/article/03409), DK a acquiescé à l’idée qu’il y aurait trois systèmes de prise de décision
    « S+B: Now it seems like we’re dividing decision making into three systems: there’s the emotional stuff; there’s the rational-computational system; but there’s also a perceptual system.
    KAHNEMAN: Yes, I think of three systems. In my current perspective, the question I ask is, What makes thoughts come to mind? And some thoughts come to mind much more easily than others; some really take hard work; some come to mind when you don’t want them. »

  2. Après 3/8, tentons de résumer, quitte à simplifier à outrance … :
    le cerveau émotionnel (reptilien, système imbique …) et le cerveau rationnel (cortex préfrontal, …) sont en constante interaction mais, en pratique, l’un ou l’autre prédomine, quelle que soit l’activité psychique.
    (Je signale en passant qu’à ma connaissance, l’amygdale fait partie du cerveau émotionnel et non du cortex préfrontal, même s’il l’influence …).

    Sans que l’on puisse actuellement expliquer le processus biochimique qui enclenche le « switch » ( l’interrupteur qui fait basculer de l’un vers l’autre), le fait est là : dans tous les cas,un bouleversement des neurotransmetteurs (dopamine, …) a lieu, qu’il s’agisse de l’amour (le coup de foudre amoureux par exemple), de la conversion de Paul CLAUDEL en entendant le Magnificat de BACH à N-D de Paris ou de celle d’ Eric-Emmanuel SCHMIDTT perdu sous le firmament glacial du Saharah, ou d’extase mystique, ou de yoga, ou de méditation, ou de drogues hallucinogènes, ou de tentatives neurophysiologiques (Mario BEAUREGARD) visant à rendre les gens croyants, ou d’influences commerciales ou militaires, etc … !

    Georges LAKOFF a raison : » A cause de ces découvertes (cognitives, neurophysiologiques, …), la philosophie ne pourra plus jamais être la même ». Pour ma part, je me limiterai à suggérer une approche inhabituelle, voire avant-gardiste, du phénomène religieux :

    L’approche neuroscientifique et laïque de la foi va-t-elle influencer son approche philosophique, politique et religieuse ? 15 sous-questions :

    1. Face à la laïcisation croissante de la société, du moins sous nos latitudes, et bien que la foi relève de la sphère privée, toutes les religions réagissent par des tentatives de réinvestissement des consciences, de re-confessionnalisation de l’espace public et de néo-cléricalisme politique, surtout depuis Jean-Paul II, Benoît XVI et le « chanoine-président » Sarkozy 1er …
    Cette liberté d’expression, bien que communautariste est certes légitime, du moins tant que les prescrits religieux ne prévalent pas sur la loi, mais ce prosélytisme n’est-il pas critiquable à notre époque de pluralisme des convictions et d’ouverture à la différence ?

    2. L’ Etat, qu’il soit français ou belge (quand inscrira-t-il enfin la laïcité dans sa Constitution ? ! ), a une obligation de neutralité, et est sensé « garantir » la liberté de conscience et de religion. Mais avant de prétendre garantir (théoriquement) la liberté d’exprimer sa religion, ne faudrait-il pas d’abord garantir (pratiquement) la liberté d’en avoir une ou de ne pas en avoir ?

    3. Hélas, comme en témoigne à 99,99 % l’éducation coranique, la liberté de croire ou de ne pas croire n’est-elle souvent compromise par l’imprégnation de l’éducation religieuse familiale précoce, forcément affective puisque fondée sur l’exemple et la confiance envers les parents, ainsi que par l’influence d’un milieu culturel excluant toute alternative humaniste non aliénante, et n’est-elle donc pas plus symbolique qu’effective ?

    4. D’ailleurs, le psychologue jésuite Antoine VERGOTE, professeur à l’Université catholique de Louvain, n’a-t-il pas montré dès 1966 qu’en l’absence d’éducation religieuse, la foi n’apparaît pas spontanément, et aussi que la religiosité à l’âge adulte en dépend ? (et donc l’aptitude à imaginer un « père » protecteur substitutif et anthropomorphique, fût-il « Présence Opérante du Tout-Autre » …).

    5. D’autre part, des neurophysiologistes n’ont-ils pas établi que l’ amygdale ( du cerveau émotionnel ! ) est capable, dès l’âge de 2 ou 3 ans, de stocker des souvenirs inconscients, tels que les comportements religieux et les inquiétudes métaphysiques des parents, reproduits via les neurones-miroir du cortex préfrontal ?

    6. Enfin, ces chercheurs n’ont-ils pas constaté, par l’IRM fonctionnelle, que le cortex préfrontal et donc l’esprit critique et le libre arbitre ultérieurs s’en trouvent anesthésiés, à des degrés divers, indépendamment de l’intelligence et de l’intellect, du moins dès qu’il est question de religion (ce qui expliquerait la difficulté, voire l’impossibilité, pour bien des croyants, de remettre leur foi en question) ?

    7. N’est-il pas logique et légitime dès lors que certains athées, comme Richard DAWKINS, ou agnostiques comme Henri LABORIT, au risque de paraître intolérants, perçoivent l’éducation religieuse, bien qu’a priori sincère et de bonne foi, comme une malhonnêteté intellectuelle et morale ?

    8. Loin de vouloir simplifier ou réduire la complexité du psychisme humain, et en particulier la foi, à un « mécanisme » psycho-neuro-physio-génético-éducatif, n’est-il pas légitime de compléter son approche traditionnelle (philosophique, métaphysique, théologique, anthropologique, sociologique) par une approche neuroscientifique, fût-elle encore partielle, afin de mieux comprendre le phénomène religieux et donc de permettre à chacun de choisir, en connaissance de cause, aussi librement et tardivement que possible, ses convictions philosophiques OU religieuses ?

    9. N’est-il pas grand temps dès lors de repenser le rôle de l’Etat, mais aussi celui des parents et des enseignants croyants qui devraient se demander si, de nos jours, ils ont encore moralement le droit, fût-il constitutionnel, de transmettre la même éducation que celle qu’ils ont reçue, de plus en plus inadaptée à la modernité ?

    10. Sans se départir de sa neutralité, et au-delà du cours d’histoire, l’école ne devrait-elle pas compenser l’influence unilatérale de la famille et celle d’un milieu religieux exclusif, par une information minimale, objective et non prosélyte, non seulement sur le « fait religieux », mais AUSSI, et pour réduire les inégalités socio-culturelles, sur le « fait laïque », ce qui ferait découvrir aux jeunes que les religions incitent toutes à la soumission, tandis que la laïcité prône au contraire l’autonomie et la responsabilité individuelle ?

    11. N’est-il pas temps que les parents croyants apprennent que la laïcité philosophique, en l’absence de toute référence divine, ne prône pas pour autant l’athéisme, pas plus qu’elle n’est anti-religieuse, et qu’elle vise seulement à faire connaître l’alternative de l’humanisme laïque, ses principes, ses valeurs, ses fondements, ses options et ses objectifs, actuellement occultés ?

    12. N’est-il pas indispensable de découvrir que la morale laïque se fonde, non pas sur la soumission à des « commandements » et à des textes « sacrés », mais sur le libre examen, l’esprit critique et sur une conscience morale autonome, et aussi qu’à côté de la spiritualité religieuse, il existe une spiritualité laïque par laquelle on peut donner un sens à l’existence ?

    13. Ne faudrait-il pas dès lors, organiser tant en France qu’en Belgique, un véritable débat national et oser repenser, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, certaines notions fondamentales telles que la neutralité de l’Etat, la liberté constitutionnelle d’enseignement, la transmission des valeurs et les limites de la tolérance vis-à-vis des prétentions des religions à imposer leurs vérités exclusives, aussi bien celles du catholicisme, du judaïsme, du christianisme évangélique, de l’islamisme et des sectes que celles inspirées par d’ éventuels relents d’athéisme idélogique et dogmatique ?

    14. Quant à l’enseignement confessionnel, survivance obsolète, inégalitaire et élitiste du Moyen Âge, ne devrait-il pas faire place (après 50 ans de « pacte scolaire » en Belgique) à  » l’école pluraliste », mise au frigo depuis 34 ans et, sans crainte d’encore introduire le loup dans la bergerie, à la fusion des réseaux officiel et privé, du primaire à l’universitaire, ne fût-ce que pour des raisons économiques ?

    15. N’est-il donc pas légitime que la laïcité, tant politique que philosophique, bien qu’elle soit rétive à tout prosélytisme, se montre à présent non pas combattante mais plus fermement attachée à ses principes, plutôt que conciliante, frileuse, voire laxiste, afin de promouvoir enfin le « vivre ensemble » au sein d’une société interculturelle ?

    Michel THYS, à Waterloo.

    michelthys@tele2allin.be

  3. Correction d’une faute de frappe à la 2e ligne : système Limbique ! Sorry !
    Michel THYS

  4. @Michel THYS, vous dites : « 5. D’autre part, des neurophysiologistes n’ont-ils pas établi que l’ amygdale ( du cerveau émotionnel ! ) est capable, dès l’âge de 2 ou 3 ans, de stocker des souvenirs inconscients, tels que les comportements religieux et les inquiétudes métaphysiques des parents, reproduits via les neurones-miroir du cortex préfrontal ? »

    – Quelle est votre source?
    – Si cela est vrai, alors les enfants pourraient aussi stocker des « comportements et des inquiétudes laïques », non? 😉

  5. Bonjour Monsieur Olivier AUBER,
    C »est dans « le cerveau à tous les niveaux » (amygdale-hippocampe), où l’on explique que jusqu’à l’âge de 3 ans, alors que l’hippocampe est encore immature, l’amygdale est déjà capacle de stocker des souvenirs inconscients.
    Quant aux « inquiétudes laïques » qui pourraient, en toute logique, être
    égalemenent stockées par l’amygdale, il est vrai que, très légitimement,
    croyants comme incroyants, nous influençons tous nos enfants, mais les deux styles d’éducation ne me paraisent pas comparables : par leur exemple, par leurs comportements religieux, par la célébration des fêtes religieuses, par l’obligation à se soumettre à un « Seigneur » et à un livre « sacré », etc … les parents croyants, évidemment « de bonne foi », influencent affectivement, précocement et donc profondément leurs enfants.

    Au contraire, les parents incroyants s’abstiennent d’affirmer l’existence
    d’un dieu, ils ne suscitent pas et n’amplifient donc pas de faux problèmes
    métaphysiques mais répondent au fur et à mesure à leurs interrogations, ils développent à tous points de vue leur esprit critique, une conscience morale autonome, leur responsabilité individuelle, l’acceptation de la différence enrichissante de l’autre. Ils font apparaître chez leurs enfants une force intérieure leur permettant de supporter sereinement les doutes et les incertitudes par une confiance raisonnable dans les progrès des sciences, etc …
    Le but étant de leur permettre de choisir, aussi librement et aissi
    tardivement que possible, de croire OU de ne pas croire.

    Feu Henri LABORIT écrivait : « Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra, dans sa vie d’adulte, une chance exceptionnelle pour s’en détacher, s’il y parvient jamais « (…). Et il poursuit : « Vous n’êtes pas libre du milieu où vous êtes né, ni de tous les automatismes qu’on a introduits dans votre cerveau, et finalement, c’est une illusion, la liberté … ! ».
    Je ne suis pas aussi pessimiste que cet éminent biologiste … !

    Bien à vous,
    Michel THYS

  6. @Michel ! je ne doute pas une seconde votre bonne foi (sic) 🙂 mais je vois autant de croyances chez les laïcs que chez les religieux. Simplement, elles sont implicites dans le premier cas et explicites dans l’autre. Les premiers ne sont pas exempts de rituels, que ce soit des fêtes républicaines ou autres, et de chefs souvent sélectionnés pour leur charisme (resic). La « confiance raisonnable dans le progrès » des sciences est aussi une croyance, n’est-il pas? Bref on ne peut pas exister sans une forme ou une autre de croyance, ne serait-ce que celles en notre identité personnelle et en l’existence des autres et du monde. On ne peut pas non plus ne pas transmettre un part de cette croyance à nos enfants, que ce soit de manière directe ou à travers nos organisations sociales. Appeler cela des « automatismes », est à mon sens bien peu respectueux de la personne humaine. C’est un point de vue surplombant d’un scientifique qui confond l’homme et la machine, encore une croyance!

  7. Bonjour Olivier,
    Que les « laïques » (qu’on écrit ainsi en Belgique, pour les distinguer des « laïcs » qui oeuvrent dans les paroisses) aient une croyance est une opinion souvent professée, notamment par André COMTE-SPONVILLE.
    Mon optique neurophysiologique m’incite plutôt à faire une différence entre la croyance, qui relève d’abord du cerveau émotionnel, et une opinion, une pensée, un jugement, …qui relèvent du cerveau rationnel, et donc de la raison (que je n’écris évidemment pas avec une majuscule !).
    Je ne dis pas : » Je crois que « Dieu » n’existe pas », mais « je pense, j’estime, je conclus qu’il n’existe pas », ou plus exactement, selon moi, qu’il n’existe que dans l’imagination des croyants.
    Mais je ne suis pas de ces « rationalistes purs et durs » qui ne tiennent aucun compte de la sensibilité. En témoignent les francs maçons adogmatiques qui, à travers leurs rituels et leur symbolisme, cherchent à « faire épanouir chez l’être humain l’harmonie de la raison et du sentiment » (Pierre TEMPELS).
    Par contre, les francs-maçons anglosaxons, qui sont traditionnalistes, croyants ou déistes, considèrent que « le grand architecte de l’univers » est « Dieu » ou alors, comme J. CORNELOUP, « le symbole des forces qui orientent l’évolution dans le sens d’un progrès », ce qui constitue en effet une croyance, mais elle infirmée par les sciences et par les faits historiques …
    « Avoir foi en l’homme » signifie pour moi « avoir confiance en sa capacité de s’améliorer, de se remettre en question, d’être plus solidaire, etc … », du moins s’il est placé dans des conditions socioculturelles qui permettent un tel épanouissement.
    Je reconnais que, directement ou indirectement, dans notre société encore judéo-chrétienne, nos enfants éduqués laïquement, sont en contact, ne fût-ce que par leurs condisciples, avec des croyances irrationnelles. Mais c’est heureux : cela leur permet d’en discuter, non pas dans le but d’avoir raison, mais de mieux se connaître, de respecter et d’apprécier l’autre dans sa différence, comme c’est le cas lorsque je vous réponds.
    Cordialement,
    Michel THYS

  8. Bien vu. Taleb n’est pas fautif dans l’affaire, il mentionne effectivement Kahneman, Tversky, Dawes et Slovic à l’origine du système 2. En lisant le texte j’ai eu l’impression que ces chercheurs étaient à l’origine du concept, mais que Taleb avait créé l’expression. En relisant, je m’aperçois qu’effectivement l’expression vient d’eux à l’origine.