Changer la planète : la voie du désir ?

« Changer la planète, la voie du désir », ainsi était nommée à Lift 2009 la session consacrée au « green design », un titre qui résume bien les difficultés et les ambiguïtés propres à ce sujet. Comment rendre les transformations nécessaires à la sauvegarde de notre environnement souhaitables, désirables ? Comment combiner écologie et innovations ? Et finalement, comme l’a souligné l’un des intervenants, Dennis Pamlin, est-ce bien la planète qu’il faut changer, ou nous-mêmes ?

Mesurer les conséquences des innovations

Dennis Pamlin par CentralasianDennis Pamlin, conseiller en politique globale auprès du WWF, nous a rappelé quelques éléments de base sur l’état de la planète. Ainsi, nous avons atteint cette année le chiffre alarmant de plus d’un milliard d’humains vivant en état de famine. Ce qui évidemment rend un peu futile bon nombre des “innovations” existantes. De même, il nous a rappelé que 40 % de la population était de nationalité indienne ou chinoise (pour illustration, un seul participant à la conférence était originaire d’une de ces deux régions). Une perspective historique permet d’ailleurs de réévaluer la place de ces deux puissantes nations : ainsi, il est absurde de dire que la Chine et l’Inde sont des puissances “émergentes”. Au cours des deux derniers millénaires, ce sont elles qui sont apparues comme les deux plus grandes économies mondiales. L’Occident ne s’est révélé qu’au cours des 300 dernières années. Il serait donc plus juste de parler de puissances ré-émergentes et plus sage de les considérer comme les principales cibles et moteurs de l’innovation future. Enfin, dernier chiffre, bien connu : nous sommes 10 % à utiliser 60 % des ressources disponibles. Et la plupart des innovations concerne cette toute petite élite.

Conservant cela à l’esprit, quels doivent être les défis que doit relever une innovation aujourd’hui ? Pamlin en repère trois :

  • le défi des 9 milliards : Chaque fois qu’on élabore un nouveau système, une innovation d’un type quelconque, il ne faut pas oublier de se demander si elle pourra être accessible aux 9 milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre en 2050. Si ce n’est pas le cas, nous créons dès aujourd’hui un problème d’équité.
  • Lorsqu’une entreprise crée quelque chose, donne-t-elle plus qu’elle ne prend ? Il n’est pas forcément grave d’utiliser beaucoup de ressources, si le produit proposé s’avère à long terme économique et positif. Ainsi, une entreprise de fabrication d’éoliennes, par exemple, peut consommer beaucoup car ses productions aideront ensuite au maintien de l’équilibre climatique.
  • Quelles sont les conséquences d’une innovation ? Ne concernera-t-elle que les riches ? Aura-t-elle une action positive à long terme ou à court terme ? Là aussi, une invention ayant une action à court terme sur une population pauvre peut s’avérer tout à fait positive. Un exemple en est la machine à laver open source présentée à Lift. Une bonne partie des femmes du monde passe son temps à laver, et un tel système peut présenter une amélioration significative de leurs conditions de vie.

Lift France 09 : Dennis Pamlin : Changing the Planet from Lift Conference on Vimeo.

Quel est le but de l’innovation ?

Le designer John Thackara, tout comme Dennis Pamlin, a insisté sur la nécessité d’établir des filtres pour déterminer si une innovation possède ou non une valeur positive.

Il a remis en cause la valeur de certains mots en vogue, qui selon lui nous maintiennent dans une illusion confortable sur l’état de la planète. Au premier plan, le mot « futur », qui tend à nous faire oublier l’action présente. Ensuite, la notion « d’innovation », qui ne doit pas être considérée systématiquement et sans condition comme positive. Quel est le but d’une innovation ? A quelle question répond-elle ? A quoi répond, par exemple, l’internet des objets ? S’il ne constitue pas une solution à une problématique clairement posée, il est inutile d’y investir le moindre euro. Pour Thackara, une innovation est bonne si elle maintient la valeur et l’intégrité de la biosphère, sinon elle est inutile ou dangereuse.

John Thackara par Frank Kresin
Image : John Thackara par Frank Kresin.

Nous entrons, a-t-il expliqué, dans une phase ou sera moins valorisé ce que nous créons que ce que nous maintenons ou restaurons. « Nous ne serons pas jugés, au final, par ce que nous avons créé, mais par ce que nous avons refusé de détruire ».

La notion de numérique a ensuite été l’objet de ses critiques. Pour lui, il s’agit d’une couche supplémentaire qui s’ajoute à l’infrastructure de l’industrie globale et amplifie ses effets, y compris les plus négatifs. Mais il y a plus profond : le « numérique » n’est pas analogique, sa logique est différente de celle de la nature et cela contribue à nous éloigner encore plus du monde, de nos corps, et du réel.

John Thackara a ensuite présenté certains exemples de projets qui pourraient nous aider à surmonter la crise écologique. Premier exemple, les “Transitions Towns”, ces cités dans lesquelles des groupes de citoyens reprennent en main, au niveau local, des activités telles la création et la distribution de nourriture, le traitement des déchets, etc.

Le processus fondamental de tels projets consiste à se demander quelles sont les ressources déjà en notre possession, par exemple dans le domaine de la nourriture, et comment il est possible de les reconnecter pour obtenir un système viable au niveau local. Il a montré ainsi une carte des « marchés de fermiers » dans le sud de la France et expliqué qu’une telle cartographie permettait justement de comprendre les meilleurs moyens d’organiser la création et la distribution de nourriture, sans revenir à une idéologie primitive, mais en utilisant au contraire la science, la technologie pour faciliter ce nouveau type d’organisation.

Le grand défi de tels projets, a expliqué Thackara, n’est pas d’ordre technologique et ce n’est pas non plus une question de modèles économiques, c’est d’arriver à gérer la complexité sociale qui consiste à mettre en relation une multitude d’acteurs (propriétaires terriens, agriculteurs, commerçants, etc.) de manière optimale.

Après avoir traité le sujet de la nourriture, Thackara s’attaque au problème de la santé. ll rejette là aussi les solutions purement technologiques, qualifiant par exemple le projet d’abolir le vieillissement d’idée « malade », et s’intéresse plutôt à des méthodes d’ordre social pour faciliter la relation patient-médecin, comme Myca, une plateforme médicale de type Facebook mettant en rapport ces deux populations et facilitant ainsi la relation avec les professionnels de santé (il nous semble toutefois que Myca répond bien plus aux problématiques du système de santé américain qu’à la situation française, très différente comme chacun sait).

Troisième besoin fondamental, après la santé, le logement. Thackara a brièvement présenté Monumento, projet brésilien consistant à rénover des immeubles de bureau abandonnés à Sao Paulo pour les redonner à des communautés d’habitants issus des favelas.

Comment des concepteurs d’outils peuvent-ils s’intégrer dans ce genre de projet ? Essentiellement en créant des systèmes qui permettront de voir les choses plus clairement, en rendant visibles les ressources nécessaires et bien sûr en mettant en place des plateformes permettant de partager ces ressources. Mais la réalisation de tels outils ne peut se faire dans l’abstrait, elle doit s’effectuer à partir des situations réelles, en liaison avec les communautés sur le terrain.

Liftfrance09 : John Thackara from Lift Conference on Vimeo.

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0 commentaires

  1. Merci pour tous ces liens vers les enregistrements Lift dans ces différents billets.

    Existe-t-il un lien podcast pour ces conférences ? (audio ou video)
    Comme beaucoup de gens j’ai peu de temps pour regarder toutes ces conférences intéressantes en ligne alors que le podcasting m’apporte une dizaine d’heures par semaine en plus.
    Merci.

  2. l’internet des objets ? l’internet des objets est / sera utile a la gestion les ressources (au départ , il s’exprimera a mon sens au mieux dans le monde de la santé) et s’etendra progressivement au monde de la « récupération ». Convertir des matières suppose de savoir ou elles sont une fois « perdue » .. enfouie ou brulées elles ne sont guere utiles…