Géo-ingénierie, l’ultime recours ? (2/3) : Que propose-t-on de faire ?

Selon la plupart des spécialistes (et le rapport de la Royal Society suit cette classification), il existe deux grands groupes de techniques de géo-ingénierie pour nous sauver du cataclysme climatique qui s’annonce. Les premières consistent à trouver des solutions pour extraire le dioxyde de carbone (CO²) de l’atmosphère et éventuellement le stocker là où il ne gênerait plus personne.

L’autre grand type de technique est plus radicale, plus dangereuse et plus difficile à mettre en oeuvre ; mais aussi peut-être, selon certains en-tout-cas, plus efficace. Elle consiste à refroidir la planète en captant et détournant la lumière solaire.

Capturer le CO²

Planter des arbres ?
Pour éliminer le CO², le procédé le plus simple consisterait à planter des forêts. En effet, les arbres captent naturellement le CO² : il suffit d’en planter plus pour qu’ils absorbent les surplus de quantités que nous émettons. Voici une méthode sympathique, peu dangereuse, et à laquelle notre soutien est acquis. Problèmes : cette technique ne pourrait fonctionner qu’à très long terme, et laisse en suspend pour l’instant la quantité de terres urbaines ou agricoles qu’il faudrait convertir à cet effet. Mais de toutes les techniques évoquées, c’est la plus proche du fonctionnement des systèmes naturels, chers à Gunter Pauli.

Le rapport de la Royal Society considère cependant cette méthode comme peu efficace. De plus, le C0² prisonnier peut se retrouver libéré en cas d’incendie, par exemple, ou de retour aux pratiques de déforestation. Elle est en revanche très sûre et peu onéreuse. Quelques problèmes locaux de biodiversité peuvent toutefois se poser, et des conflits politiques liés à la gestion du territoire risqueraient se produire.

Brûler la biomasse
Certains nourrissent de grands espoirs dans la gestion de la biomasse. En fait, les plantes capturent une grande partie du CO²… tant qu’elles vivent. Mais lorsqu’elles se décomposent, le gaz carbonique est à nouveau libéré dans la nature. L’idée serait de récupérer tous ces déchets végétaux pour les empêcher de relâcher ce composé.

Pour James Lovelock, c’est quasiment une solution de la dernière chance : il faudrait selon lui encourager les agriculteurs à brûler leurs déchets agricoles puis à enterrer le charbon ainsi obtenu. Un peu de CO² serait produit pendant la transformation en charbon, mais la plus grosse partie serait séquestrée sous terre. Avantage de cette méthode : l’agriculteur pourrait convertir un petit pourcentage de ses déchets en biocarburant, ce qui lui permettrait de faire un profit, et donc la méthode ne nécessiterait pas de subvention particulière.

Mais l’enthousiasme de Lovelock n’est pas très contagieux. Le rapport de la Royal Society est beaucoup plus mitigé sur cette technique ou sur ses variations. Si elle présente l’avantage d’être assez sûre et d’un coût moyen, les résultats seraient médiocres et le temps nécessaire pour obtenir des résultats trop long face à l’urgence à laquelle nous sommes confrontés.

Aspiration et fertilisation des océans
On peut aussi travailler à partir des océans. Il existe en effet de nombreux échanges de CO² entre les eaux océaniques proches de la surface et l’atmosphère, alors que l’envoi de ce gaz vers les profondeurs est un cycle beaucoup plus long. L’idée serait donc de trouver des techniques pour accélérer ce cycle afin d’éviter l’envoi de doses massives de dioxyde de carbone dans les airs et de favoriser sa capture dans les profondeurs.

Lovelock – qui semble sur tous les fronts – travaille avec Chris Rapley à la technologie du « mélange des eaux ». Ils envisagent la création de « gros tuyaux », des espèces d’aspirateurs gigantesques qui pomperaient l’eau de la surface pour l’envoyer vers les profondeurs, avec son CO² bien sûr.

Une autre méthode de capture océanique se nomme la « fertilisation des océans ». Un joli nom pour une entreprise qui suscite à juste titre quelques inquiétudes. Ce plan repose sur le phytoplancton, cette masse de plancton végétal qui vit dans les eaux superficielles de l’océan, qui absorbe le carbone, et rejette l’oxygène. En fait, c’est le principal fournisseur d’oxygène de la planète. Le phytoplancton est donc un grand consommateur de CO², mais il a besoin de fer pour se multiplier. Il suffirait donc diffuser de la limaille de fer dans les zones les moins fertiles des océans pour permettre un accroissement du phytoplancton, qui, proliférant, deviendrait donc capable d’effectuer sa tâche avec plus de puissance.

Le rapport de la Royal Society n’est pas tendre avec la technique de fertilisation des océans qui possède selon eux un très grand potentiel de risque écologique. Le seul avantage de cette méthode, précise le rapport, c’est qu’elle relativement peu onéreuse. En revanche son efficacité serait en fait très limitée. Ils ne sont pas très indulgents non plus avec la méthode des « aspirateurs ». Il n’est pas certain, affirment-ils, que l’envoi de CO² au fond des océans ne soit pas sans conséquences sur la faune et la flore marine. Sans compter que la quantité de du gaz carbonique atmosphérique capturée serait négligeable.

La chimie des silicates
Une autre technique, s’appliquant tant à la terre qu’à la mer, consisterait à utiliser la réaction de certains minéraux au gaz carbonique pour se débarrasser de ce dernier. On pourrait recouvrir par exemple des champs entiers de poudre de silicate. On obtiendrait des résultats analogues en plaçant ces minéraux dans les océans. La méthode serait efficace, peu risquée (il faut cependant que cela soit confirmé par des études à venir), en revanche elle serait très onéreuse, nécessitant l’extraction et le traitement d’une grande quantité de roche. Et comme toutes les méthodes d’élimination du CO², elle souffre de ses lenteurs naturelles.

Absorber le CO²

Des arbres artificiels alignés le long d'un autorouteReste les méthodes qui consistent à capturer directement le CO² dans l’atmosphère. Elles consistent essentiellement à construire des systèmes basés sur des composés chimiques capables d’absorber le CO². Elles disposent d’un haut degré de sécurité, ne mettent pas en danger le système écologique, et possèdent une capacité réelle d’action. En revanche, elles sont chères, demandent une grande quantité de R&D et d’infrastructure, et surtout, elles mettront longtemps à agir sur le réchauffement climatique.

Le National Geographic mentionne deux projets dans cette catégorie : la fabrication « d’arbres artificiels » – qui ressemblent plutôt à des panneaux de capteurs – qui possèderaient des « feuilles » capables d’absorber le gaz carbonique (voir photo). Une autre idée, étudiée au Centre de décision sur le climat de l’université Carnegie Mellon consisterait à installer des tours gigantesques (.pdf), de 120 m de hauteur et autant de diamètre, susceptibles de projeter dans les airs une solution d’hydroxyde de sodium susceptible d’absorber le CO².

Refroidir la planète

Lorsqu’on parle de géo-ingénierie, c’est plutôt aux techniques de refroidissement de la planète qu’on pense car ce sont celles qui s’apparentent le plus à de véritables grands travaux au niveau planétaire. L’idée est simple : il s’agit de refroidir la planète en réfléchissant mieux les rayons du soleil. Nombre de ces techniques reposent une caractéristique physique, l’albédo, une unité de mesure qui fait un rapport entre l’énergie solaire réfléchie et la surface, selon les capacités réfléchissantes de ces surfaces. En gros, plus un objet est clair, plus il aura tendance à refléter les rayons solaires et donc à les renvoyer vers l’espace, tandis que la couleur sombre aura tendance à les absorber.

Blanchir la planète
Donc on va chercher à blanchir la planète ! Pourquoi ne pas repeindre en blanc toutes les infrastructures humaines : routes, toits des bâtiments, etc. ? Reste que cette technique serait coûteuse (il faut constamment repeindre pour que l’installation reste fonctionnelle), et surtout efficace dans les régions les plus ensoleillées du globe. Mais surtout que l’ensemble des structures humaines ne couvre qu’1 % de la surface du globe. Autrement dit, selon le rapport « c’est une des méthodes les plus onéreuses et les moins efficaces ». En revanche, on s’en doute, elle est parfaitement sans danger.

Il existe bien sûr des propositions plus pharaoniques : recouvrir les déserts d’une bâche blanche, par exemple. Petit inconvénient, il faudra dire adieu aux écosystèmes désertiques, qui n’y survivront pas. Mais ce ne serait pas le seul problème. Une telle approche risque, précise le rapport, « de perturber à large échelle la structure de la circulation atmosphérique, par exemple la mousson venue d’Afrique de l’Est qui apporte la pluie en Afrique subsaharienne ». Grosso modo, cette méthode a surtout des inconvénients : chère, dangereuse et d’une efficacité moyenne (les déserts occupent 2 % de la surface du globe, soit à peine plus que les infrastructures d’origine humaine). Seul avantage, elle aurait des effets assez rapides.

Renvoyer la lumière du soleil
Encore plus mégalomane, l’idée de « miroirs solaires » entourant notre globe est la spéculation la plus proche de la science-fiction. Plusieurs versions ont été envisagées. Le rapport de la Royal Society mentionne une d’entre elles, datant de 1992, proposée par l’Académie des sciences américaine . Elle consiste à disposer 55 000 miroirs d’environ 100m² chacun en orbite autour de notre planète. Qu’on pourrait orienter pour nous soustraire en partie aux rayons solaires.

Une autre possibilité également mentionnée dans le rapport serait de créer un anneau de particules microscopiques, un peu comme on en trouve autour de Saturne, au niveau de l’équateur, à une altitude située entre 2000 et 4500 km. Cela aurait tendance, précise le rapport, à assombrir les tropiques pendant l’hiver, mais en été, le dispositif tendra à illuminer la nuit ! Qu’importe, de toute façon, nous ne sommes pas prêts d’avoir les moyens de nous offrir un anneau de Saturne pour l’instant.

Les gouttelettes d’eau : développer la masse nuageuse
Abordons maintenant à des idées plus réalistes ; par exemple, augmenter l’albédo des océans en accroissant leur couverture nuageuse. C’est la fameuse technique des « gouttelettes d’eau » , une méthode qui semble séduire beaucoup de monde.

Elle est basée sur un principe apparemment très simple : une flotte de bateaux automatisés, aspirent de l’eau de mer et la projettent dans les airs afin de créer une importante couche de nuages au-dessus des eaux. Les rayons du soleil sont reflétés et la partie est gagnée, du moins l’espère-t-on.

Nombreux sont ceux, qui sont assez convaincus par cette technique. Elle est peu chère, (presque) faisable avec la technologie d’aujourd’hui, et son action serait assez rapide, puisqu’elle permettrait une baisse de la température dès la première année. Y a-t-il des inconvénients ? Il pourrait en fait en exister plusieurs.

Le rapport de la Royal Society est en effet plutôt mitigé. Il met en question la facilité à mettre en oeuvre cette technique, tant vantée par ses thuriféraires : on ne sait pas en fait exactement combien il faudrait propulser d’eau de mer pour obtenir un résultat vraiment convaincant. Le prix dépend d’ailleurs aussi de cette interrogation : s’il faut projeter beaucoup plus d’eau que prévu, beaucoup plus régulièrement, il est évident que le coût « modique » de cette entreprise risque d’exploser. Les dangers ? Certaines régions risquent de voir leur équilibre climatique perturbé.

En bref, cette technique des « gouttelettes » ne serait ni aussi intéressante, ni aussi bon marché qu’on le dit, mais elle possède certains avantages et ne mérite pas non plus d’être éliminée complètement.

Les aérosols stratosphériques
La technique des « aérosols stratosphériques » est un peu plus intrusive, mais semble-t-il plus prometteuse. Elle consiste à projeter dans la haute atmosphère des particules microscopiques contenant du soufre ; ce sont des poussières analogues à celles rejetées par les volcans. N’a-t-on pas constaté en effet une baisse d’un demi-degré des températures terrestres l’année qui suivit l’explosion du Pinatubo en 1991 ?

Voilà une technologie qui reçoit de nombreux compliments de la part des experts de la Royal Society ! Son efficacité est réelle ; à l’instar de la technique des gouttelettes, elle pourrait faire baisser les températures dès la première année. Son prix n’est de surcroit pas très élevé. Ah oui, il y a tout de même un petit problème : elle est dangereuse. Elle pourrait d’abord avoir un effet négatif dans certaines régions sur le cycle des pluies. En fait, elle pourrait même mettre en danger la couche d’ozone ! En effet, on a constaté après l’explosion du Pinatubo une baisse de 2 % environ des niveaux d’ozone dans la stratosphère.

Il y a un danger additionnel, souligné par la revue Wired : si cette solution marche, il faudra qu’elle le fasse longtemps. Selon les recherches de Damon Matthews, de l’université Concordia au Québec, et de Ken Caldeira, du département d’écologie globale de l’université de Stanford, arrêter brusquement l’envoi d’aérosols stratosphériques pourrait avoir comme conséquence de relancer le réchauffement climatique, mais 10 à 20 fois plus rapidement qu’aujourd’hui. En effet, le CO² qui aura été capturé par les réservoirs naturels de la planète se retrouverait brutalement libéré en cas d’arrêt malencontreux du processus.« Ce réchauffement rapide », explique Wired « correspondrait à 7° supplémentaires par décennie, ce qui ravagerait la planète et mettrait la civilisation en danger ». En fait, il faudrait que cette infrastructure tourne sans panne pendant plusieurs centaines d’années, voire des millénaires, malgré les guerres, les révolutions ou les crises économiques. Or, comme le rappelle Caldeira : « Nous n’avons jamais vu de systèmes fonctionner des milliers d’années sans perturbation ».

Quelle serait la meilleure solution technique ?

Quelles sont les technologies préférées par les auteurs du rapport du rapport de la Royal Society ? Si l’on combine tous les critères d’efficacité, de prix, de rapidité d’action et de risques, quelles sont les méthodes qui s’en sortent le mieux ?

Les techniques d’élimination du CO² ont pour avantage d’attaquer directement la cause du réchauffement et donc de pouvoir aussi soigner certaines conséquences secondaires comme l’acidification des océans. Mais elles sont bien trop lentes à agir pour pouvoir être envisagées et permettre de nous sauver de la catastrophe écologique qui s’annonce.

Contrairement à ce que la prudence pourrait nous faire penser, leurs préférences vont donc pour des techniques de géo-ingénierie pures, radicales. Dans le domaine de l’extraction du carbone, les experts britanniques privilégient donc le retrait du CO² directement depuis l’atmosphère, ainsi que l’usage des silicates pour favoriser des réactions chimiques positives . Dans celui de la gestion des rayons solaires, ce sont les aérosols stratosphériques qui l’emportent, à condition toutefois que soient multipliées les études sur son impact possible.

Mais le rapport de la Royal Society ne s’arrête pas aux aspects technologiques. Il aborde aussi l’éthique, l’économie et la gouvernance : et ces raisons là ne doivent pas être les dernières à présider nos choix comme nous le verrons dans le prochain article.

Rémi Sussan

Le dossier, Géo-ingénierie, l’ultime recours ?

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0 commentaires

  1. Un problème commun à tous ces projets n’est semble-t-il souligné par personne : la complexité des systèmes écologiques fait que nous n’avons aucune vision possible des effets à long terme de toute géo-ingéniérie! Un peu de sagesse que diable, et d’humilité… On a bien vu avec les tentatives d’ensemencement des océans que les scientifiques ne maîtrisaient pas le sujet. Cessons donc de vouloir jouer les apprentis-sorciers!

  2. YAZombie,
    Gageons que quelques entreprises sauront tirer leur épingle du jeu des incertitudes et déveloopperont des marchés sans qu’on sache bien si ça sert à autre chose qu’à faire tourner la machine économie…

  3. L’hypothèse des miroirs solaires présente un risque que de nombreux écrivains de science-fiction ont imaginé : celui d’entourer notre planête de millions de particules à haute vélocité. Ces particules pourraient, grâce à leur vitesse, détruire une navette spatiale en créant une brèche, si elles croisent la trajectoire de la navette. Il nous serait donc impossible de quitter notre chère planête Terre pour toujours…