La transparence a-t-elle des limites ?

Dans une très intéressante tribune publiée par The New Republic, l’éminent professeur de droit, Lawrence Lessig, fondateur du Centre pour l’internet et la société à l’école de droit de Stanford, revient sur cette « nouvelle objectivité que constitue la transparence des données », comme la définissait David Weinberger. Une transparence revivifiée par ce mouvement pour la libération des données publiques dont les projets de la Sunlight Foundation , de data.gov ou de Apps for Democracy sont les nouveaux emblèmes. Mais qu’est-ce que la transparence implique ? Est-elle aussi légitime que semblent nous le dire ses partisans ? Ne risquons-nous pas d’entrer dans une nouvelle ère où la transparence risque plus de devenir une tyrannie qu’une vertu ?

« Incontestablement, la transparence est devenue une valeur commune à tous les partis. Et pas seulement en politique. » Dans une passionnante tribune publiée par The New Republic, le magazine progressiste américain, le professeur de droit Lawrence Lessig analyse le mouvement de libération des données publiques à l’oeuvre et que soutient la Sunlight Foundation (dont il est membre du conseil consultatif). Faut-il rappeler préalablement que Lawrence Lessig est le concepteur des licences Creative Commons (dont le mouvement pour la libération des données publiques fait un usage intensif) et auteur de nombreux livres dont Culture libre et de L’avenir des idées.

Peut-on être contre la transparence ?

« Comment pourrait-on être contre la transparence ? Ses vertus et son utilité publique semblent si évidentes. Pourtant, je m’inquiète de plus en plus d’une erreur au fondement même de cette bonté incontestée. Nous ne sommes pas suffisamment critiques sur où et comment la transparence fonctionne, ni sur les risques de confusion, voire pire, qu’elle entraîne. Je crains que le succès inévitable de ce mouvement – s’il est mené seul, sans aucune sensibilité à la complexité de l’idée d’une disponibilité parfaite de l’information – ne finisse par inspirer, non des réformes, mais le dégoût. Le « mouvement de la transparence nue », comme je l’appelle, n’inspire pas le changement. Il va tout simplement faire disparaître toute confiance dans notre système politique. »

Lawrence Lessig lors d'une de ses multiples intervention publique
Image : Lawrence Lessig lors d’une de ses multiples intervention publique par Meet The Media Guru.

« Le mouvement de transparence nue allie la puissance des technologies de réseau à la baisse radicale du coût de la collecte, du stockage et de la distribution des données. Son but est de libérer les données, en particulier les données du gouvernement, de manière à permettre au public de les traiter pour mieux les comprendre, ou du moins différemment. » L’exemple le plus évident de ces nouvelles règles de divulgation des données concernent le processus législatif lui-même : les lois devront être publiées en ligne 24 heures avant leur vote, les vidéos des débats devront être rendues accessibles… Le site web data.gov rassemble désormais une grande variété de données accessibles dans des formats ouverts et libres de réutilisation.

« Sans aucun doute, pour la grande majorité de ces projets, la transparence a du sens », souligne le juriste. Et de défendre notamment la transparence de la gestion, permettant de mieux mesurer la performance des organismes gouvernementaux. Ou encore la libération de données publiques « objectives », telles que la localisation, la météo, etc., qui ont permis de bâtir de la valeur économique. Mais ces exemples ne font pas toute l’histoire de la transparence.

« Il y a un type de transparence qui devrait soulever plus de questions qu’il n’y en a – celle qui vise à révéler l’influence voire la corruption. » Des projets tels que celui qui consiste à construire une base de données des docteurs qui ont reçu de l’argent de sociétés privées, actuellement très discuté aux Etats-Unis – ou celui permettant de tracer chaque source possible d’influence d’un député…« Ces projets sont à l’évidence inspirés par de bons sentiments. Leurs effets seront profonds. Mais bénéficieront-ils vraiment au plus grand nombre ? Souhaitons-nous vraiment le monde très vertueux qu’ils envisagent ? »

Tyrannie de la transparence ou tyrannie de la vertu ?

Le but de tels projets, explique Lessig, est de permettre à n’importe qui de relier automatiquement toute trace (notamment financière) de la relation d’un élu avec des lobbies à ses décisions et ses votes, comme l’illustre le récent rapport Maplight sur « Comment l’argent a coupé court à la loi sur le climat ». Ce rapport énumère une longue liste de corrélations entre l’argent et les résultats du vote de cette loi, montrant par exemple que les députés qui ont voté oui ont reçu en moyenne 37 000 dollars entre 2003 et 2008 des industries du pétrole, du gaz, du charbon ou de l’industrie nucléaire, soit trois fois plus que ceux qui ont voté contre (qui ont reçu en moyenne 11 000 dollars sur la même période). Et Lessig de prédire que nous saurons bientôt tout des évènements publiquement enregistrables qui pourraient influer sur ceux qui nous régissent. « Le panoptique a été retourné sur les législateurs ». Nous sommes en train de tracer leurs moindres faits et gestes.

« Qu’est-ce qui pourrait ne pas fonctionner avec cette omniscience civique ? Comment la démocratie a-t-elle survécu sans tout cela ? », s’interroge le professeur de droit.

L’éminent juriste Louis Brandeis, l’un des symboles de l’ère progressiste, conseiller de Wilson et de Roosevelt, a été l’un des défenseurs de la transparence au début du siècle dernier, rapporte Lessig. Selon lui, la transparence devrait être encouragée comme un moyen plus efficace pour réglementer un marché potentiellement dangereux. Brandeis a décrit ainsi la « transparence ciblée » qui est devenue une école de la théorie de la réglementation (notamment illustrée par Archon Fung, professeur de politiques publiques et auteur de Full Disclosure : The Perils and Promise of TransparencyDévoilement total : les périls et les promesses de la transparence). Depuis 1986, une quinzaine de programmes de transparence ciblés ont été initiés, afin d’améliorer les données de consommation et mieux réguler le marché, et ce, avec l’appui à la fois des démocrates et des républicains. Parmi ces programmes par exemple, on trouve la publication de la consommation moyenne en carburant des véhicules, qui permet à chacun d’en comparer les performances.

« Le problème cependant, c’est que toutes ces données ne sont utiles que si les consommateurs peuvent les comprendre et les exploiter. Plus d’information, comme Fung et ses collègues l’ont dit, ne produit pas toujours des marchés plus efficaces. Au contraire : « la manière dont les gens réagissent à l’information est indissociable de leurs intérêts, de leurs désirs, de leurs ressources, de leurs capacités cognitives et de leurs contextes sociaux. En raison de ces facteurs, les gens peuvent ignorer l’information, mal la comprendre ou l’utiliser. » En fait, explique Lessig, nous avons besoin de voir si les corrélations établies par les données révèlent quelque chose de réel. « Et c’est ce que ce mouvement de la transparence nue n’a pour l’instant pas réussi à démontrer ».

Les données ne prouvent rien, mais l’argent semble tout prouver

Car il demeure difficile de montrer qu’une contribution d’une société privée a joué un rôle ou pas dans le vote d’un élu. Une corrélation n’implique pas une causalité. Et choisir de corréler deux informations entre elles, en éliminant toutes les autres influences possibles, relève déjà d’un choix fort. « Même si nous avions toutes les données et un mois de codeurs de Google, nous ne pourrions pas commencer à trier les contributions de corruptions des contributions innocentes. » En fait, ces données ne permettent que de poser des questions, pas d’apporter des réponses, notamment quand un député vote d’une manière incompatible avec ses principes ou son camp, mais compatible avec une contribution importante qu’il aurait reçue.

« Mais alors : si les données ne prouvent rien, qu’y a-t-il de mal à les produire ? », interroge candidement Lessig. A défaut de prouver, elles suggèrent, elles insinuent. Et la focalisation quasi-exclusive des partisans de la transparence sur l’argent a un sens en soi. Lessig prend alors l’exemple autour d’une loi promue dès 2000 par le lobby des Cartes bancaires américaines, qu’Hillary Clinton combattait alors qu’elle était la première dame des Etats-Unis, avant que, devenue sénatrice de New York en 2001 (et ayant reçue 140 000 dollars de contribution à sa campagne de ce même lobby), de voter en faveur du projet. Mais de quoi son changement de position est-il la preuve ? D’une influence coupable ? Du fait que, devenue sénatrice de la première place financière mondiale, elle répondait aux attentes de son électorat ? Ou d’une réelle conviction ? Pour tous, indépendamment de tout autre contexte, l’argent semble être devenu la raison de son changement d’opinion. L’argent « fixe la valeur par défaut contre lequel rien de différent ne pourra lutter. Et cette valeur par défaut, cette hypothèse non examinée de causalité, ne pourra qu’être renforcée par le mouvement de « la transparence nue » et les corrélations qu’il établit. »

« Comprendre quelque chose – un essai, une argumentation, une preuve de l’innocence – nécessite une certaine attention. Mais sur beaucoup de questions, elle est presque toujours inférieure à la quantité de temps requise pour comprendre bon nombre de corrélations et éviter d’en tirer des implications diffamatoires. Le résultat est un malentendu structurel et une destruction de toute possibilité de confiance. » C’est ce qui caractérise la tyrannie de la transparence. En fait, la question n’est surtout pas de dire que le public n’est pas assez intelligent pour comprendre la vérité. Au contraire, affirme Lessig, « le public est trop intelligent pour perdre son temps à se concentrer sur des questions qui ne sont pas importantes pour lui à comprendre. L’ignorance est rationnelle, non pathologique. » La transparence nous fait nous focaliser sur des données qui semblent tout expliquer. Or, leur couplage peut aussi produire des syllogismes faciles et des erreurs d’interprétation comme le disait l’historien Louis Chevalier.

Y’a-t-il une solution pour éviter les inconvénients que la transparence créée ? Dans le cadre de l’information publique, si le problème de la transparence est de créer des insinuations structurelles, la solution simple serait d’éliminer ces insinuations.

Comment éviter la démocratie du cynisme ?

Et Lessig de suggérer par exemple une loi pour le financement des campagnes électorales qui ramèneraient l’équité et éliminerait le fléau de voir l’argent devenir le seul facteur de compréhension de la démocratie américaine. « Mais l’objectif de ces propositions n’est pas, ou ne devrait pas être, de rétablir l’équité. L’objectif devrait être de redonner la confiance. Le problème que ces projets de loi révèlent est que nous avons un Congrès auquel plus personne ne fait confiance – un Congrès, qui, de l’avis de l’immense majorité du peuple américain, se vend au plus offrant. L’objectif des propositions de loi de ce type devrait être de modifier cette perception en mettant en place un système dans lequel personne ne pourrait croire que l’argent puisse acheter les lois. De cette façon, nous pourrions éliminer la possibilité d’une influence qui nourrit le cynisme, ce qui est inévitable lorsque la technologie devient si simple qu’elle est capable d’insinuer une interminable liste d’influence. »

La proposition pour le financement public des élections doit être comprise comme une réponse à une pathologie inévitable de la technologie : sa transparence. En tout cas, Lessig veut y voir le seul moyen pour sortir du cycle de cynisme que promet la transparence nue.

« Les réformistes se sentent rarement responsables des mauvais effets qu’induit leur fantastique nouvelle réforme. Leur démarche est centrée sur le bien. Les effets pervers, c’est le problème de quelqu’un d’autre. » Il n’y a pas à remettre en cause le bien que la transparence créée dans un large éventail de contextes, particulièrement en ce qui concerne la démocratie. «  »Mais nous devons aussi reconnaître que les conséquences collatérales de ce bien doivent elles-mêmes être positives. Et si les effets collatéraux de la transparence consistent à renforcer le public dans ce qu’il pense déjà, nous devrions sérieusement réfléchir à la façon dont nous pouvons l’éviter. Les rayons de soleil peuvent être un grand désinfectant (référence à la Sunlight Fondation et à son slogan) . Mais quiconque a déjà pataugé dans un marécage sait qu’ils ont aussi d’autres effets. »

La transparence est-elle de droite ou de gauche ?

L’article de Lawrence Lessig a bien sûr déclenché quelques réactions. Dans une longue argumentation, Ethan Zuckerman montre que les raccourcis faciles ne sont pas que le lot des bases de données, les médias en sont remplis. Ces connexions peuvent avoir une visée explicitement progressiste, comme le montre They Rule, réalisé par Josh On, permettant de détailler les compositions et les relations entre les participants des conseils d’administration des 500 plus grandes entreprises américaines, par exemple. Les données ne portent pas avec elles leur contexte : on peut lire They Rule comme une indication sur les compétences requises qu’il faut pour diriger les grandes ou comme la preuve qu’une classe d’oligarques contrôle dans l’ombre les entreprises américaine.

Pour Tim Wu, professeur à l’école de droit de Columbia, la transparence n’aura pas beaucoup d’effets et il est peu probable qu’elle produise des changements réels. Peut-on vraiment croire que la publication des financements ou des dépenses des hommes politiques va les transformer ? Le mouvement pour la transparence est en réalité très différent de cette transparence nue qu’attaque Lessig dans son article. « L’idée même d’exposer les données gouvernementales aux développeurs extérieurs a pour but, à sa base, de stimuler l’innovation dans la façon dont nous percevons et contextualisons les données. (…) La plupart de nos efforts consistent à créer des outils et des sites pour tirer du sens d’informations que nous aidons à mettre en ligne. » Pour Ellen Miller et Michael Klein, cofondateurs de la Sunlight Foundation, un meilleur examen de nos gouvernants est plus une solution qu’un problème. La seule solution pour restaurer la confiance est justement de montrer les connivences et d’y mettre fin.

Pour Jeffrey Rosen, éditorialiste à The New Republic, il faut mieux mesurer l’équilibre entre la transparence et la vie privée : « Lawrence Lessig démontre de manière convaincante qu’il existe des dangers à privilégier systématiquement la transparence sur la vie privée : Une démocratie réfléchie devrait trouver un équilibre entre les deux valeurs, qui sont parfois incompatibles et parfois se renforcent mutuellement. » Pour David Weinberger, chercheur au Centre Berkman pour l’internet et la société à Harvard (celui même pour lequel « la transparence est la nouvelle objectivité »), une plus grande transparence devrait renforcer plutôt que diminuer la confiance du public : « Le problème ne réside pas dans la surabondance de données, mais dans un système qui récompense les déchainements de bêtises. » Weinberger est visiblement déçu que Lessig sous-estime la transparence, mais il comprend bien le risque de la transparence que dénonce le juriste (« il est contre le dumping de la transparence des données, sans outils pour fabriquer du sens »), même si cela ne lui semble pas suffisant pour la refuser. Plutôt que de diminuer la transparence par défaut, Lessig doit la considérer comme une composante essentielle de son important projet de lutte la corruption dans laquelle il est également très impliqué.

Carl Malamud, le fondateur de Public Resource, un avocat de la libération des données publiques, a également écrit une réponse à Lessig. Celui-ci ne voit pas dans l’article de Lessig une attaque contre le mouvement pour la transparence, mais bien un appel à utiliser cette transparence dans un cadre de bonne gouvernance. « En d’autres termes, alors que nous sommes en train d’embrasser les outils qui nous permettent de lier les données (les blogs, les bases de données, les fruits du mouvement pour la transparence…), nous sommes invités à comprendre les risques de notre propre zèle, ainsi que ceux de ceux qui nous entourent », conclut Ethan Zuckerman. « La solution n’est pas de lutter contre la transparence, ni même de réformer le financement des campagnes électorales, mais de comprendre que dans un monde dans lequel nous pouvons relier toutes les données, nous devons apprendre à lire et à écouter avec plus d’attention, plus de prudence et plus de scepticisme. Surtout lorsque les données nous amènent aux conclusions que nous voulions voir se dessiner. »

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  1. Signalons que Lawrence Lessig vient de publier une réponse aux critiques où il rappelle son attachement sans faille au libre accès – si certains en étaient venu à en douter. « Je ne condamne pas la transparence. Je l’accepte, et la célèbre, mais je me demande comment nous pourrions éviter les inconvénients que certaines formes de transparence produisent inévitablement. »

    Il y explique qu’en fait on y retrouve le même débat et les mêmes positions tranchées que ceux qu’on trouve dans bien des champs du numérique : L’internet augmente notre capacité d’accès aux données. Mais certaines données ne disent rien. En conséquence, certains vont vouloir mettre leur véto sur les données car elles entraînent des malentendus. D’autres voudront ignorer les défauts, car les avantages de l’accès sont indéniables. D’autres enfin, comme lui, célèbrent la libération de la capacité d’accès mais cherchent à réfléchir aux moyen d’en limiter les dommages.

    Et Lawrence Lessig de nous inviter à réfléchir au problème de l’attention, c’est-à-dire au préjudice qui se produit lorsque des lecteurs consacrent moins de temps pour comprendre rationnellement quelque chose qui exige du temps. La « transparence nue » n’est pas un remède magique.

  2. A propos des corrélations a priori mathématiques (rapprochement de données) mais qui ne doivent pas mener à des conclusions hâtives, j’ai eu un jour un exemple qui montre que « la donnée brute ne ment pas » est un mauvais argument. Comme pour un référendum, où tout dépend de la question posée, les statistiques ne sont jamais présentées dans un environnement neutre. Il faut savoir dans quel référentiel on se pose.

    Exemple : il y a apparente corrélation entre les ventes de glaces et sorbets, et les ventes de lunettes de soleil. De là à dire que les premiers éblouissent ou que les seconds donnent chaud…

  3. Avant, quand on disait de quelqu’un qu’il était transparent cela signifiait qu’il était creux et sans intérêt.

    A présent la transparence a pris une toute autre valeur : quelqu’un de transparent sera dit fiable, honnête, etc.

    Y a t il une analogie avec la transparence des données ?

  4. @Enikao : Oui, les profs de statistiques ne cessent de mettre en garde leurs étudiants contre ce type de dangers.

    L’intelligence de nos outils ne fait pas de nous des gens plus intelligents. Il faut savoir les décrypter et plus encore, nous méfier des facilités auxquelles nous sommes enclins et que ces techniques peuvent favoriser. Lessig montre bien que aussi qu’il faut prendre en compte dans tout cela notre fonctionnement et nos limites cognitives. Dit autrement, le datajournalism n’est pas bon par nature, sans capacités de compréhension, de mise en perspective : il va avoir du mal à remplacer le journalisme d’investigation.

    Encore une fois, si le mouvement de libération de données conduit à 90 % à faire des cartographies de la criminalité ou de la corruption, il va nous falloir réfléchir un peu plus aux limites de sa portée et à ce qu’il nous apprend.

    @Christian : on peut être fiable et honnête tout en étant creux et sans intérêt. ;-).

  5. Tout dépend aussi de l’angle sous lequel cette transparence est envisagée. Si l’idée de tracer les multiples réseaux (économiques, politiques, etc.) de notre monde devient réalisable, alors c’est une autre conscience politique qui pourrait peut-être advenir, notamment en redonnant des prises pour reconfigurer ces réseaux. Cette forme de réflexivité potentiellement collective peut-elle déboucher sur un projet politique renouvelé ? La question commence en tout cas à être travaillée : http://yannickrumpala.wordpress.com/2009/01/04/cartographier-le-contemporain/

  6. « Une donnée brute n’est pas une information en soit, c’est juste une donnée brute, et l’interprétation d’une donnée brute est un exercice qui peut s’avérer particulièrement compliqué, d’autant que cela peut souvent avoir l’air simple », rappelle Fabrice Epelboin.

  7. Un discours fort ambigu, fort théorique, mal construit, et qui peine à délimiter clairement les inconvénients du concept en question (peu d’exemples). Les avantages d’une meilleure transparence dans sa globalité me paraissent bien plus évidents, importants que ses supposés inconvénients. Or le texte sous-entend, à mon sens, que « transparence » et « non transparence » seraient deux systèmes globalement égaux en valeur, mais aux émérites et désagréments distincts. Or, ce n’est pas le cas: le positif l’emporte largement sur le négatif, exceptés quelques cas: l’adresse des anciens délinquants sexuels, le fichage rendu public des opinions politiques etc. En outre, penser que la transparence sur les rémunérations des lobbys aux politiques rendrait la population plus cynique, revient à prendre les gens pour des cons. Et on peut très bien en tirer les conclusions inverses: la transparence permet de couper court aux fantasmes sur les supposées rémunérations exorbitantes des uns et des autres. Bref, c’est le genre d’idéologue dangereux, de sophiste toujours enclins à tordre les raisonnements dans son sens, parce que le juste chemin n’aurait jamais le bon gout d’être droit et simple mais devrait soit-disant emprunter des sentiers boueux pour atteindre la vérité. Vous pouvez voir les mêmes genres de discours actuels sur l’inutilité d’une nouvelle régulation financière. AMBIGU

  8. Les craintes exprimées par Lawrence Lessig sont légitimes, mais en même temps très réductrices.
    Certes, c’est ce que tout étudiant en statistique apprend en début d’année, on peut faire dire n’importe quoi aux chiffres, à fortiori aux corrélations. Et prétendre démocratiser la vie politique américaine par le simple fait de corréler les sommes reçues par les élus avec leurs prises de position est une manière de « monétiser » cette même vie politique.
    Mais tout ceci semble oublier l’essence même de la vie politique. Comme si subitement le fait que l’accès aux données publiques soit désintermédié (comme si souvent sur le Web), le fait que les citoyens puissent accéder aux données brutes sans le filtre des médias ou des experts, supprimait par la même occasion un temps essentiel de nos démocraties : celui du débat public, contradictoire et argumenté. Nos partis politiques, nos mouvements en tous genres sont-ils si moribonds qu’ils ne puissent s’emparer de ces données brutes pour en nourrir leurs réflexions et leurs propositions ? Avons-nous définitivement perdu tous nos corps intermédiaires capables d’animer le débat public ?
    Oui le citoyen laissé à lui-même face à des millions de données brutes risque de se contenter de vérifier le taux de criminalité de son quartier et de comparer la pression fiscale de sa ville à celle de la commune voisine.
    Mais en revanche quel formidable gisement pour tous ceux qui tentent de redonner de la profondeur au débat démocratique et à tordre le coup à certaines désinformations patentes.
    Ainsi alors que les discours sur l’identité nationale fait son come back et que les slogans du type ces « immigrés qui nous mangent la laine sur le dos » fleurissent, j’attends avec impatience de pouvoir croiser les contributions fiscales des populations immigrées avec l’argent que ces mêmes personnes reçoivent sous forme de prestations sociales, histoire de montrer l’inanité de ces petites phrases qui font tant de mal. De même, à l’heure où la seule recette pour combler le trou de la sécu consiste à sortir du remboursement des médicaments prescrits tous les jours par nos médecins ou à diminuer la prise en charge du forfait hospitalier, sur un mode pseudo égalitaire donc profondément inéquitable, il serait utile de pouvoir croiser le niveau de dépense en sécurité sociale avec le niveau moyen de revenu par territoire…
    Oui j’ai hâte d’avoir des données publiques accessibles dans cette France de moins en moins démocratique !

  9. Thierry Crouzet pourfend les intégristes de la transparence : « La technologie permet la transparence ce n’est pas une raison suffisante pour tout rendre transparent. Nous avons le droit au secret. Et si nous avons ce droit individuellement, nous ne pouvons faire autrement que de garantir aussi le secret des entités collectives. Cela signifie que nous devons décider des données à rendre transparentes, de celles qu’il est préférable de garder secrètes, tout au moins dans l’instantanéité. A posteriori les secrets ont peu d’intérêt. »