#Pdlt : Quel usage d’internet pour le journalisme d’investigation ?

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission. Désormais, vous la retrouverez toutes les semaines aussi sur InternetActu.net.

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La lecture de la semaine, il s’agit d’un post paru mardi dernier sur un des blogs du quotidien anglais The Guardian sous le clavier de Mercedes Bunz. Je ne connaissais pas Mercedes Bunz avant de lire son post. Elle est allemande, a fait des études de philosophie, d’histoire de l’art puis de médias (les medias studies) et depuis un an, elle vit à Londres où elle suit Internet et les Nouvelles Techonologies pour le Guardian. Son post est intitulé : « quel usage d’Internet pour le journalisme d’investigation ? » Article intéressant, car il prend le contrepied de tout ce qu’on peut lire et entendre sur les rapports entre journalisme et internet, en France notamment. En proposant des pistes très contre-intuitives.

Mercedes Bunz commence par énumérer quelques enquêtes menées grâce au web : comment un blog, grâce à ses lecteurs éparpillés dans tous les Etats-Unis, a réussi à élucider ce qui se jouait politiquement dans le départ soudain de magistrats sous la présidence de George Bush ; comment le post d’un Canadien sur son blog a mis les journalistes sur la piste d’un trafic de nourriture pour chien contaminée provenant de Chine et commercialisée par une marque américaine ; ou comment les tweets d’un journaliste du Guardian sur une enquête qu’il menait – enquête sur la mort du vendeur de journaux pendant le G-20 à Londres -, comment ces tweets ont permis de collecter du matériel qui a fini par montrer l’implication de la police dans cette mort.

Bref, pour Mercedes Bunz, Internet a changé le journalisme d’investigation et de plus en plus de journalistes l’utilisent soit pour y trouver des idées, soit pour vérifier des faits. Ils l’utilisent aussi pour informer leur communauté de leur enquête en cours en lui demandant parfois de l’aide ou des conseils. Et Benz de citer Dan Gillmor, ancien journaliste d’investigation et auteur d’un livre sur le journalisme contemporain (We the Media) : « Après une bonne enquête, dit Gillmor, tout journaliste reçoit des coups de fil de gens qui lui disent : super histoire, mais voilà ce que tu as raté. » Pour Gillmor, ce qui arrive de plus intéressant au journaliste qui enquête, lui arrive quand il dit sur quoi il enquête. Bien sûr, tout ce qui arrive n’est pas intéressant, mais dans la masse, il y aura de bonnes informations. Mercedes Bunz ajoute que cette manière de faire du journalisme d’investigation un processus plus qu’un produit n’est pas inédite pour les vétérans du métier, il n’y a jamais eu de bonne enquête sans suite. Mais le fait de pouvoir tenir un blog ou de tweeter permet au journaliste de ne plus seulement publier le produit de son enquête, mais aussi de transformer l’enquête en une conversation publique et de trouver des informations dans cette conversation.

Bunz cite les propos d’un journaliste d’investigation récemment récompensé par un prix prestigieux, Paul Lewis. « Au début, dit Paul Lewis, je n’étais pas tellement convaincu par Twitter, mais c’est vite devenu très utile pour recueillir des informations ». La suite du propos de Paul Lewis est plus intéressante : « Twitter n’est pas juste un site Internet ou une plateforme de microblogging, c’est un médium en soit comme le fax, le mail, ou même journal papier. La manière dont l’information circule sur Twitter, sa forme même, sont différentes de tout ce qu’on avait connu jusqu’ici. » Et pour Lewis, l’avantage qu’un journaliste a à faire connaître le sujet de son enquête en cours dépasse largement l’inconvénient qu’il y a à en informer les concurrents.

Pour Mercedes Bunz, le fait d’engager les lecteurs dans l’enquête est une nouvelle forme du journalisme, même s’il faut qu’une communauté ait été préalablement construite. Comme l’explique Paul Bradshaw, enseignant de journalisme en ligne à l’Université de Birmingham : si un journaliste veut faire du « crowdsourcing » (utiliser la foule pour y puiser des informations), ça nécessite qu’il ait d’abord bâti une relation forte avec cette communauté.

Ca nécessite surtout, explique Paul Lewis, encore une fois cité par Mercedes Bunz, une révolution copernicienne du travail journalistique : « Beaucoup des journalistes qui se montrent sceptiques à l’égard de Twitter, dit Lewis, le sont parce qu’ils croient déjà savoir ce qu’ils doivent trouver. Moi, je dois trouver ce qu’il y a à savoir. »

C’est peut-être là que Mercedes Bunz livre la clé. Que l’enquêteur ou l’enquêtrice aient intérêt à rendre public, dans une communauté construite – communauté de lecteurs, d’amis, de confrères -, le sujet de leur enquête, ceci va à l’encontre des pratiques traditionnelles du journalisme d’investigation, mais on imagine que c’est possible. Que Twitter soit le lieu propice à cette publicisation également – oui, Twitter n’est pas très compliqué à utiliser -, mais c’est le changement intellectuel que tout cela présuppose qui semble plus dur à réaliser. Demander l’aide des lecteurs, compter sur eux, quitter une position de supériorité, voilà qui me semble bien plus difficile.

A noter que ce dont parle Mercedes Bunz existe déjà, de manière expérimentale. On peut citer le blog d’enquête participative du journaliste du Monde.fr Nabil Wakim qui lance des sujets, utilise le savoir ou le temps des lecteurs pour recueillir des informations. Par exemple, lors du débat sur l’identité nationale, Nabil Wakim avait demandé à ses lecteurs de l’aider à lire les contributions sur le site ouvert par le ministère pour vérifier les propos du ministre qui minimisait les dérives. Face au grand nombre de contributions, il s’est fait aidé des informaticiens du Monde, des lecteurs et tous ensemble sont arrivés à des résultats qui, on peut le deviner, étaient très différents de ceux d’Eric Besson. Mais ça n’est pas le seul exemple.

Pour une fois, un peu d’enthousiasme quand on évoque ces questions de journalisme et de web, cela fait du bien.

Xavier de la Porte

L’émission du 26 mars 2010 de Place de la Toile était consacrée au thème « Ecrire avec la machine » et se déroulait dans le cadre du Salon du livre, avec comme invité le poète et spécialiste des sciences de l’information Jean-Pierre Balpe. Une émission à réécouter en différé ou en podcast sur le site de Place de la Toile.

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  1. A noter que Mercedes va aborder ces questions à la conférence Lift 2010 à Genève, dans le cadre d’une session entière sur les médias.

    Voir le programme ici.