Quand la Chine concevra les technologies

Les différences culturelles s’inscrivent-elles dans les technologies ? Telle était la question qu’adressait Basile Zimmermann, du département des études chinoises de l’université de Genève, à la 6e édition de la conférence Lift qui se déroulait à Genève du 5 au 7 mai 2010. Que se passe-t-il quand la technologie d’origine nord-américaine se heurte à une autre culture, comme la culture chinoise.

Basile Zimmermann est bien sûr revenu sur ce qui fonde la différence culturelle, dont le langage est l’une des illustrations, l’une des composantes. L’internet est encodé avec des caractères latins, alors qu’il existe d’autres types d’écritures dans le monde, comme c’est le cas des idéogrammes chinois. L’encodage est lié à l’histoire de l’informatique, développée à partir de standards américains. Les claviers Qwerty américains posent le même type de problèmes pour les Chinois. Les Chinois doivent écrire depuis l’alphabet latin la prononciation des caractères et choisir les idéogrammes correspondants dans ceux qui vous sont proposés par l’ordinateur. Cela se fait très simplement et facilement, comme quand l’ordinateur vous suggère l’année quand vous commencez à taper une date précise… Mais ceux qui utilisent ces systèmes finissent par avoir du mal à écrire à la main en prenant l’habitude de cet autre système…

Basile Zimmermann sur les écrans de Lift par Fabien Girardin
Image : Basile Zimmermann sur les écrans de Lift par Fabien Girardin.

Basile Zimmermann s’intéresse ensuite à l’évolution du logo de Google en Chine. En 2004, le premier logo signifiait « Google pour la langue chinoise ». En 2006, il est devenu Google China, avant de devenir non plus Google, mais Gugé, la transcription phonétique de Google en chinois signifiant « la chanson de la récolte ». Baïdu, le principal concurrent de Google en Chine détient 60 % de parts de marché sur celui des moteurs en Chine. Son logo propose néanmoins une proportion entre caractères chinois et latins équilibrés, ce qui n’est pas le cas de Google – même si cela ne suffit pas à expliquer son succès s’amuse le chercheur. Peut-être un jour faudra-t-il voir tous ces logos avec des caractères chinois prédominants…

Pour souligner les différences, Basile Zimmermann évoque le site social Kaixin001.com (qui signifie “Réseau heureux”) qui est un réseau social très populaire en Chine, l’équivalent de Facebook dont l’accès est limité. Né en 2008, cette start-up chinoise a connu une progression très forte, mais contrairement à Facebook, Kaixin001 est totalement ouvert aux utilisateurs : tout le monde a accès aux profils des autres. Sur Kaixin001, la publicité est intégrée aux jeux ou aux cadeaux, pas comme des espaces de publicité fixes, comme on le trouve plutôt sur Facebook.

« La technologie, c’est de la culture », explique Basile Zimmermann. Tout ce qui est technologique reflète la culture de celui qui l’implémente. « La neutralité n’existe pas », comme le disait déjà Gilbert Simondon.

L’économie de la Chine est en croissance extrêmement rapide. Un jour, la production sera d’abord chinoise avant que d’être européenne, estime le chercheur. A quoi va ressembler la technologie quand elle va être réinventée par les Chinois pour répondre à leurs propres besoins ?

Pour Zimmermann, la Chine va finir par développer ses propres systèmes d’exploitation, son propre internet permettant d’utiliser des caractères chinois comme de se débarrasser des claviers européens. Car souligne-t-il, les technologies informatiques contiennent intrinsèquement une logique occidentale… Les logiques entre le jeu de Go et les échecs sont très différentes par exemple. Alors qu’il existe de nombreux logiciels pour jouer aux échecs, il est difficile d’inventer un bon logiciel pour jouer au Go. Et pour Basile Zimmermann, cela s’explique certainement par le fait que la logique qui structure l’informatique n’est pas la même. « La logique des ordinateurs a été conçue par des Occidentaux pour répondre à leur vision du monde. Que se passera-t-il quand ce sera l’inverse ? »

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0 commentaires

  1. Article très intéressant qui permet de prendre conscience d’une réalité pas si évidente que ça quand on vit du coté des concepteurs (du moins pour l’instant).
    Cependant, l’absence de jeu de Go performant contrairement aux échecs est, à mon sens, plutôt due à la combinatoire qui est extrêmement plus importante pour ce jeu que pour le jeu d’échec. C’est donc à priori plus un problème de puissance de calcul plus que de culture.

  2. En effet peut être par exemple que la culture de l’idéogramme, plus « gestuel » que notre alphabet peut engendre des interfaces directes avec une manette de type Wii plutôt qu’un clavier…
    Ignorant de ces questions complexes mais curieux, et souvent impressionné, par cette culture, je me pose la question suivante : De quel « embranchement » de quel stade dans l’évolution des concepts, faudra t il « repartir » pour développer de nouvelles branches plus adaptées à la pensée chinoise, pour créer des systèmes informatiques « chinois ». Ou encore pour pousser le raisonnement à l’extrême : La pensée chinoise si subtile, qui semble peu goûter la symétrie parfaite ou l’angle exactement droit peut elle devenir technologique au sens ou nous le pratiquons y est elle adaptée ou est ce une caractéristique de la pensée occidentale qui peut être extrêmement longue et délicate à intégrer. Après tout il ne s’agit que de notre modèle, de notre façon d’agir…

  3. Bonjour.

    Article très intéressant, qui m’a amené à m’interroger sur l’influence du Japon sur la technologie. On ne peut nier l’importance qu’a ce pays d’Asie dans le développement des nouvelles technologies mais il ne me semble pas (c’est peut-être là mon erreur) que leur influence a modifié de manière profonde le développement technologique en Occident. Pourquoi en serait-il autrement pour la Chine ? Le besoin d’un langage commun entre scientifiques n’impose-t-il pas de garder la manière qui semble la plus efficace de communiquer quelle que soit sa culture d’origine ? Après tout, nous utilisons bien les chiffres arabes car ils sont bien plus efficaces que les chiffres latins.

  4. Je pense qu’il ne s’agit pas seulement de le Chine, mais de l’Asie toute entière qui va en ce sens « orientaliser » un la technologie. On va sans doute assister à une technologie à 2 vitesses. L’Asie qui d’affranchi de l’occident d’un côté, et de l’autre, l’Occident qui refuse l’orientalisation grimpante. Alros il y aura le quid des langages, de l’innovation, de la main-d’œuvre… Ce phénomène est à suivre de prêt.