Données publiques : l’infrastructure sociale est aussi importante que l’infrastructure technique

Tim Davies (blog personnel), de la société de conseil Practical Participation vient de mettre en ligne son rapport sur l’impact des données publiques ouvertes (le rapport au format .pdf). Son étude avait pour but d’observer la valeur produite par le site de libération de données britannique, data.gov.uk. Qui utilise ces données ? Comment les données libérées sont-elles utilisées dans la pratique ? Et quelles sont les implications potentielles de cette libération pour la participation démocratique et la réforme du secteur public ?

Comme il l’explique dans un billet du blog Open Data Impacts, l’infrastructure sociale autour du projet britannique d’ouverture des données est au moins aussi important que l’infrastructure technologique.

« Les données ne sont pas réservées aux développeurs », rappelle-t-il. Au contraire. Tous les diagrammes devraient être accompagnés d’un lien pour accéder aux données brutes et les utiliser. L’infrastructure sociale autour de l’utilisation des données est aussi importante que l’infrastructure technique, car à l’usage, on constate que c’est la collaboration entre les utilisateurs de données qui est importante pour leur amélioration, pour leur compréhension, pour leur utilisation et même pour se donner des idées pour les utiliser… D’où la nécessité d’élargir l’infrastructure sociale autour de l’infrastructure technique, afin d’aider des groupes plus larges à les utiliser. Libérer de la donnée n’est qu’une étape, qu’un moyen pour mieux organiser le processus de conservation, mise à jour, gestion et surtout augmentation et amélioration. Hugues Aubin ne disait pas autre chose lors du dernier Lift.

Le défi ne repose pas seulement sur l’harmonisation de la mise en forme, rappelle Tim Davies. Certes, bien souvent, les données peinent à être comparées, non seulement parce que les schémas de données ou le format de fichier ne sont pas les mêmes, mais surtout parce que la nature même des ensembles de données sont différente (des données relevées sur l’année scolaire et d’autres sur l’année civile par exemple)… Cela ne veut pas dire qu’il faut rejeter les données en vrac, au contraire. Mais permettre de construire des métadonnées qui doivent aider les gens à comprendre ce qui est comparable et ce qui ne l’est pas.

A quoi et à qui servent les données ?

Bien sûr, le sondage en ligne sur lequel se base Tim Davies n’a pas été un grand succès (72 réponses seulement). C’est un peu faible pour bâtir une théorie. Néanmoins, il parvient à en extraire des éléments intéressants.

Les utilisateurs des données ouvertes ne sont pas seulement les avocats de la cause, comme l’expliquait Nat Torkington en février dernier. Leurs motivations sont plus complexes, estime-t-il dans sa typologie : ce sont d’abord des gens qui s’intéressent à la politique, qui souhaitent mieux comprendre le fonctionnement du gouvernement, et promouvoir son efficacité et sa responsabilité. Ils sont bien sûr intéressés par l’innovation technologique, par les outils, les plateformes et les technologies sémantiques. Ils sont intéressés par les « récompenses » : c’est-à-dire qu’ils recherchent de la reconnaissance ou un profit de l’utilisation de ces données. La technologie, pour eux, est un moyen d’améliorer l’efficacité et le fonctionnement de la relation démocratique. Leurs motivations reposent sur la volonté de résoudre un problème, et le plus souvent, ils cherchent à utiliser les données publiques pour résoudre un problème spécifique. Enfin nombreux sont ceux qui s’intéressent aux données pour développer des services dans ou pour le secteur public.

Des données ouvertes… et puis ?

Le sommet Gov 2.0 qui s’est déroulé à Washington au début du mois de septembre a été l’occasion de revenir sur la révolution de l’ouverture des données lancées depuis 2 ans maintenant par le gouvernement Obama notamment via l’initiative Data.gov notamment, rappelle avec justesse Pierre Mounier dans une belle analyse sur le rôle de la démocratie électronique. Pour Ellen Miller, de la Sunlight Foundation, pourtant une ardente défenseur de la libération des données, le bilan est finalement maigre confiait-elle en ouverture de la conférence (vidéo) : la démocratie électronique n’a pas apporté la révolution tant attendue.

L’ouverture des données ne suffit pas pour qu’elles donnent prise à une réelle « participation citoyenne ». Peut-être que, comme le souligne Aneesh Chopra, responsable de la politique technologique de l’administration Obama, Tim Davies ci dessus, ou Rennes Métropole qui lance un concours de développement d’applications à Rennes sur le modèle d’Apps for democracy, faut-il appuyer l’ouverture des données par des dispositifs sociaux et des plates-formes participatives.

Aux Etats-Unis, Challenge.gov, une plateforme de crowdsourcing pour répondre à des défis lancés par les agences du gouvernement a ainsi été lancée. Ce type de plateforme ne sera pas magique bien sûr, mais elles ont pour fonction à terme d’initier un nouveau rapport avec les citoyens et de changer les mentalités des services publics, explique leurs concepteurs. Comme le dit Aneesh Chopra, toute la question est de laisser assez de liberté, de créativité et d’esprit d’entreprises aux agences et aux internautes, tout en définissant des objectifs centraux communs. Le principe même du gouvernement comme plate-forme

challengegov

Des données… pour construire des plateformes participatives

La Sunlight Foundation travaille dans le même esprit, quand elle conçoit de nouveaux outils pour aider les internautes à utiliser les données publiées par les autorités et cocréer de nouvelles formes de relations entre citoyens et institutions, comme c’est le cas avec le Poligraft, InfluenceExplorer, ou TransparencyData. Reste que les problèmes bien souvent ne sont pas du domaine de la libération des données ou de la transparence : « une bureaucratie qui prend plus de 160 jours pour décider si une personne va recevoir ou non une prestation d’invalidité suite à la perte d’un membre lors de la guerre d’Irak ou d’Afghanistan, a un problème moral », estime Ellen Miller. Et pour l’instant, aucun outil ne s’adresse à ce type de problème…

Parmi les annonces lancées à la conférence Gov 2.0, la FCC (Commission fédérale des communications, qui est une agence indépendante du gouvernement des États-Unis chargée de réguler les télécommunications ainsi que les contenus des émissions de radio, télévisée et l’Internet) a lancé de nouvelles interfaces de programmation et une plateforme (Reboot.FCC.gov) pour impliquer les développeurs et accorder la FCC avec les principes du gouvernement ouvert (vidéo).

Andrew McLaughlin, le responsable technologique de la maison Blanche a annoncé le lancement prochain de Video.gov, une plateforme pour connecter entre-elles les archives vidéos des multiples agences et département du gouvernement fédéral et en faciliter l’accès en ligne.

Enfin, signalons encore le lancement de l’initiative Civic Commons qui a pour but de partager du code et du développement logiciel entre villes américaines pour réduire les coûts des systèmes d’information.

En tout cas, l’esprit de l’ouverture et de la participation continu à animer la société américaine… La question de savoir si elle va la transformer reste d’actualité, à mesure que les initiatives continuent de se multiplier. En tout cas, ce qui est certain, c’est que même si les résultats ne sont pas tout à fait là, cet esprit-là ne semble pas faiblir. Au contraire.

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