Comment créer de nouveaux modèles d’entreprise ?

Qu’y a-t-il de commun entre la conception de voiture et la création d’une entreprise ? Pas grand-chose hélas, regrette Alexander Osterwalder, un consultant spécialisé dans les modèles d’affaires de l’innovation. Pourtant, la conception des automobiles est structurée par une série d’étapes qui seraient grandement profitables pour structurer la conception d’une entreprise, estime l’auteur de Business Models Generation à l’occasion de la conférence Lift11 qui se tenait à Genève.

« Aujourd’hui, comment se passe le lancement d’une nouvelle entreprise ? Imaginons : Mike a une nouvelle idée. Il maitrise les outils d’entreprise, fait une étude de marché, construit son business plan et une fois qu’il a fait ça, il va chercher de l’argent, trouver les investisseurs et, s’il les trouve, se lance dans la construction de son entreprise. C’est très beau ! Mais dans la plupart des cas, “les modèles d’affaires ne survivent pas au premier contact avec les consommateurs” rappelle Steve Blank, un célèbre serial-entrepreneur de la Silicon Valley. Pourquoi alors construit-on des business plans qui vont s’effondrer face à la réalité du marché ? Pourquoi constate-t-on autant d’échecs coûteux ? »

AlexanderLift11
Image : Alexander Osterwalder sur la scène de Lift, photographié par Ivo Näpflin.

Il nous faut apprendre du design des automobiles, estime le consultant dans sa présentation. Dans la conception automobile, on commence par faire beaucoup de dessins (sketching) avant de construire des prototypes pour comprendre comment les matériaux fonctionnent ensemble, comment pourra-t-on les assembler… On fait de la simulation. On fait des crashs tests. On modifie la conception avant de construire. On fait rouler la voiture prototype sur de vraies routes pour apprécier son comportement et ajuster les réglages…

Lift11 Presentation

View more presentations from Alexander Osterwalder.

“Combien d’entre vous ont testé votre entreprise dans la vie réelle avant de la commencer ? Pouvons-nous formuler des modèles d’entreprise de manière semblable à la conception des voitures ? Nous savons ce qu’est une voiture ? Mais qu’est-ce qu’un modèle d’entreprise ? » interroge Osterwalder. « Décrivez votre modèle d’entreprise en 30 secondes avec votre voisin !”, lance-t-il en forme de défi à la salle en la laissant s’agiter bruyamment pendant 30 secondes.

Peut-on inventer un langage pour décrire et concevoir les modèles d’entreprise ? C’est ce que propose en tout cas la méthode du consultant articulée autour d’une “toile de modèle d’entreprise” composée de « 9 molécules », 9 Légos qui s’imbriquent les uns dans les autres et qui nécessitent de répondre à autant de questions. Qui sont les consommateurs auxquels notre produit s’adresse ? Qu’elle est la valeur de la proposition ? Comment atteint-on ses clients ? Quel type de relation ai-je établie avec ces consommateurs ? Comment les gens vont-ils dépenser de l’argent ? Comment arriver à ces sources de revenus ? Quelles sont mes activités clefs ? Quels sont mes partenaires ? Quels sont les coûts de ma structure ?

Autant de valeurs qu’il estime nécessaires pour décrire un modèle d’entreprise d’une manière plus tangible. Il prend un exemple parlant, qui est sur le même modèle que certains de ceux que décrit très bien Dominique Nora, dans les Pionniers de l’Or Vert. Le fondateur de SunEdison, Jigar Shah, a constaté ainsi que les gens n’achetaient pas de panneaux solaires, car ils jugeaient que c’était trop cher. Alors, Sun Edison a décidé de changer cela en prenant en charge le prix de l’installation en échange de l’achat de l’énergie produite pendant 10 ans. En quelques années, Sun Edison est devenu le plus grand producteur d’énergie solaire aux Etats-Unis et il se développe dans le monde entier – même si Sun Edison est concurrencé désormais par de nombreuses autres entreprises qui ont pris le même modèle d’affaires comme SolarCity par exemple.

On voit qu’ici la proposition a consisté à modifier le prototype de l’offre : son modèle économique même. « Pour trouver de nouveaux systèmes d’entreprise, il faut le concevoir pleinement », estime Osterwalder. On peut ainsi faire des prototypes de modèles économiques différents. Et se poser des questions : que se passe-t-il si mon produit est gratuit par exemple ? Chaque technologie peut avoir plusieurs modèles économiques différents, il faut les étudier tous pour aller plus loin.

Osterwalder évoque le PeePoo Bag suédois, un sac biodégradable transformant les défécations humaines en engrais et qui se veut une solution les pays sans systèmes d’évacuation des eaux usées. Le produit est incroyable, estime Osterwalder, mais il lui faut un modèle d’entreprise pour qu’il s’implémente. Et c’est pour l’instant encore tout le problème de cette entreprise.

Mais l’avantage, notamment pour les entreprises dont les produits sont numériques, c’est qu’on peut simuler et tenter d’évaluer de manière bien plus précise des modèles d’entreprises. Et Osterwalder de donner l’exemple d’un de ses clients RunKeeper, une application qui a joué sur son modèle économique pour en comprendre la portée. L’équipe de RunKeeper a ainsi travaillé à estimer le nombre d’utilisateurs et ses gains s’ils proposaient leur produit gratuitement, de manière payante, en développant une offre professionnelle voir un abonnement mensuel peu élevé couplé à des cours de fitness… L’idée est de jouer avec les données pour savoir combien on peut gagner en modifiant les entrées du modèle économique.

Reste qu’il faut tout de même finir par tester des modèles d’entreprise, même après avoir fait des simulations, souligne le consultant. Car c’est souvent là où l’on se trompe. On présume de moyenne d’achat… Sur le papier, ça à l’air génial. Mais “il faut sortir du bâtiment et parler avec les consommateurs”. “Sauf que sur internet, c’est facile à faire. On peut mesurer l’intérêt pour un produit qui n’est pas prêt en ajoutant un bouton qui pointe vers un service qui n’est pas encore existant…”

“Retenons”, termine de manière très claire et didactique le consultant : “L’entrepreneur doit avoir une approche systématique. Il faut apprendre à jouer, prendre des risques avec les alternatives et enfin tester les hypothèses pour voir ce qui peut vraiment marcher.” Avec ces quelques conseils, vous ne pouvez assurément plus rater votre business modèle.

L’important est-il le résultat ?

Dorian Selz est un serial entrepreneur suisse, qui a lancé il y a quelques années Local.ch, le moteur et annuaire de recherche locale Suisse, et qui vient de lancer une nouvelle start-up, Memonic, une application de prise de notes en ligne. A l’inverse d’Alexander Osterwalder, qui essayait de mettre de la méthode dans les rouages des organisations, Dorian Selz dans sa présentation (.pdf) prend un contrepied et rappelle que l’intérêt rationnel n’est pas toujours le facteur explicatif principal des nouvelles formes d’organisation et de coopération.

dorianselz
Image : Dorian Selz sur la scène de Lift, photographié par Ivo Näpflin.

Pour Dorian Selz, un entrepreneur doit oublier la complexité (« un modèle d’entreprise ne doit pas être plus long qu’une page A4 ») : ses partenaires doivent le comprendre et comprendre aussi bien que lui ses objectifs. Il doit également laisser tomber la volonté de tout contrôler et miser sur ses utilisateurs et son équipe. L’entreprise d’aujourd’hui doit oublier le système unique : le mouton à cinq pattes et au contraire favoriser la séparation en unités indépendantes de ses équipes, process, méthodes, technos, afin que si un morceau de la chaîne tombe, ce ne soit pas grave pour l’ensemble. Dorian Selz invite également à laisser tomber la gestion de projet : il faut réduire le nombre de managers et diminuer le management qui coûtent aujourd’hui bien trop cher à la plupart des entreprises. L’entrepreneur, fier de casser les idées reçues, invite l’assistance à se défier des processus et des méthodes mises en place, souvent trop pointilleuses : il faut certes se fixer des objectifs, mais aussi savoir s’en écarter, explique-t-il en vantant les méthodes de développement agile et en s’inspirant du Manifeste pour le développement agile de logiciels. Et Dorian Selz d’expliquer que le rôle d’un patron n’est pas que ses employés lui facilitent la tâche, mais que lui leur facilite le travail.

Dans les organisations virtuelles, la présence physique n’est plus obligatoire, les réunions non plus. Memonic est une équipe de 9 personnes qui viennent du monde entier et qui a surtout besoin de pouvoir se joindre en permanence que d’organiser des réunions stratégiques incessantes. D’ailleurs, plutôt que de devoir passer son temps à résoudre des problèmes politiques au sein même d’une entreprise, Dorian Selz vente les discussions pour résoudre les problèmes. Oubliez la gestion des approvisionnements : vos fournisseurs doivent devenir des partenaires qu’il faut informer au mieux et engager dans votre politique d’entreprise…

Ces conseils que Dorian Selz présente comme étant l’essence du management moderne ne sont certainement pas applicables à toutes les formes d’entreprise, loin de là. Toutes les organisations ne sont pas reliées entre elles sans contraintes. Le manager semble surtout régler ses comptes avec le management traditionnel en égrainant les symptômes, bien réels, de son inefficacité et de ses dérives. « Seul le résultat compte », conclut Dorian Selz. Pas sûr que cela suffit à faire stratégie.

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires

  1. Deux points de vue assez différent, peut-être possible d’y trouver une complémentarité, un compromis ? D’un côté, la première démarche a quelque chose de rassurant, mais la seconde me semble plus actuelle, plus risquée cela dit.
    Je retiendrai surtout : « le rôle d’un patron n’est pas que ses employés lui facilitent la tâche, mais que lui leur facilite le travail. »

  2. Super article !
    J’ai eu la chance de lire le livre Business Model Generation et de travailler dessus sur un projet collaboratif.
    Cet article montre l’évolution du management qui ne doit plus être linéaire mais systémique.
    J’ai moi même rédigé un article sur la pensée systémique développée par Donella Meadows dans son livre Thinking in Systems. Une approche révolutionnaire dans le monde scientifque qui modifie notre manière de pensée pour être plus adaptée à la réalité.
    Fridjof Capra l’illustre bien lui également dans la nature avec The Web of Life.

    Enfin comme vous pouvez le voir je suis à fond sur la pensée systémique et est persuadé que tout nouveau business model doit prendre en considération cette nouvelle philosophie.

  3. Après le tout juridique / fiscal des années 80, le tout business Plan, marketing / gestion des années 90. La troisième génération des modèles d’entrepreneuriat est en marche !!! Grâce à Internet à la génération dite Y, les modèles valorisant l’expérimentation en entrepreneuriat et le travail collaboratif arrivent !!!

    L’incubateur d’Advancia est dans cette mouvance. Il propose aux entrepreneurs d’expérimenter leur vision pour bénéficier des retours critiques qui leur permettront d’adapter leur offre et innover.

    Notre sujet c’est l’entrepreneur, sa démarche d’expérimentation, sa prise de décision et l’innovation induite par sa proposition et son parcours.
    Même si comme ici c’est encore souvent l’objet (le produit et le procédé) qui demeure au centre des systèmes d’innovation, nous considérons qu’il n’y a pas de génération spontanée de produits sans hommes capable de comprendre comment les créer, les adapter et les faire apprécier. A suivre…

  4. je dois dire que je ne comprends pas l’enthousiasme qui suit cette conférence ! Dès le départ, je suis chiffonné par “les modèles d’affaires ne survivent pas au premier contact avec les consommateurs” : bin oui ! Et alors ? c’est la définition même de la création d’entreprise, non ?

    La comparaison initiale avec le design automobile me parait hors de propos : on crée une Chose compliquée (pas très complexe !), qui a besoin de beaucoup d’ajustements, matériaux, fonctions, etc, et donc on teste longuement avant de la mettre en fabrication… Bon, et alors ? les créateurs d’entreprises en général testent peu la Chose, mais beaucoup les réactions de leur prospects ! « Go to market » au lieu de passer des mois à polir toutes les fonctionnalités d’un site, par exemple : c’est une vieille règle qui me parait de bon sens –et qui est la démarche inverse !

    D’ailleurs l’orateur fait ensuite, si j’ai bien compris, l’inverse de ce qu’il dit : tout son schéma est orienté client ; du moins prospect, et interactions ! Modifier l’offre ? bin oui : tous les créateurs d’entreprise modifient leur offre, à mesure que les prospects réagissent (ou non) ; et, c’est vrai, on fait de plus en plus de tests peu coûteux grâce au Web…

    Mais quel est le rapport avec le design auto, qui est par définition un processus lent, très technique, subissant des contraintes de normes infinies (sécurité, etc) ? la métaphore me parait fonctionner dans le sens exactement inverse : si vous comptez créer une entreprise, ne vous inspirez surtout pas du design ! C’est 100% orienté produit, alors que vous devez être 90% orienté client ! même remarque sur le développement agile, qui reste orienté produit et non client !
    Et le discours sur le pitch commence à m’agacer sérieusement ! ”un modèle d’entreprise ne doit pas être plus long qu’une page A4″… Et d’ailleurs le Biz plan, ça sert à rien et c’est jamais respecté, etc…. oui, sans doute, mais un projet pour trouver des partenaires, ça a besoin de preuves ! Le pitch n’y suffit pas, et le BP est la contrainte qui permet de vérifier si l’entrepreneur est crédible : s’il a VRAIMENT rencontré son futur client –donc ces envolées lyriques (le BP, ça sert à rien), c’est bon pour les snobs et les fabricants de bulles !

    Enfin, j’avais lu ce papier à cause du titre : mais ou sont-ils les modèles ? Ce que je constate dans les projets que je vois passer, c’est que le vieux marketing (viens acheter chez moi, c’est mieux que chez les autres) est complètement déglingué par les « entreprises plate formes » : je vous invite dans mon salon, faites des transactions entre vous, et laissez des traces pour que vos e réputations se construisent et enrichissent les transactions suivantes. Ca, c’est un vrai nouveau modèle, dont les domaines d’application sont innombrables. Alors que les sentences retenues par Hubert Guillaud me paraissent relever d’un épais bon sens, traditionnel et pas très efficace en tant que paradigme !

  5. @Benoît Granger : vous devriez préférer le discours de Thomas Sutton donc. Aïe, c’est un designer… Et oui, les designers ne sont pas tous 100 % orientés produits ;-).

    En même temps, les entreprises plateformes disent également « viens faire des affaires chez moi » plutôt que chez les autres. ;-). … Encore un nouveau modèle et demi. 😉

  6. Hubert : mais bien sûr ! l’objectif reste le même ! Si vous me laissez une place un de ces jours, je tenterai d’expliquer ce que je considère, moi, comme de nouveaux modèles –après 5 ans à regarder de près les machins improbables que lancent mes étudiants