Du racisme ordinaire… online

Il y a quelques semaines, je vous avais parlé de la South by SouthWest Interactive Conference qui se déroule chaque année au Texas. Parmi les très nombreux sujets qui y ont été abordés dans l’édition 2011, celui du racisme en ligne. Je tire ce compte-rendu de The Chronicle, sous la plume d’un jeune journaliste du nom de Jeff Young.

Un très célèbre dessin du New Yorker, commence Jeff Young, a pendant longtemps résumé le pouvoir anonymisant du cyberspace : “Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien ». Mais, continue le journaliste, dans certains jeux vidéos célèbres et dans des mondes virtuels comme Second Life, des outils permettant aux gens de se parler ont été ajoutés ces dernières années. Et l’addition de voix humaines a amené les participants à catégoriser leurs interlocuteurs, souvent sur une base raciale. Telle est la conclusion des travaux menés par Lisa Nakamura, qui est professeur d’études asiatico-américaines à l’Université d’Illinois. Une des études les plus récentes citées par Lisa Nakamura a été réalisée par Gambit, un laboratoire sur les jeux vidéos sous l’égide conjointe du Massachusetts Institute of Technology et du gouvernement de Singapour.


Vidéo : La vidéo de l’expérience réalisée par le laboratoire Gambit qui fait lire par des joueurs certains propos qu’ils ont reçus ou écouter en jouant.

Lisa Nakamura a dit avoir été surprise par de nouvelles formes de racisme émergeant dans des jeux vidéos en ligne auxquels participent des gens du monde entier. Par exemple, en Chine, beaucoup d’utilisateurs gagnent aujourd’hui leur vie en jouant à Lineage 2. Dans ce jeu de rôle d’Heroic Fantasy, ces joueurs chinois remportent des armes virtuelles et les vendent ensuite à des Américains qui n’ont pas assez le temps de jouer pour armer leurs personnages. Beaucoup de ces joueurs chinois choisissent une naine, cette catégorie de personnage ayant le pouvoir de gagner plus facilement des trésors en mission solo. Et donc, certains joueurs commencent par tuer toutes les naines du jeu, en ajoutant souvent des propos anti-chinois dans la section chat.

« Ceci a pour effet, ajoute Lisa Nakamura, que les naines sont devenues une race injouable. Elles sont devenues une minorité raciale, avec un statut qui équivaut à celui du travailleur immigré – ces personnages sont devenus une race. La race n’est pas un concept provenant de la biologie, c’est une affaire une culture », conclut Lisa Nakamura.

James Au, auteur du livre The making of Second Life, qui intervenait dans cette même table ronde, a dit que les jeux en ligne et les forums où les participants étaient anonymes semblaient se multiplier moins vite ces derniers temps, et que les réseaux les plus populaires, dont Facebook, faisaient apparaître les usagers sous leur identité hors ligne. Quand l’anonymat disparaît, les gens se comportent en général de manière plus civile. « Le passage à une identité en ligne réelle aide à se débarrasser du racisme », a expliqué James Au.

Tous les participants à cette discussion, poursuit le journaliste, ont expliqué que la question du racisme en ligne était rarement discutée, malgré les manifestations fréquentes d’un discours de haine dans les environnements en ligne. « On ne prend pas suffisamment en compte cette question quand on parle des pouvoirs des médias numériques » a expliqué Jeff Yang, blogueur au San Francisco Chronicle.

Le compte-rendu de The Chronicle est rapide. On aimerait en savoir plus, et on pourra le faire bientôt puisque Lisa Nakamura, la professeure de l’Université d’Illinois qui participait à la table ronde, publie très prochainement un livre sur ces questions. Qu’il y ait du racisme dans les réseaux n’est pas étonnant en soi. J’ai rendu compte ici à plusieurs reprises d’études montrant qu’internet n’abolissait pas les différences de genre, de classe sociale ou de race. Qu’il y ait du racisme antichinois dans les jeux en réseau n’est donc pas étonnant. Un racisme qu’on imagine augmenté par le fait que les Chinois jouent bien et en tirent profit. Que ce racisme se manifeste par l’élimination de personnages particuliers dans les jeux est une conséquence plus inédite. Mais faut-il pour autant constituer ces personnages, en l’occurrence les naines de Lineage 2, en race ? Alors là, je suis un peu sceptique. Certes la race est une notion culturelle, mais cette notion peut-elle s’appliquer à des personnages qui sont virtuels ? Ces personnages de naines sont-ils victimes de racisme ? Ou même d’un génocide, s’il est vrai qu’elles sont éliminées en priorité par les joueurs ? Je ne sais pas. Il faudra lire Lisa Nakamura.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 3 avril était consacrée à Pixar, avec Hervé Aubron, journaliste, auteur, enseignant à l’Université Paris 3, ancien critique aux Cahiers du cinéma, rédacteur en chef adjoint du Magazine Littéraire, et auteur de Génie de Pixar ainsi qu’au documentaire Pira@tages qui sera diffusé le 15 avril sur France 4 en compagnie d’Etienne Rouillon, rédacteur en chef « Technologies » du magazine Trois Couleurs et réalisateur, avec Sylvain Bergère, dudit documentaire.

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0 commentaires

  1. Ce qu’il reste de la prédation colonialiste et de son complot partagé. De toute façon on aime toujours que le portrait d’un moment mort. C’est une question de vitesse.

  2. Merci pour cet article, je signale un mastic : « Il faudra lire de Lisa Nakamura. » – Corrigé, merci !

  3. Notez que ce « racisme anti-chinois » est tres probablement declenche par le fait que ces travailleurs introduisent dans le jeu une sorte de biais malvenu aux yeux de certains. C’est un peu comme si, lors d’une partie de poker, certains participants (plus vraiment des joueurs) faisaient profession de revendre leurs cartes a d’autres.