Quelle robotique demain ?

En conclusion des conférences RoboLift lors d’Innorobo était organisé un débat qui, malgré ses caricatures, était assez intéressant pour comprendre, rapidement, les différentes conceptions de la robotique qui s’opposent actuellement. Un débat qui permettait aussi de pointer certaines limites de la robotique, dans l’enthousiasme ambiant…

Bruno Bonnell, président de RoboPolis, fondateur et président du syndicat français de la robotique de service et organisateur de la conférence Innorobo, auteur de Viva la Robolution ! (il parlait avant de robovolution), était le modérateur du débat opposant Bruno Maisonnier, président de Cap-Robotique, la communauté des acteurs de la robotique du Pôle de compétitivité Cap Digital, fondateur d’Aldebaran Robotics, concepteur du NAO, cet étonnant robot dédié à la recherche en robotique (voir l’interview qu’il nous consacrait en 2007, à son lancement), et Francesco Mondada directeur du Groupe des robots mobiles miniatures du Laboratoire de systèmes robotiques de l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne et organisateur du Festival de robotique de l’école.

« Au début de l’aviation », introduit Bruno Bonnell, « Clément Ader avait inventé un avion qui battait des ailes et il pensait qu’on allait construire les aéronefs de cette manière. Les frères Wright, aux Etats-Unis, ont eux utilisés des ailes fixes. L’histoire a donné raison aux seconds, mais la petite histoire montre que les approches de la technologie peuvent être diverses. Il n’y a pas de dogme ni de stratégie absolue. Il n’y a que la recherche et l’imagination qui importe. »

Mondada, Bonnell et Maisonnier sur la scène de Robolift
Image : Francesco Mondada, Bruno Bonnell et Bruno Maisonnier photographiés par Pierre Metiver sur la scène de RoboLift.

En matière de robotique, l’erreur est-elle humaine ? C’est-à-dire, l’erreur est-elle de vouloir fabriquer des robots humanoïdes ?, interroge Bonnell… Dans la Guerre des étoiles, les scénaristes ont pris garde de ne pas choisir entre la robotique humanoïde et la robotique utilitaire. R2D2 et C6PO, qui incarnent les deux formes, ont la même importance tout le long du film.

« La forme des robots est LE sujet fondamental », lance Bruno Maisonnier. « A quoi sert le robot et que veut-on en faire ? Si le robot doit faire le ménage et nettoyer par terre, il faut effectivement favoriser un robot non humanoïde. Mais s’il doit interagir avec les gens, alors la forme qui répond le mieux à cela est la forme humanoïde. Celle des personnages de Disney, avec des doigts gourds et trapus, des grosses têtes, des grands yeux. Même la boîte de ferraille qu’est Wall-e se comporte comme un humanoïde, avec ses grands yeux expressifs et la façon dont il fait des pointes sur ses chenilles… »

« L’expressivité est importante et pas seulement pour que ces robots nous séduisent », tempère Bruno Bonnell. « La bipédie liée à la forme humanoïde est également la plus adaptée à notre environnement… »

Robotisation de l’environnement ou environnement robotisé ?

« Au début d’Aldébaran Robotics, nous avions 42 projets de robots », rappelle Bruno Maisonnier. « Les Focus Groups ont tous préféré les robots qui avaient un aspect humanoïde, tout en se démarquant de l’homme. Ceux qui étaient trop industriels, comme ceux qui étaient trop humanoïdes n’ont pas plu. Nos environnements sont faits pour les humains, que ce soit les marches de nos escaliers où les poignées de portes de nos maisons… Si on veut que les robots les utilisent, soit il nous faut reconstruire nos environnements autrement, soit il faut adapter les robots à ces environnements. »

« Pour ma part, je crois bien plus à la robotisation de l’environnement dans lequel on est », explique Francesco Mondada. « Personnellement, je ne veux pas d’un majordome domestique qui aille me chercher une canette, je préfère l’idée de la robotisation des objets, c’est-à-dire que la canette vienne à moi ou que ma voiture se gare toute seule. D’ailleurs, cette dernière existe déjà, et elle n’a pas besoin d’un robot humanoïde pour la conduire. La robotique est en train d’entrer par la porte arrière alors qu’il faudrait plutôt réfléchir à comment la piloter. Mes travaux consistent plutôt à augmenter les objets, à les rendre intelligents et robotisés, plutôt que d’inventer des engins extérieurs à notre monde habituel. Je préfère que l’objet devienne intelligent par lui-même plutôt que d’avoir quelqu’un qui tente de me comprendre. L’humanoïde ne pourra pas mieux comprendre mon environnement que ma femme, et pourtant, avec ma femme, tout n’est pas toujours simple. »

« Le robot humanoïde n’aurait-il donc que pour objet d’être charmant, vecteur d’émotion ? », interroge Bruno Bonnell. Il ne faut pas minimiser la communication en tant que telle comme fonction et objectif, rétorque Bruno Maisonnier. « Les objets intelligents c’est bien, mais on est avant tout des êtres sociaux. Nous sommes tout le temps en train d’essayer de comprendre nos interactions sociales. On n’a pas envie de parler avec une voiture, mais on est obligé de le faire tout de même.

Quand on parle, il ya plus de messages qui passent dans le langage du corps que dans le langage verbal. Les mots ne sont pas suffisants pour transmettre toute la communication. Le risque est d’avoir sinon une communication très pauvre. La fonction principale des robots n’est pas l’utilisation, mais de discuter et d’échanger. »

Certes, concède Francesco Mondala, « si le but est d’établir une communication, un visage aide énormément. Le robot humanoïde est un bel outil pour les interactions sociales. Moi, je préfère communiquer avec des humains. Et je veux des robots pour satisfaire des besoins : il doit avoir une fonctionnalité et la manifester. On sous-estime beaucoup la relation qu’on a avec les objets. Avec une voiture par exemple, on est en symbiose, même avec des pédales et un volant. La relation permet d’augmenter nos capacités et résoudre des taches intéressantes. On a la même relation avec des tables et des chaises. A l’EPFL, on s’est amusé à robotiser des verres à boire (vidéo), pour voir le genre d’interactions qu’on pourrait avoir, car boire un coup est un moment également plein de symboliques. Si un verre est en train d’être rempli par exemple, les autres verres vides s’approchent de lui pour être remplis conjointement… On peut bien sûr l’arrêter si on ne veut plus boire ! Ce type d’exemple change beaucoup la vision de la robotique. Beaucoup nous ont dit d’ailleurs que nos « Robjects » (ou Robjets, contraction de robots et objets) n’étaient pas des robots. Je crois plutôt qu’il y a là des pistes pour découvrir la robotique autrement. »

Quand les objets bougent, semblent vivants, il y a toujours un moment où l’on passe de l’objet à quelque chose d’émotionnel… concède l’animateur.

Des robots pour remplacer l’homme ou pour créer de nouvelles interactions ?

Pas nécessairement, reconnaît Maisonnier. Beaucoup d’objets qui nous entourent ont un historique émotionnel sans qu’il soit nécessaire qu’ils bougent. Oui, tout le monde, comme Francesco Mondada, n’a pas forcément envie d’avoir un robot pour communiquer. Le robot n’a pas pour objectif de remplacer l’humain, mais d’apporter un plus, de créer un lien… Les jeux vidéos n’ont pas rendu les enfants asociaux, mais leur ont permis de construire un environnement relationnel différent.
Pourtant, souligne Bruno Bonnell, en évoquant un article de la BBC, les Japonais, longtemps proactifs dans le domaine du robot de service, seraient en train de faire machine arrière…

« Les expériences au Japon montrent que l’introduction des robots humanoïdes auprès des personnes âgées semble tout de même poser des problèmes », explique Francesco Mondada. « Les personnes âgées ont l’impression que les robots remplacent les hommes. C’est un message que je n’apprécie pas. Je préfère fournir un environnement domestique qui leur permette de mieux vivre, de compenser leurs faiblesses, de se rappeler de ce qu’ils ne se rappellent pas… plutôt que d’aller dans la logique de l’humanoïde, qui porte un message ambigu. »

Personne n’aime être dépendant des autres, rappelle Bruno Maisonnier. « Par contre, il est intéressant de regarder si on peut renverser la question en introduisant des robots qui dépendent aussi de la personne dépendante ». En Corée, ils introduisent des robots dans les écoles pour apprendre l’anglais aux enfants, notamment parce qu’ils manquent de professeurs. Mais il y a d’autres avantages : un robot peut faire recommencer un enfant 10 fois sans le juger. La relation est plus simple. Elle accepte mieux l’échec. Alors que la relation entre humains met en jeu des codes, des ego, des personnalités… Et il y a certains domaines où tout cela n’a pas de raison d’être…

« Il me semble qu’on mélange souvent deux niveaux, le niveau fonctionnel et le niveau social », précise Francesco Mondada. « La personne dépendante est dépendante fonctionnellement et ça lui fait un tort social. Cela ne veut pas dire qu’il faut remplacer la fonction par un robot qui mime le social. »

« Quand on le voit, Asimo est spectaculaire. Mais personne ne voit que deux opérateurs sont cachés dans les coulisses, qu’ils ont pris une journée pour l’installer et qu’il ne peut pas faire un pas de plus que ce pour quoi il est programmé. Mêler l’aspect social et fonctionnel n’est pas si simple. Pour ma part, je préfère donner à la personne dépendante de vrais outils pour qu’elle le soit moins. »

A quoi ressemblera l’avenir de la robotique personnelle et autonome, questionne Bruno Bonnell pour clore le débat.

Pas de doute, conclut Bruno Maisonnier, reprenant sa casquette de président de Cap Robotique : « Je suis intimement convaincu que plus ça va aller et plus ça va s’accélérer ! Regardez comment cela s’est passé avec l’automobile, l’internet ou le téléphone mobile ! Demain il y aura des robots partout dans la société, dans la rue : des robots humanoïdes et plus encore de robots non humanoïdes… Il y aura aussi des designers, des fabricants, des programmeurs, des roboticiens et des gens qui vont concevoir des services depuis les robots… Reste qu’il est important dès maintenant d’initier une dynamique pour qu’on forme les jeunes et prépare les emplois de demain… »

Francesco Mondada est plus dubitatif. Il a du mal à imaginer nos rues pleines de robots. « J’aimerais qu’on pilote un peu mieux les directions vers lesquelles se dirige la robotique. Les jeunes doivent mieux comprendre la technologie. Il faut qu’on s’engage pour faire avancer la robotique et ne pas suivre forcément l’exemple de quelques grosses firmes américaines. Il faut qu’on la rende utile à notre société. Tout en sachant déjà qu’il y aura des bugs et aussi des commerciaux »… La robotique va connaître les mêmes écueils que les autres technologies… Rien de plus, rien de moins.

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0 commentaires

  1. Très intéressant, même si je ne suis pas d’accord avec tout. Je ne peux pas m’empêcher de penser que les robots nous encourageront à devenir davantage passifs… Et ce n’est pas l’idée que je me fais du progrès.

  2. Taux d’immigration élevé , taux de natalité constant ou en évolution = Où est la place des robots ?
    Ceux ci n’ont leur place que dans des taches lourdes , difficile il me semble .
    Ceux qui ont actuellement un niveau social élevé actuellement s’en foutent que le smicard trime pour trouver un emploi et préféreront prendre un robot , pas de gémissement , il ne pensera , il fera le strict nécessaire .
    On avance plus vers une société de moins en moins humaniste , mais plus vers une societe d’asservissement .
    Un moyen age 2.0 , il calque sur l’inde et ses castes , rien d’innovant , pas de modernisme ( beaucoup de gadgets qui créés des pseudo nécessités comme actuellement ) .

  3. « Cette des personnages de Disney  »
     » que la canette vienne à moi où que ma voiture se gare toute seule  »
    -> Quand les algorithmes corrigent l’orthographe, il faut encore l’oeil humain derrière pour vérifier le sens ! 🙂

    Corrigé ! Merci Alexandra – HG

    _°_

    « initier une dynamique pour qu’on forme les jeunes » … concernant l’immense quantité d’artefacts technologiques que nous produisons déjà, il semblerait que la boucle du recyclage soit… cruciale ! Nous avons déjà tant de DEEE dont nous ne savons pas quoi faire, comment récupérer, laissé à l’abandon (qui n’a jamais vu un ordinateur sur un trottoir ou un faussé !?) … Cimetières de ferraille et de câbles, encore l’obsolescence programmée ? J’espère que non et que cette question est aussi intégrée à celle de la recherche en robotique dans les dynamiques d’aujourd’hui.

    *DEEE : Déchets d’équipements électriques et électroniques

    (+ merci pour cette excellente série d’articles !)

  4. J’étais à cette rencontre à Lyon et je remercie beaucoup les intervenants pour être venus partager avec nous leurs expériences. Malheureusement, je pense que le temps des robots humanoïdes capables de remplacer des hommes dans leurs travail n’est pas encore venu.
    Pour répondre à Kiop, j’aimerais quand même lui rappeler qu’un robot ne fait pas grève, travaille plus de 35 heures par semaine, ne tombe pas malade, ne prend pas de week-end, ne coûte pas en charges sociales, ne créé pas de syndicat, n’a pas de revendications, est tous les jours aussi efficace parce qu’il ne fait pas la fête quand l’OM gagne un match, etc … Il va falloir dire à vos enfants de bien travailler à l’école, parce que le travail manuel peu qualifié va disparaitre petit à petit …

  5. Philippe,
    Effectivement, un robot ne forme pas de syndicat, il ne revendique jamais, il ne desire pas un monde meilleur.
    Un robot ne souhaite pas non plus un bon anniversaire a ses collegues, il ne console pas un collegue qui viens de perdre son conjoint, il n’organise pas de collecte pour les pot de depart, il ne prend pas de jeunes stagiaires sous son aile pour leur faire decouvrir un metier qu’il aime, il est incapable de s’adapter aux situations imprevues et il ne propose jamais d’amelioration des procedes industriels (la methode Toyota, ca vous parle ?).

    Aider l’humain dans les taches repetitives, penibles, debilitantes ou dangeureuses, oui, c’est meme un progres social d’automatiser ces taches.
    Mais ce n’est pas parce que les managers ignorants traitent les ouvriers comme des robots qu’il faut croire qu’ils peuvent etre remplaces par de la feraille.

    Philippe, auriez-vous oublie que l’economie doit etre au service de l’humain, et non le contraire ?