Des robots et des hommes : pourquoi avons-nous besoin de la technologie pour faire un pont entre nous ?

Quand on va dans un salon dédié à la robotique comme c’était le cas à InnoRobo, il est intéressant d’observer les décalages. Et le décalage le plus flagrant est celui qui sépare les discours des faits.

Dans le discours des professionnels de la robotique, les robots sont déjà parmi nous. Lors de sa présentation liminaire (.pdf), Bruno Bonnell, président de l’évènement, égrainait les perspectives, comme si les prévisions de croissance organique du marché étaient l’assurance d’un avenir enfin radieux, permettant de justifier tous les business modèles… Lors du Show room, les professionnels du secteur portaient haut et fort leurs espoirs en faisant, l’un après l’autre, la démonstration de leurs merveilleuses réalisations. Pourtant, nombreux étaient ceux qui n’exposaient pas de perspectives de marchés bien concrètes… Le monde des roboticiens semble peuplé de chercheurs épris de R&D et d’entrepreneurs un peu rêveurs espérant vendre leurs robots parce qu’ils sont dans l’air du temps et que ça fait cool d’en avoir un à côté de son ordinateur ou dans sa piscine (eh oui, il y a des robots qui nagent). Cela ne suffit pas. On sait que certains s’y sont cassé les dents.

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Image : L’indispensable boîte à outils du roboticien dans les travées d’InnoRobo, photographiée par Russel Davies.

Le succès du Roomba, ce robot aspirateur vendu à plus de 6 millions d’exemplaires dans le monde, et largement copié depuis, et la présence du sémillant Colin Angle son PDG, venu galvaniser les troupes en démontrant le succès d’une robotique très fonctionnelle, était heureusement là pour rappeler que, désormais, la robotique est d’abord affaire d’argent et d’adéquation d’une offre à des besoins bien spécifiques…

Le succès du robot aspirateur et de quelques jouets qui bougent tout seuls et amusent quelque temps nos enfants paraît l’horizon via lequel la robotique va pénétrer nos maisons. De là à postuler le déferlement de la robotique dans le domaine du divertissement et plus encore de la santé, il y a un pas que de nombreux entrepreneurs envisagent avec concupiscence. Nous en sommes encore loin.

Pour de nombreux spécialistes, le vieillissement de la population semble l’horizon qui va cristalliser l’âge d’or de la robotique domestique. Malgré les espoirs suscités par la recherche dans le domaine de la robotique de service adaptée à la santé, on est loin du compte. Même au Japon, précurseur dans ce secteur, les résultats sont bien en dessous des espérances. Même le doux et gentil Paro, le robot phoque thérapeutique, n’aurait vendu qu’un millier d’unités… On pense trop souvent qu’en Asie le développement de la robotique est assez naturel. Pourtant,Sang-Rok Oh, directeur du Centre pour le développement de l’apprentissage robotique de l’Institut des sciences et de technologie de Corée, évoquant le plan éducatif Coréen en matière de robotique, a tout de même rappelé que ce développement n’allait pas de soi. Derrière les images des robots professeurs de langue ou de gym (vidéo), les controverses autour des avantages éducatifs de la technologie existent aussi en Corée. « Les jeunes doivent s’adapter au monde numérique et certains parents demandent que l’école propose un nouvel environnement éducatif avec des méthodes innovantes, mais d’autres pensent que les enfants devraient apprendre dans des environnements naturels, sans ordinateurs ni robots. » Et l’introduction de robots dans les jardins d’enfants pour accompagner l’éveil des plus jeunes, comme on le faisait avec des ordinateurs quelques années plus tôt, réveille les mêmes oppositions. « La société coréenne est très conservatrice, elle est majoritairement très opposée à ces nouveaux systèmes. » expliquait encore Sang-Rok [1].


Vidéo : Des professeurs robots en Corée ? Derrière l’image d’Epinal du reportage de Reuters, peut-être plus de contestation qu’on le pense.

Pourquoi cet échec ? D’abord, parce que justement, tous ces robots ne répondent peut-être pas à un besoin spécifique. Les robots d’assistance aux personnes âgées dépendantes, sensés tout faire, au final, ne savent pas faire grand-chose. Bien souvent, nous sommes plus dans le ludique qu’autre chose… Un ludique qui est rarement proposé au prix du ludique.

Ensuite et surtout, parce que tout cela est loin de marcher d’une manière aussi limpide qu’on le dit. Dans un salon, il est toujours intéressant de regarder ce qu’on ne voit pas, où ce qu’on cherche à ne pas vous montrer. Et quand on détourne le regard de la scène où s’agitent les marionnettes électroniques, que voit-on ? On voit des ordinateurs. On voit des gens qui réparent des paquets de fils ou de moteurs sortants de robots éventrés. On voit des programmes complexes qui se déroulent à mesure que s’agitent les robots, mais dont les écrans ne sont pas tournés vers le public. Alors qu’on vous demande d’admirer les robots, d’autres regards les surveillent via des ordinateurs. Le robot ne s’agite que quand on tape sur la touche entrée et s’arrête dès que le programme est déroulé. Quand on voit des démonstrateurs répéter des commandes vocales pendant 10 minutes sans que le robot ne les entende, on se rend compte combien le saint Graal de l’autonomie est relatif. Le plus souvent, les ingénieurs s’enthousiasment pour des Legos mécaniques, qu’ils pilotent ave une télécommande ou un programme, s’amusant toute la journée à essayer de les faire marcher, les faire répondre comme ils doivent répondre, fonctionner comme ils doivent fonctionner… Pas sûr que cela amuse le grand public ou les personnes âgées de devoir se pencher sur les entrailles de leurs robots à longueur de journée. Les robots à programmer auront du mal à convaincre au-delà d’un cercle restreint de geeks éclairés.

La troisième raison à mon sens est certainement à chercher dans l’uncanny valley, cette vallée de l’étrange où vit ce peuple de ferraille et de moteurs. Qui n’a pas entendu un robot tenter de monter des marches d’escalier à côté de soi, à la force de ses chenilles, ne pourra peut-être pas comprendre… Mais le tonnerre insupportable qui l’accompagne vous fait bien vite comprendre que jamais vous ne pourrez vivre près de lui. Pas plus qu’on ne vit avec un aspirateur… Beaucoup de possesseurs de Roomba certes le baptisent d’un petit nom – ce qu’ils faisaient déjà avec certains objets non robotiques d’ailleurs, mais pas nécessairement avec leur aspirateur. Reste que, passé la nouveauté, la plupart du temps, on ne le laisse pas tourner autour de soi. On l’enferme dans une pièce, seul, le temps qu’il fasse son travail. Non seulement parce qu’il fait un bruit d’aspirateur, mais parce que ses mouvements désordonnés sont insupportables… Bien sûr, les premiers temps, les enfants sont enthousiastes. Ils participent aux tâches ménagères. Ils préparent le terrain au Roomba : mais ne leur répétions-nous pas déjà de ranger leur chambre pour qu’on puisse y faire le ménage ?

On a un peu l’impression que le rêve des ingénieurs est que le robot s’occupe de nous, comme eux-mêmes s’occupent de lui, avec la même attention, la même prévenance, la même sollicitude. On veut mettre des robots phoque dans les bras des personnes âgées, mais on leur interdit leurs animaux de compagnie… Reste que cela donne une drôle d’impression, comme le notait Francesco Mondada : on a l’impression qu’il sera plus simple d’avoir un ingénieur pour s’occuper d’un robot que d’avoir quelqu’un pour s’occuper d’un petit vieux. On a l’impression qu’on nous dit que le robot est une passerelle entre les hommes quand la passerelle n’existe plus. Pourquoi donc avons-nous besoin de la technologie pour faire un pont entre nous ?

Hubert Guillaud

Le dossier robot publié sur InternetActu suite à RoboLift était composé :

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1. Tout n’est pas sombre dans l’avenir de la robotique d’éducation. Le Pérou a récemment célébré le 500 000 OLPC en commandant 20 000 kits de développement robotique Lego (en supplément des 92 000 commandés précédemment) pour ses élèves. Mais ici, le but n’est pas de remplacer les professeurs par des robots, mais aider les élèves à comprendre comment ça marche… La différence est d’importance.

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0 commentaires

  1. Merci Mr Guillaud pour cet edito que j’ai trouve tres interessant et bien ecrit. Il repond en effet a certaine preocupations personnelles. Je souhaite en effet creer une entreprise lie au monde de la robotique. La question que vous posez est tout a fait legitime, la robotique pour quoi faire? remplacer des instituteurs? les aides a domicile? l’avenir nous le dira.
    Vous sembler neanmoins faire porter a l’ingenieur la responsabilite de repondre a cette question. Vous exposer la une vue simpliste du role de la technique dans notre monde. L’importance que nous donnons a l’education des plus jeunes et du travail des aides a domicile sont a la fois des decisions politiques (budget de l’education nationale, salaires des instituteurs, soutiens a l’industrie du service a domicile …) que le resultat d’une societe de marche. Un banquier est plus remunere qu’une aide a domicile car nous estimons collectivement que son travail a plus de valeur. Dommage que votre edito n’ai pas ete sur le remplacement du banquier par un robot, cela est aussi le cas…

  2. Merci pour cet article qui pour une fois, lorsque l’on parle de Robotique, tempère et montre les réels enjeux liés à ce marché naissant.

    On a toujours l’impression de voir des robots réaliser des choses extraordinaires et de manière bien plus efficace que nous autres pauvres humains concepteurs de ces machines.

    La réalité est loin d’être aussi tranchée. Pour beaucoup, ces robots, comme vous le dîtes fort justement, sont des interfaces entre le public et un/des ingénieurs aux commandes derrière un écran. C’est très amusant d’ailleurs.

  3. Pour moi, tout l’intérêt de la robotique est de pouvoir donner une forme « mobile et motorisé » à un programme dans le monde réel.

    Le challenge viendra quand la biologie convergera avec cette science.

  4. Merci pour cet article qui nous ramène à la dure réalité. Néanmoins, je souhaite tempérer un peu votre propos. La robotique, si elle se cantonne, dans l’état actuel de la technologie, à des tâches de substitut de l’homme dans des endroits dangereux (zones polluées, radioactives, déminage, domaine spatial, fond marins) ou bien à des tâches répétitives de faible valeur ajoutée, répond tout de même à une partie des ambitions qu’elle porte.
    Je suis en revanche d’accord sur le fait que vouloir réaliser un robot qui fait tout et au final de fait rien est aujourd’hui à l’origine de la déception (relative je l’espère) générée par la robotique. Mais n’est-ce pas parce que la technologie est justement limitée pour le moment et qu’il faille un ingénieur pour s’en occuper que cette déception persiste ?
    Pour rappel, on raillait l’informatique au début parce qu’un ordinateur prenait une pièce entière. Il suffit peut-être d’être patient…