L’origami ADN assisté par ordinateur : vers une nanotechnologie de garage ?

Une des directions les plus prometteuses de la nanotechnologie aujourd’hui est celle qui porte le nom poétique d’origami ADN. L’idée consiste à utiliser l’ADN non plus comme le code de la cellule vivante, mais comme un matériau de construction permettant d’élaborer des objets de quelques nanomètres. En biologie tout est question de forme. Ainsi, c’est à cause de leur structure tridimensionnelle que les protéines sont en mesure de remplir une multitude de rôles au sein des organismes. Cette capacité des protéines à prendre des configurations particulières en ferait les candidates idéales pour la nanotechnologie, mais la manière dont ces dernières se plient est extrêmement difficile à prévoir, elles sont donc difficiles à manipuler (sur le pliage des protéines, voir Les joueurs au secours de la science et Le succès de Foldit : jouer pour la science).

L’ADN, lui, se montre beaucoup moins compliqué à triturer que les protéines. Pourtant, nous explique un article de Nature News, on a essayé de le sculpter depuis les années 80 sans grand succès. La cause en était essentiellement due au prix de la synthèse de longs brins nécessaires à ce genre d’opérations, synthèse plutôt onéreuse jusqu’à il y a récemment.

C’est là qu’intervient l’origami ADN.

Inventée en 2006 par Paul Rothemund (voir son intervention à TED), la méthode consiste à utiliser un « échafaudage » sous la forme d’une longue chaîne d’ADN issue d’un virus (comme le précise Rothemund il n’y a rien de significatif dans le fait qu’il s’agisse d’un virus : c’est simplement plus facile à se procurer). Dans une culture, on place autour de cette chaîne une multitude d' »agrafes », des petites chaînes d’ADN synthétisées en fonction du but qu’on cherche à atteindre. Du coup, seules ces « agrafes » ont besoin d’être synthétisées, le matériel de base étant emprunté à la nature, et les opérations sont à la fois moins couteuses et moins longues.

Ces petites agrafes vont alors, par le jeu des liaisons chimiques, s’accrocher à la chaîne échafaudage. De plus, comme ces agrafes vont également attirer d’autres molécules, elles vont plier le brin d’ADN central et lui donner une forme particulière. Rothemund a ainsi pu créer des smileys microscopiques, des étoiles à cinq branches, et même les lettres du mot ADN.

twosmileys-topo-tilted2Comme un bon jeu vaut mille mots, le plus simple est de pratiquer vous-même le jeu de l’ADN Origami. Sur le site du Wyss Institute d’Harvard, une petite application Flash vous permettra de saisir les principes de base en quelques minutes.

A part la performance amusante, quel peut être l’usage de l’Origami ADN ? Comme tout ce qui permet de créer des formes nanométriques, les possibilités sont nombreuses, nous explique encore Nature. Certains chercheurs comme Hao Yan, qui travaille à l’université d’Arizona, envisagent de l’utiliser pour créer des « feuilles artificielles », susceptibles de transformer l’eau en hydrogène pouvant faire office de carburant. Un autre chercheur, William Shih, voit des applications biomédicales : on pourrait utiliser des « boites » fabriquées en origami ADN (l’équipe de Kurt Gothelf, du centre pour la nanotechnologie ADN, de l’université Aarhus au Danemark, en a déjà créé une, avec sa clé !) susceptibles de pénétrer dans les cellules pour délivrer des médicaments. Une autre possibilité serait d’utiliser les structures d’ADN comme plan de construction de circuits électroniques. L’armée américaine n’est pas en reste, nous explique Wired. La Darpa prévoit, en effet, de créer avec cette technique des anticorps artificiels capables de neutraliser d’éventuelles armes biologiques, en repérant et en éliminant rapidement les virus Ebola ou autres Anthrax sur le terrain. Les anticorps naturels contre ce genre de maladies existent, mais ils sont difficiles à produire en quantité. Au delà des applications militaires, on se prend à rêver de l’usage civil de tels anticorps artificiels…

Tout récemment deux découvertes ont renouvelé le domaine de l’origami ADN.

Passage à la 3D

Jusqu’ici les formes générées en Origami ADN étaient bidimensionnelles : pour passer à la 3D on travaillait sur différentes couches ou plans. C’est là que réside la première grande innovation de ces dernières semaines. L’équipe de Hao Yan a en effet réussi à démontrer qu’il était possible d’intégrer la troisième dimension, et ainsi de développer toute une industrie d’objets nanoscopiques de toutes sortes et remplissant une plus grande diversité de fonctions. Ils ont ainsi pu produire des objets sphériques, et même un micro-flacon ! Pour ce faire, en lieu et place d’une seule et unique bande d’ADN, ils utilisent un échafaudage beaucoup plus complexe, constitué d’une série d’anneaux concentriques d’ADN, reliés entre eux à des points stratégiques. Il est beaucoup plus aisé, à partir de ce système circulaire, de construire des formes tridimensionnelles complètes.

Biodesign team builds nanoforms from ASU News on Vimeo.

Autre nouvelle importante, il est désormais possible de créer ses Origamis ADN par ordinateur, comme s’en fait écho une information du MIT. Ce n’est que partiellement un scoop : il existe en effet depuis un certain temps, des logiciels de CAO destinés particulièrement à la création de formes par ADN. Ils présentent des interfaces assez analogues à celles de logiciels comme 3D Studio et Blender, affichant côte à côte vues 2D et 3D, mais n’allez pas chercher à modéliser les Na’vis de James Cameron ! Leur mode opératoire est beaucoup plus formel, et tient compte des caractéristiques spécifiques des chaînes d’ADN. L’un des outils les plus importants dans ce domaine, celui qui a été employé par l’équipe du MIT se nomme Cadnano.

Comment fonctionne un tel programme ? On commence par définir le schéma de la forme qu’on souhaite matérialiser. Comme il s’agit de structures assez simples, cette opération est assez rapide. Ensuite, c’est là que les choses se compliquent. On décrit les liens possibles entre les différents points de l’échafaudage, et si l’on ne s’est pas trompé le programme va alors générer la liste des formules chimiques des agrafes nécessaires pour réaliser l’opération. Il ne reste plus qu’à synthétiser le tout dans le monde réel !

Problème lié à la chimie, il n’est pas si facile de décrire en virtuel un origami de ce type. Comme toujours en biologie, des interactions non prévues peuvent empêcher les chaînes moléculaires de réaliser la forme souhaitée. C’est là que se situe la nouveauté du MIT. L’équipe de Mark Bathe a en effet lancé un service, Cando, qui reçoit par mail un fichier Cadnano, l’analyse et renvoie quelques heures plus tard, toujours par mail, un fichier 3D susceptible d’être lu par un visualiseur de molécules comme Chimera. Parmi les exercices auxquels se sont livrés les concepteurs de Cando, on notera la création d’un petit robot fait d’ADN…

Il n’existe pas pour l’instant de logiciel de conception 3D employant la technique de l’origami 3D de Hao Yan, mais, nous dit-on, l’équipe y travaille. (A noter l’existence de Tiamat, un logiciel de modélisation ADN disponible sur le site du groupe, mais il est un peu ancien et ne semble pas à première vue tenir compte de ces dernières avancées).

Vers une nanotechnologie de garage ?

Point important à noter, Cadnano, le service Cando, Chimera ou même Tiamat sont tous les trois librement téléchargeables ou accessibles gratuitement. Cette virtualisation de l’ADN Origami est particulièrement intéressante dans le cadre de la « DIY biology ». Cela veut dire que la conception est librement accessible à tout un chacun. A charge pour de futures sociétés commerciales de synthétiser l’ADN ainsi conçu. Le potentiel démocratique de telles technologies n’échappe pas aux médias : « Un logiciel du MIT pourrait apporter l’Origami ADN aux masses », titre ainsi CNN News (qui exagère peut être un chouïa). Quant à l’article de 2006 de la Technology Review qui relatait l’invention de la méthode par Rothemund, il s’intitulait simplement « Do it Yourself Nanotech ».

Sera-t-il facile pour des amateurs de fabriquer « pour de vrai » de l’origami ADN et non plus seulement de le concevoir ? Un peu difficile de trouver de l’info là dessus pour l’instant. On sait pourtant que les prix de la synthèse d’ADN baissent considérablement, donc on peut espérer une prochaine généralisation de cette pratique. Une autre difficulté particulière à l’origami ADN est la nécessité de visualiser ses créations pour être sûr qu’elles ont pris la forme souhaitée, ce qui implique l’usage onéreux d’un microscope électronique. A ce sujet, lors d’un panel sur la « diybio » qui s’est tenu à Boston en avril 2010, un chercheur, Philip Lukeman a indiqué une solution intéressante : il existe une société (travaillant apparemment beaucoup pour l’armée !) qui propose des clichés gratuits pris au microscope électronique de tout échantillon qui leur serait envoyé.

Parlera-t-on un jour d’une « nanotechnologie de garage » ? On en est encore loin, mais l’existence de tels outils virtuels et l’usage d’un matériau « humide » comme l’ADN (en opposition avec des molécules « sèches », non organiques, dont la fabrication nécessite une plus grosse infrastructure industrielle) constituent peut-être un pas dans cette direction.


Vidéo : L’intervention de Paul Rothemund à TED.

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  1. Et c’est géniale tout ça je cherche d’autres articles là dessus contactez moi pour plsu d’nformations