Facebook : un espace public avec une police privée

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article de Mathew Ingram qui est journaliste. Il a été mis en ligne le 21 juin sur GigaOm et s’intitule « The downside of Facebook as a public space : censorship » (« l’inconvénient de Facebook comme espace public : la censure »).

Les bénéfices à être sur Facebook, commence le journaliste, sont aujourd’hui assez évidents : on peut être en relation avec notre famille et nos amis, partager toutes sortes de choses avec eux, et gratuitement. Mais ce quasi-espace public est aussi possédé et contrôlé par une entreprise qui a sa propre conception de la manière dont on doit se comporter. Cela pose inévitablement des questions sur le degré de censure qui est pratiqué par le site – des questions qui ont refait surface il y a une dizaine de jours quand la page Facebook du critique de cinéma Roger Ebert a disparu, et quand un groupe de militant britannique a vu ses contenus bloqués. Qui surveille les surveillants ? se demande Mathew Ingram.

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Image : Comment Facebook bloque-t-il des contenus ? L’exemple de la page de l’organisation britannique J30 Strike.

Et le journaliste raconte les faits. Roger Ebert a essuyé une salve de critiques suite à la mort d’une star de la série Jackass, qui s’est tuée dans un accident de voiture. Ebert – qui s’est inscrit sur Twitter après une opération d’un cancer qui a entraîné la perte de sa mâchoire inférieure, et qui compte aujourd’hui 475 000 followers – a écrit un tweet moqueur qui lui a attiré les foudres des autres membres de Jackass et du blogueur star Perez Hilton. Le critique cinéma a ensuite tweeté que sa page Facebook avait été retirée (même si ses commentaires sur Twitter n’y étaient jamais apparus) et remplacée par un message d’erreur expliquant que la page avait supprimée suite à des violations des conditions d’usage de Facebook qui proscrivent tout contenu haineux, menaçant ou obscène et les attaques ciblant des individus ou des groupes. En réponse, Ebert a dit que sa page Facebook était inoffensive et a tweeté : « Pourquoi avez-vous retiré ma page Facebook à cause de connards anonymes ? » Facebook a répondu que la page avait été fermée par erreur, et elle a été rétablie. Mais, comme l’avait noté dans un post Jilian York, de Global Voices Online, l’erreur qui a entraîné la disparition de la page n’est pas clairement expliquée. A-t-elle été retirée automatiquement ou après avoir été désignée comme injurieuse ? York – qui a travaillé dans le passé sur la manière dont des pages Facebook de dissidents du Moyen-Orient et d’ailleurs avaient disparu – explique que Facebook nie que ces retraits soient automatiques. Faut-il donc considérer qu’il y a derrière cela une erreur humaine ? Et si tel est le cas, quelles mesures l’entreprise prend-elle pour que cela ne se reproduise pas à l’avenir ?

Si des gens hostiles au Tweet de Ebert ont signalé de manière répétée sa page Facebook, ils ont suivi la même méthode que celles de certains gouvernements qui essaient de faire taire la dissidence : le bien connu Evgeny Morozov a récemment dit qu’il connaissait au moins un état qui désignait les pages Facebook des dissidents comme pornographiques dans le but de les faire fermer. Facebook a aussi retiré par le passé des pages considérées comme anti-musulmanes ou anti-israéliennes – pour parfois les réinstaller ensuite – et aussi fait disparaître des contenus plus inoffensifs, comme des pages consacrées à l’allaitement maternel.

Mais Facebook ne se contente manifestement pas de fermer des pages d’usagers. Selon le post d’un des organisateurs britanniques d’une manifestation anti-gouvernement, un grand nombre d’usagers ont rapporté que Facebook avait non seulement bloqué les liens vers le site internet du groupe, mais vers un post de blog qui y faisait référence. Un porte-parole du réseau social a expliqué qu’il s’agissait aussi d’une erreur, et elle été corrigée. Mais encore une fois, note le journaliste, le type de l’erreur n’était pas clairement décrit. Tout comme ne sont pas clairs les critères de Facebook pour prendre ces décisions.

Comme le note le blogueur britannique dans le billet qui raconte l’incident, Facebook « devient l’espace dans lequel les gens reçoivent l’information, même celle qui concerne la vie politique ». Ingram reprend : nos vies publiques et l’information qui nous alimente passent de plus en plus par des réseaux sociaux comme Facebook ; et plus ils deviennent puissants – comme on l’a vu lors des révolutions arabes – plus notre information est filtrée par une entité privée, avec ses propres désirs et ses propres règles, dont aucun ne sont évidents. Les implications de tout cela sont profondes, conclut le journaliste.

Intéressant papier, me semble-t-il, qui dit bien l’ambiguïté d’un espace public qui n’est pas public, d’un espace public dont les règles ne sont pas, non seulement le fruit de discussions entre les usagers, mais ne sont pas clairement données à tous. Bien sûr, il y a les conditions générales d’usage, que personne ne lit, mais, au-delà, qui décide vraiment de leur interprétation (tout texte de loi nécessite interprétation) et de leur respect ? Je trouve assez terrifiante cette description de Facebook. Un espace public avec une police privée, invisible, et toute puissante.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 26 juin 2011 était consacrée à Internet Archive, avec son fondateur Brewster Kahle et au hacking artistique du groupe tchèque Ztohovenen compagnie de Jérôme Thorel.

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0 commentaires

  1. Voilà pourquoi des alternatives comme Diaspora deviennent urgentes.

  2. Il semble que ce soit Roger Ebert et non pas Robert Ebert non ?

    Oui oui…, merci de votre rectification ! – HG

  3. une idée me vient à l’esprit en lisant ca :
    à chaque pays son president facebook, ses ministres, ca fait peur ?

  4. Bonjour,

    Sur Facebook, je vous invite à lire l’article très documenté qui est paru dans le Figaro Magazine du 25 juin.
    Il est dommage qu’on ne parle que du cas FB…

    J’en profite pour vous informer qu’il y a quelques temps, j’ai lancé OecuMenic, le premier réseau social basé sur des valeurs éthiques, humanistes, spirituelles et religieuses (on nous appelle déjà « le Facebook des croyants »), il y a deux mois, le 1er mai 2011. Et nous sommes déjà plusieurs centaines à avoir rejoint la Communauté, plusieurs milliers à avoir visité le site (plusieurs dizaine de milliers de pages vues) !

    Fort de ces atouts, OecuMenic a décidé de lancer l’opération La Caravane OecuMenic des JMJ 2011 !, pour venir en aide aux jeunes qui faute de moyens, et malgré leurs désirs, ne pourraient pas participer à cet évènement exceptionnel, des Journées Mondiales de la Jeunesse à Madrid !

    Cet évènement est majeur : inventé par Jean-Paul II dans les années 1980, il réunit tous les 2 ans dans un endroit différent de la planète plusieurs millions de jeunes.

    Pour la première fois, OecuMenic, le réseau social qui apporte du Sens et des Valeurs au Web, aide ces jeunes.

    Un groupe de soutien a déjà été créé, que vous pourrez rejoindre si vous le souhaitez en cliquant sur ce lien :
    http://oecumenic.com/index.php?do=/group/

    Vous vous sentez concernés, parce que vous connaissez des jeunes dans cette situation, alors rejoignez-nous! Et parlez-en autour de vous !

    Nous recherchons aussi des parrains et des sponsors…

    Aidons ces jeunes de 18 à 25 ans…Les JMJ de Madrid peuvent leur changer la Vie !

    A bientôt sur OecuMenic !

    Très Cordialement,

    Antoine Bordier
    Fondateur
    http://www.oecumenic.com

    La presse en parle :

    http://www.leparisien.fr/seine-et-marne-77/les-croyants-ont-leur-reseau-social-en-ligne-13-06-2011-1490985.php

    Dans le Micro Hebdo n° 689 : page 51, « le Facebook des croyants »