Homesense : naissance et vicissitudes d’un projet ouvert

Le monde des nouvelles technologies bruisse toujours de projets innovants et excitants, qui connaissent à leurs débuts leurs 15 minutes de célébrité avant de retomber dans l’obscurité sans que jamais on ne sache ce qui a été accompli et dans quelles conditions. D’où l’intérêt de la présentation d’Alexandra Deschamps-Sonsino, une habituée de Lift qui n’était d’ailleurs pas prévue cette année, mais qui a remplacé au pied levé sa collègue Georgina Voss. Elle nous a raconté l’histoire du projet Homesense et ce qu’il en était finalement advenu.

Tout a commencé par un post de blog, nous raconte-t-elle, où elle exprimait sa lassitude de voir ces projets de « maison intelligente » réalisés de façon top-down, comme si tout le monde avait les mêmes désirs et les mêmes besoins, alors que les gens sont si différents. Une diversité que montre très bien un projet du photographe Mark Cowper qui a réalisé une oeuvre basée sur un appartement vide, dont il a confié l’organisation et la décoration à différents habitants, créant à chaque fois un appartement complètement différent.

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Image : Alexandra Deschamps-Sonsino sur la scène de Lift, photographiée par Pierre Metivier.

Bien sûr, il existait déjà en ligne de nombreux systèmes permettant à tout un chacun de personnaliser sa « maison intelligente », comme les systèmes Botanicalls qui permettent de surveiller ses plantes, ou par exemple des machines qui donnent automatiquement de la nourriture à un chat. Mais ce qui serait fantastique, pensa-t-elle, ce serait donner des outils à des personnes ne disposant d’aucune formation technologique, et de voir ce qu’ils proposeraient.

Ce rêve allait devenir réalité à l’occasion de Lift 2009 lorsque qu’elle a rencontré Édouard Siekerski et Charles Delalonde d’EDF R&D avec lesquels elle allait lancer le projet Homesense.

robottoiletteshomesenseL’idée de base était la suivante. Donner à des gens – madame ou monsieur « tout le monde » – une valise avec un certain nombre d’outils qu’ils allaient pouvoir manipuler pour créer des objets correspondant à leurs besoins. Au cœur de l’équipement se trouvait bien sûr l’inévitable Arduino, dont Alexandra Deschamps-Sonsino est depuis longtemps l’une des plus ferventes avocates. A cela s’ajoutait d’autres éléments, comme un manuel pour les complets débutants « et beaucoup, beaucoup de fils électriques ».

« Pour les gens, a-t-elle précisé, « tout cela n’était pas de la technologie, plutôt des jouets ». Mais fournir le matériel ne suffisait pas. « Alors nous avons réuni 8 experts susceptibles d’apporter de l’aide aux 6 foyers sélectionnés ».

bikemap-525x392D’étonnants objets ont été conçus par les habitants : par exemple un cadre agrémenté d’une carte de Londres indiquant les vélos à louer disponibles dans les plus proches emplacements, ou un arroseur de plantes automatique fabriqué avec des Legos, ou encore un robot qui signale aux habitants que l’état des toilettes qu’ils s’apprêtent à quitter n’est pas conforme à ce qu’on serait en droit d’attendre

On a vu aussi un appareil qui allume doucement une radio le matin lorsque la lumière s’allume, et un autre qui vérifie si le café qu’on oublie dans son mug est buvable, trop chaud, ou trop froid.

Évidemment, tout n’a pas toujours été facile, explique Alexandra Deschamps-Sonsino. « Nous n’avions pas prévu la nécessité de faire des soudures. Quant aux fils électriques, ils ne sont pas faciles à installer, il faut parfois trouer des murs ! C’est pourquoi les électriciens sont utiles : on ne peut pas toujours tout faire tout seul. »

smartcoasterhomesenseComme toujours l’argent a été le nerf de la guerre, et le partenaire du projet, EDF R&D, a apporté 50 % des financements. L’expérimentation aurait pu se poursuivre sans nuages, mais hélas, les ennuis ont commencé à s’accumuler. Tout d’abord, la société d’Alexandra Deschamps-Sonsino, Tinker, a dû fermer. Cela a porté un coup quasi fatal au projet. Comme si cela ne suffisait pas, des ennuis juridiques ont commencé à poindre le bout de leur nez. Une société américaine de mobilier, Homesense, qui n’existait même pas à la naissance du projet, a commencé à menacer l’équipe si elle continuait à utiliser le nom. C’est là, précise Alexandra Deschamps-Sonsino, que le choix du partenaire financier trouve une réelle importance. « Nous avons pris contact avec les avocats d’EDF, qui nous ont bien aidés. Depuis, les gens de la boite américaine nous laissent tranquilles ». Autant d’exemples qui montrent combien parfois les projets innovants sont dépendants des contraintes extérieures.

Mais le projet n’a pas été qu’un échec. Au contraire, l’exposition Talk to Me qui ouvre dans quelques jours au Moma sur le sujet de la communication entre les gens et les objets a retenu le kit Homesense dans son programme… Ce qui est une belle consécration !

Ou en est aujourd’hui Homesense ? L’expérience semblait vouloir mourir, mais elle a pu cependant continuer malgré tout. Le projet est en train de se clore. Mais les objets qui ont été créés, eux, ne tombent pas dans l’oubli, comme le montre l’exposition. Certains comme le projet de cadre des emplacements de vélo disponibles à proximité sont même en train de connaitre un développement commercial.

Alexandra Deschamps-Sonsino a ainsi résumé les avantages et les inconvénients de projets ouverts, comme l’a été Homesense. Tout d’abord, il est plus aisé d’innover en milieu ouvert que dans une grosse société : en effet, les budgets de R&D tendent à s’effondrer, et dans un microprojet comme Homesense, il est plus facile d’aller au contact des gens, et les résultats sont partagés plus facilement. En revanche, c’est beaucoup plus risqué, on est moins bien protégé, on est très dépendant de l’environnement externe. Ce qui fait que le choix des associés et des partenaires est très important. Malgré tout, il ne faut pas oublier l’avantage fondamental des projets ouverts : « avec eux, tout le monde y gagne ! »

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