La police prédictive : l’algorithme du crime

La lecture de la semaine, il s’agit d’un prolongement de la conversation que nous avons eue il y a 15 jours avec Eric Sadin autour de « La société de la prédiction ». Il est paru sur le site TPM, Il s’intitule « Les flics de Santa Cruz expérimentent la police préventive » et on le doit à Jeol Shurkin.

« La police de la Santa Cruz, en Californie, a entamé une expérience consistant à utiliser un algorithme qui prévoit quand et où certains crimes vont être commis, et permet d’envoyer des hommes sur le terrain avant même que ces crimes ne soient commis.

crimemappredictionA ce jour, la police a arrêté 5 personnes en utilisant cette technique dite de « police prédictive », et les taux de certaines catégories de crime dans la ville ont déjà baissé de manière significative – peut-être un résultat de cette politique ? Le programme a permis de prédire correctement 40 % des crimes qu’il était chargé de surveiller. La police a expliqué que des programmes comme celui-ci, s’ils se montraient fiables, pouvaient aider à déployer leur force de manière plus efficace.

A la différence de la nouvelle de Philip K. Dick, The Minority Report, et du film inspiré de ce texte, le programme repose sur des algorithmes, et non sur des mutants, pour prédire la probabilité qu’un événement ait lieu. Le programme (présentation et explications supplémentaires) provient du champ des mathématiques appliquées et l’algorithme a été développé par un mathématicien de 29 ans de l’université de Santa Clara. D’autres techniques provenant des mathématiques ont été développées pour prédire les crimes, la plus connue étant Compstat (Wikipédia), utilisé au milieu des années 90 par la police de New York pour traquer les crimes graves, les mêmes que dans Minority Report. Le programme utilisé à Santa Cruz n’a semble-t-il pas de nom, et il se concentre sur les atteintes à la propriété, comme les vols de voiture et les cambriolages.

L’algorithme se base sur des calculs utilisés pour prévoir les répliques qui suivent un tremblement de terre important. Le coeur du programme est la croyance que les criminels commettent souvent un second crime, ou un troisième, dans le même lieu et à la même heure, si le premier a réussi. Par exemple, si un cambrioleur réussit à entrer dans une maison à 2 heures de l’après-midi dans un certain quartier parce que cette maison était vide, il utilisera cette expérience pour tenter un nouveau cambriolage dans une autre maison du même quartier à peu près à la même heure. Dans le cas de Santa Cruz, qui se trouve sur la côte californienne et abrite le campus de l’université de Californie, ce serait à peu près 4 jours après le premier cambriolage. L’algorithme le sait parce que le jeune homme qui l’a développé a compilé huit ans de données criminels de la ville et les a entrés dans l’ordinateur.

Il a d’abord testé l’idée dans le sud de la Californie avec des données de la police de Los Angeles. Après un article paru dans le Los Angeles Times et qui racontait le projet , un criminologue de Santa Cruz a contacté le mathématicien et lui fait parvenir les données de la ville entre 2002 et 2010. Son algorithme a par ailleurs la capacité d’intégrer quotidiennement les nouvelles données, ce que ne fait pas un logiciel comme Compstat. Plus il possède de données, plus l’algorithme est censé donner des résultats fiables. « Le modèle central est fondé sur l’idée que le crime n’est pas le fruit du hasard », explique le criminologue de Santa Cruz, « donc, avec suffisamment de données, on pourrait prédire où et quand le crime se produira. »

Le programme fournit deux horaires possibles pour chaque crime et des patrouilles sont envoyées chaque jour avec une carte des dix lieux principaux à surveiller.

Le programme ne donne pas à la police de cause légale pour procéder à des arrestations, mais il donne de bonnes raisons pour poser des questions quand elle voit quelqu’un sur le lieu prévu, à l’heure prévue, qui a l’air suspect.

Depuis qu’il a été installé en juillet, les cambriolages ont baissé de 27 % à Santa Cruz. Même si sa responsabilité dans cette baisse ne peut pas être établie à coup sûr, la police pense que la présence de patrouilles sur les lieux où il est probable que le crime soit commis a un effet dissuasif. »

Voilà pour ce petit papier, dont la lecture m’a rendu hésitant. On ne peut être qu’enthousiasmé par une politique de sécurité publique qui soit préventive plus que répressive, si la présence seule d’une patrouille suffit à dissuader, on ne peut que s’en féliciter. Néanmoins, on voit bien les dérives possibles et en particulier, la criminalisation de l’intention, qui n’est jamais très loin (danger qu’identifiait déjà Philip K. Dick). Enfin, on peut douter de l’efficacité à long terme de tels moyens. On peut imaginer que les cambrioleurs auront vite vent des paramètres pris en compte par l’algorithme et qu’il leur suffira de changer leurs habitudes pour rendre la prédiction caduque.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 17 septembre 2011 était consacrée à l’internet illimité, en compagnie de Valérie Schafer, chercheuse à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC), historienne des réseaux, et auteur, avec Hervé Le Crosnier (blog), de La neutralité de l’Internet, qui vient de paraître aux éditions du CNRS.

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  1. « Enfin, on peut douter de l’efficacité à long terme de tels moyens. On peut imaginer que les cambrioleurs auront vite vent des paramètres pris en compte par l’algorithme et qu’il leur suffira de changer leurs habitudes pour rendre la prédiction caduque. » je crois surtout que cet algorithme va exercer une « pression sélective » sur l’« écosystème » des cambrioleurs, qui adapteront leurs habitudes à la nouvelle situation. Il s’agit « juste » d’un changement dans l’écologie du milieu…

  2. La criminalité a baissé de façon importante, contre toute attente, dans les grandes villes Américaines. On aurait pu rechercher la cause (connue et répertoriée) de ce progrès et l’utiliser de façon systématique pour bénéficier systématiquement de ses bénéfices. Mais on a aussi le choix de s’adonner à de passionnants calculs intellectuels. Le résultat ne sera pas le même !

  3. Les délinquants ayant des informations essayeront probablement de changer leurs habitudes, mais ce modèle se nourrissant de nouvelles données, aura tôt fait d’intégrer cette problématique. Nous aurons donc un modèle ajusté qui sera probablement capable de prédire où ces changements auront lieu et quand…

  4. Il me semble qu’il y a un « effet Hawthorne » évident dans ce truc, non ? L’observateur modifie l’objet observé ?

    en tous cas, ce n’est pas très sérieux de prétendre qu’il y a une modif du comportement sur quelques mois ! C’est même complètement idiot, à mon avis ! !

  5. Joli résultat! Mais je me demande si une variante de la solution de P.K.Dick ne devrait pas être tentée. A la place du programme, vous mettez un bon flic qui a beaucoup d’expérience et de flair et vous lui faites faire ce genre de prédictions : cercler jour par jour sur la carte les zones où envoyer des flics « pour voir ». Je vous parie que le résultat sera bien meilleur – s’il s’entraîne!

  6. Today, I went to the beachfront with my children. I found a sea shell and gave it to my 4 year old daughter and said “You can hear the ocean if you put this to your ear.” She put the shell to her ear and screamed. There was a hermit crab inside and it pinched her ear. She never wants to go back! LoL I know this is completely off topic but I had to tell someone!