MyData : renverser la relation consommateur, concrètement

En 2010, dans l’ouvrage Informatique, Libertés, Identités, nous posions la question : « Que pourrais-je accomplir, moi, si je disposais, sous une forme réellement exploitable, des informations sur mes trajets et mes communications des années passées ? Pas seulement pour contrôler ce que d’autres en font, mais pour les utiliser à mes propres fins ? »

Début 2011, en présentant les résultats de l’expédition de la Fing sur la Confiance numérique, nous allions plus loin : « A terme, la règle doit être simple : si vous savez quelque chose sur moi, je dois posséder la même information et pouvoir l’exploiter. »

Le 13 avril 2011, le gouvernement britannique a transformé ce qui n’était encore qu’une perspective hétérodoxe, fragilement appuyée sur un projet de recherche américain et une petite communauté d’innovateurs, en un programme d’ampleur nationale : MyData.

« Consumer Empowerment » : nous l’avions rêvé, ils le font

Le rapport dont émane MyData, intitulé « De meilleurs choix, de meilleures affaires – Les consommateurs moteurs de la croissance« , énonce clairement l’objectif : « Passer d’une situation où les entreprises contrôlent jalousement l’information qu’elles possèdent à propos des consommateurs, à une autre où les individus, agissant seuls ou en commun, peuvent exploiter leurs propres données pour en tirer des bénéfices personnels ou mutuels. »

Concrètement, plus de 20 grandes entreprises se sont engagées à partager avec leurs clients les données qu’elles possèdent sur eux : BarclayCard, MasterCard, HSBC, Everything Everywhere (l’opérateur qui réunit au Royaume-Uni les marques Orange et T-Mobile), Google, plusieurs entreprises du secteur de l’énergie ou de la distribution…

Ces données seront fournies de manière réutilisable et portable, comme c’est le cas aujourd’hui des « open data » publiques (auxquelles le programme fait explicitement référence). Le programme prévoit alors d’encourager l’émergence d’applications destinées à permettre aux individus de tirer bénéfice de leurs propres données. Ce bénéfice passe par d’abord par une meilleure connaissance de soi et de ses pratiques : analyser la composition de son budget ou son régime alimentaire, mesurer son bilan carbone… Puis, de la connaissance, on passe à l’action, notamment (dans le cas de MyData, mais les perspectives sont plus larges) dans la relation commerciale : acheter plus sain ou plus « vert », faire le bilan d’un an de factures mobiles pour comparer les forfaits, rapprocher de manière anonyme son profil à ceux d’autres individus pour comparer ses choix, réunir des consommateurs aux besoins similaires pour obtenir des propositions adaptées de la part d’une entreprise…

Du « CRM » (gestion de la relation client), on passe alors, en quelque sorte, au « VRM » (Vendor Relationship Management, gestion de la relation commerçant), dont le promoteur Doc Searls résume en une phrase l’intérêt pour les entreprises : « il faut inventer des moyens plus efficaces de faire communiquer l’offre et la demande – par exemple en éliminant l’incertitude des producteurs, parce que les clients sauraient leur dire exactement ce qu’ils veulent. »

MyData et après : un défi stratégique

Projetons-nous maintenant dans 3 ans, au terme du programme MyData. Imaginons que des millions de consommateurs disposent de leur propre « entrepôt de données personnelles » sécurisé, dans lesquels ils conservent leurs données personnelles, mais aussi toutes les données que produisent leurs relations avec les entreprises et les administrations : leurs tickets de caisse détaillés, leurs relevés bancaires, leurs voyages en transport en commun ou leurs passages au péage, leurs communications numériques… Imaginons que des dizaines d’applications, de services, les aident à tirer de ces données des connaissances utiles à leur vie quotidienne, à leur développement personnel, à la gestion de leur budget, et à d’autres choses auxquelles nous ne savons pas encore penser. Imaginons que de nouveaux intermédiaires s’appuient sur ces capacités pour proposer des services d’une efficacité sans précédent en matière de comparaison ou de consommation collaborative. Imaginons, enfin, que quelques entreprises aient appris à dialoguer avec ces consommateurs outillés, aient adapté leurs systèmes d’information comme leur relation clientèle (voire leurs chaines de production) ; qu’elles aient commencé à en tirer des bénéfices tangibles en termes de fidélité, de qualité des données ; que l’échange d’informations, devenu volontaire et réciproque, leur permet de disposer d’informations plus fiables sur la demande et d’innover plus et mieux… De quels avantages les participants de ce programme disposeront-ils sur les autres ?

Depuis ce 13 avril 2011, le partage des données personnelles et le “Vendor Relationship management” ne sont plus seulement de drôles d’idées hétérodoxes, de celles qu’affectionne la Fing. Même s’il ne dispose pas encore de son site web, le projet MyData, piloté par le pionnier de la « Web Science » Nigel Shadbolt, est sur les rails. Le gouvernement britannique prévient même : « Nous espérons que la démarche volontaire retenue pour MyData produira des résultats rapides. Si toutefois les progrès s’avéraient trop lents (…) le gouvernement envisagera d’autres méthodes, y compris législatives. »

Si MyData réussit, c’est d’un véritable retournement de la relation commerciale (mais aussi administrative) qu’il s’agit, au travers duquel ce sont les consommateurs qui gèrent les données qui les concernent et qui prennent, ou au moins qui partagent, l’initiative de la relation. Le moment est venu d’expérimenter sérieusement l’empowerment des individus par leurs propres données, sur le terrain, de manière ambitieuse, au-delà du Royaume-Uni – et sans doute, au-delà du seul cadre commercial auquel MyData se limite. Cela prendra du temps, parce que beaucoup de questions demeurent pendantes : quelles données partager ? Quelle valeur représenteront-elles pour quels individus ? Comment les partager de manière sûre, pour les individus comme pour les organisations ? Comment faire émerger une masse critique d’applications qui tirent un parti utile des données partagées ? Comment évaluer les coûts et les bénéfices d’une telle démarche ?

Raison de plus pour ne pas attendre.

Daniel Kaplan

Dans la lignée de l' »expédition » sur la confiance numérique conduite d’avril 2010 à février 2011 par la Fing et la Fondation Télécom, la Fing propose aujourd’hui une démarche concrète en vue d’explorer concrètement les perspectives et les conditions pratiques des « Open Data personnelles » et du « Vendor Relationship management » (VRM).

Cette expérimentation associera ainsi un petit nombre d’organisations volontaires pour :

  • explorer la valeur (usages, outils, services) que représente pour les individus la possibilité d’obtenir et d’exploiter leurs propres données personnelles (« Open data personnelles » et « Quantified Self »),
  • en prospecter la valeur potentielle dans leurs relations avec les consommateurs (VRM), au travers de prototypes,
  • partager les résultats de ce projet à l’échelle nationale et internationale, avec les communautés actives autour de ces concepts.

Pour participer à ce projet en tant que partenaire, écrivez-nous !

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  1. Les officiels de la grande distribution britannique n’aiment pas MyData, explique le Retail Journal. « Amusant comme la liste des contre-arguments ressemble à celle des opposants à l’ouverture des données publiques, des sceptiques de l’innovation « d’en bas », etc. », explique Daniel Kaplan : « on n’a pas fait d’études, il faut savoir avant à quoi ça sert, ça coûte cher, c’est dangereux, et d’ailleurs les gens n’en veulent pas. Tout n’est pas irrecevable ; ce qui l’est, c’est de s’appuyer sur ces arguments pour ne surtout rien changer, rien essayer. »