Université : vers de nouveaux entrepôts de cours ouverts

Le programme Open CourseWare (Wikipédia) du Massachusetts Institute of Technology, lancé en 2001 et ouvert en 2003 a été un modèle imité depuis par de nombreuses universités de par le monde – et non des moindres. Ce sont désormais plus de 200 universités et plus de 13 000 cours qui sont librement accessibles en ligne via le consortium Open CourseWare, comme s’en félicitait le MIT en avril dernier en fêtant les 10 ans de son programme. Reste que pour l’essentiel, ce matériel se compose de vidéos, de présentations et de textes. S’il est un répertoire de connaissance sans égal, il ne permet pas d’acquérir de diplômes et propose rarement des exercices interactifs pour mieux appréhender les notions que les professeurs dispensent.

Est-ce que cela serait en train de changer ?

Le 10 octobre, Peter Norvig et Sebastian Thrun, deux spécialistes de l’intelligence artificielle de l’université de Stanford, vont se lancer dans une nouvelle forme de cours gratuits en ligne. Dans ces cours, les étudiants auront des devoirs en ligne, passeront des examens, participeront à des discussions avec d’autres étudiants, pourront poser des questions aux formateurs et obtiendront un résultat final.

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Les cours seront délivrés en une multitude de petites vidéos d’une durée d’une quinzaine de minutes maximum. Il est exacte de souligner que les conférences traditionnelles ne sont pas d’excellents moyens pour transmettre des connaissances aux étudiants, explique Lynne Harrison, directrice de l’enseignement à l’Institut de l’éducation continue de l’université de Cambridge. « Un bon conférencier va changer de tempo après 15 minutes et l’internet permet que cela se produise plus naturellement. La technologie que Stanford a mise en place rend les conférences plus agréables et nous cherchons à faire la même chose pour nos cours gratuits en ligne que nous lancerons au printemps prochain. » Mais les cours gratuits de Cambridge ne proposeront pas d’évaluation, contrairement aux cours en ligne payants que Cambridge propose déjà.

Les étudiants auront également accès à des questionnaires interactifs pour valider leurs connaissances ou accéder à des vidéos additionnelles quand les notions auront été mal comprises. Les étudiants devront répondre à 8 devoirs en ligne dans l’année ainsi que des examens en temps limités (disponibles pendant 24 heures, du moment où vous les commencerez, les étudiants auront 4 heures pour les terminer). Les professeurs répondront aux questions des étudiants et les étudiants pourront voir les questions des autres élèves. Google Moderator sera utilisé pour faire remonter aux professeurs les questions jugées les plus pertinentes par l’ensemble des élèves. Ce canal de retour risque de ne pas être très stimulant, explique Lynne Harrison : « le mécanisme semble plus conçu pour aider Stanford a améliorer ses cours que pour aider les étudiants ».

Enfin, l’ensemble sera noté et donnera lieu non pas à un diplôme de Stanford, mais à une « déclaration d’accomplissement », comme l’explique le programme.

58 000 internautes (soit quatre fois la taille de Stanford) du monde entier étaient inscrites à ce cours gratuit en août – selon les dernières informations, à quelques jours du début du cours, ce serait 130 000 personnes qui s’y seraient inscrites ! Le cours sur l’intelligence artificielle est l’un des trois proposé expérimentalement par le département informatique de Stanford – deux autres cours sont prévus, un d’introduction sur le logiciel de base de données par Jennifer Widom, et une introduction à l’apprentissage machine par Andrew Ng.

Bien sûr, les professeurs en question ne sont pas des inconnus. Sebastian Thrun est notamment connu pour travailler sur la voiture autonome de Google. Novig, ancien scientifique à la Nasa, est directeur de la recherche chez Google est l’auteur d’un manuel de référence sur le sujet. Inspiré par les travaux de Salman Khan (voir notre article Peut-on apprendre en ligne ?), Thrun estime devoir lui aussi « changer le monde en apportant le meilleur de l’éducation là où elle n’arrive pas ». Bien que ces trois cours soient encore décrits comme une expérience, les chercheurs sont convaincus que les cours universitaires doivent être plus largement accessibles via l’internet.


Vidéo : l’annonce vidéo du cours par Sebastian Thurn.

Pour les chercheurs, l’idée qui a présidé à cette expérimentation était de dépasser les traditionnels cours vidéos disponibles en téléchargement en proposant, une forme plus adaptée à l’apprentissage en ligne notamment via des sessions courtes ainsi que des technologies interactives pour évaluer les élèves. Bien sûr, comme dans toute expérimentation, tout n’est pas encore tout à fait au point, préviennent les chercheurs. Ils travaillent encore à trouver des solutions pour personnaliser les examens afin d’éviter la triche, via le travail de Know Labs.

Les discussions ont été vives à Stanford pour savoir si les cours accessibles librement pouvaient être une menace pour le fonctionnement de l’université où les frais de scolarité sont particulièrement élevés, explique John Markoff dans le New York Times. Alors que produire des vidéos et exercices en ligne bien structurés n’est pas forcément bon marché (même si ici, tout est fait simplement, sur le modèle initié par Salman Khan : il n’y a pas a priori d’équipe de réalisation vidéo pour filmer les professeurs, ni une utilisation de systèmes compliqués pour produire les questionnaires interactifs), il semble qu’il y ait eu une volonté forte des initiateurs du projet pour que les cours soient accessibles gratuitement. « Je suis beaucoup plus intéressé par l’introduction de Stanford dans le monde », a expliqué le professeur Thrun et ce alors que « le monde en développement a des besoins éducatifs colossaux ». Hal Abelson, chercheur en informatique au MIT qui a aidé à développer la génération antérieure de l’offre éducative, l’OpenCourseWare, estime que mettre en ligne du contenu ouvert était plus risqué il y a 10 ans qu’aujourd’hui. « Désormais, la question n’est pas de savoir s’il faut ouvrir ses cours, mais de trouver les modèles qui vont fonctionner dans les prochaines années ».

L’université traditionnelle, selon Sebastian Thrun, ne sert que quelques privilégiés fortunés avec un modèle d’affaires basé sur l’exclusivité. « Je ne suis pas contre l’expérience du campus. J’adore les campus. Ils proposent une somme de choses que l’expérience en ligne ne remplacera pas. Mais le modèle n’est pas rentable. », confie le chercheur à Bill Keller, éditorialiste au New York Times.

Thrun reconnaît qu’il y a encore de graves problèmes de contrôle de la qualité. Comment être sûr qu’un étudiant invisible ne triche pas ? Est-ce que l’éducation en ligne va s’avérer irrésistible et est-ce que le phénomène va durer ? Les critiques d’ailleurs sont déjà nombreuses. Niall Sclater, directeur de l’apprentissage innovant à l’Open University britannique, n’est pas convaincu, rapporte le Belfast Telegraph : « C’est une excellente idée, mais il va être difficile d’assurer la qualité. Il va y avoir un nombre illimité de possibilités de triche et d’usurpation d’identité. La déclaration d’accomplissement ressemble plutôt à une auto-certification et ça ne vaut rien pour un employeur. »

Thrun pense qu’il faut apporter des réponses technologiques à ces questions. « Si nous savons résoudre ces problèmes, alors l’éducation en ligne est capable de profondément perturber l’enseignement supérieur ». Perturber. Et Bill Keller, éditorialiste au New York Times, d’appuyer là où ça fait mal : « Il pourrait bien s’agir d’un véritable séisme pour la majorité des grandes écoles qui dépendent des frais de scolarité, plus que des subventions pour fonctionner ».

John Hennessy, le président de Stanford, a donné sa bénédiction à l’expérimentation, mais il demeure prudent sur le rêve d’une université numérique. S’il admet qu’il est possible d’imaginer un campus virtuel pour certains programmes spécialisés ou la formation continue, s’il croit aux vertus de l’apprentissage distribué, il demeure un ardent défenseur du campus physique, car l’enjeu est aussi d’acquérir le sens critique, ou la capacité à s’exprimer à l’oral et en public… Il n’est pas sûr que les étudiants en ligne apprennent la leçon la plus importante de toutes, estime Hennessy : comment continuer à apprendre. Comme le disait récemment Matt Richtel, nous ne savons pas vraiment si la scolarisation basée sur la technologie améliore l’apprentissage fondamental. « De la même manière que beaucoup de coûts d’un journal n’a rien à voir avec l’information (le papier, la livraison…), nous devrions nous demander la même chose quant aux universités. L’infrastructure de l’université est particulièrement précieuse », rappelle John Hennessy. Reste que les 130 000 étudiants qui viennent de frapper à la porte de Stanford montrent aussi qu’il y a peut-être d’autres infrastructures à développer.

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0 commentaires

  1. Enthousiasmant!
    Le MIT met la connaissance à la portée de tous… Et pas à un petit niveau! Je viens de jeter un oeil sur leurs cours sur un ou deux sujets qui me branchent: quelle qualité!
    Et surtout ils incluent des topos sur les sciences humaines, ce qui nous change du scientisme pur et dur.
    Voilà qui nous tire vers le haut et qui rend vraiment service. Ce n’est pas toujours le cas avec les « NTIC »… Bravo et merci!

  2. L’apprentissage en ligne à le vent en poupe, souligne le ReadWriteWeb : alors que moins de 70 % de l’audience de YouTube est internationale, presque 80 % des contenus éducatifs sont regardés depuis d’autres pays que les Etats-Unis. iTunes Université, qui dispose également de quelques 500 000 sources éducatives, affirme que 60 % de son audience sur cette thématique provient du reste du monde. La disponibilité de contenus éducatifs à niveau mondial peut-il changer les choses ?, s’interroge Marshall Kirkpatrick pour le ReadWriteWeb, en se référant aux indicateurs éducatifs de l’OCDE dont la dernière édition vient de paraître – http://www.oecd.org/dataoecd/61/2/48631582.pdf – qui démontre comment l’expansion de l’éducation a contribué à une transformation fondamentale des sociétés sur ces dernières 50 années. L’engouement pour les contenus éducatifs sur l’internet est tel, que plusieurs profs de Stanford ont lancé des start-ups sur le modèle lancé par Peter Norvig et Sebastian Thrun précise HackEducation.