Où va l’économie numérique ? (1/3) : Vers une innovation sans emplois ?

Même s’il est toujours difficile à mesurer, l’impact d’internet sur l’économie a toujours été observé avec attention, notamment par les acteurs de la nouvelle économie eux-mêmes, toujours à la recherche de métriques pour valoriser leurs résultats face aux pesanteurs de l’ancienne économie. Selon une récente étude du Centre pour l’innovation, la technologie et la stratégie numériques de l’école de gestion Robert H. Smith de l’université du Maryland, Facebook aurait permis de créer entre 180 et 240 000 emplois indirects aux Etats-Unis grâce au développement de l’édition d’applications, rapporte L’Expansion. Selon une étude du cabinet Deloitte – commanditée par Facebook., siccitée par Philippe Escande des Echos, l’écosystème de Facebook en aurait créé 232 000 en Europe (soit 22 000 emplois en France et 1,9 milliard de chiffres d’affaires).

En mars dernier, une étude de McKinsey – commanditée par Google, re-sic – suggérait qu’internet aurait créé 25 % d’emplois en France depuis 1995, expliquait Jean-Marc Manach pour Owni.

Même si ces chiffres sont à relativiser du fait même de leurs commanditaires, ils tentent d’exprimer le rôle de plus en plus prépondérant que joue « l’économie de l’immatériel » dans l’économie globale. Et il est certain que l’innovation technologique a des conséquences directes en terme d’emploi et d’activité. Mais à quel niveau ? L’employabilité du numérique est-il équivalent à ce qu’était l’économie avant lui ?

Certes, l’internet commence à devenir une industrie à part entière, même si ses visages sont multiples. Car, comme l’explique Henri Verdier, président de Cap Digital, « le numérique n’est pas une filière industrielle parmi d’autres ». Son expansion est la marque d’une transformation économique et sociale globale, qui s’affirme chaque jour un peu plus. L’économie numérique est resté longtemps spécifique, elle innerve désormais tous les secteurs de l’économie traditionnelle : le numérique s’est répandu partout. Mais quel est l’impact de cette économie ? Quelle forme prend-elle ? Quels effets engendre-t-elle ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans ce dossier sur l’économie numérique.

Innovation localisée ou innovation mondialisée ?

L’éditorialiste du New York Times, Thomas Loren Friedman, trois fois lauréat du prix Pulitzer, spécialiste des affaires étrangères, auteur notamment de La terre est plate explique que deux pays avec des industries manufacturières qui font partie de la chaîne d’approvisionnement des plus grandes multinationales (comme Apple, Toyota, Dell ou Cisco…) abolissent de ce fait leurs frontières commerciales et politiques. En avril 2010, il expliquait que la solution à la crise passait par les start-ups : « si nous voulons faire baisser le chômage de façon durable, cela ne passera ni par le sauvetage de General Motors, ni par le financement de nouvelles routes et infrastructures : nous devons créer un réseau de grosses et nouvelles entreprises.(…) Les emplois bien rémunérés ne viennent pas de vieilles sociétés renflouées. Ils proviennent de start-ups ! »

Si l’on en croit une étude américaine de la Kauffman Foundation Research, les entreprises de moins de 5 ans produisent en effet 2/3 des emplois créés dans l’année. Même si toutes sont loin d’être des start-ups, le vivier de l’emploi a toujours été le fruit des PME et PMI. D’après l’OCDE (.pdf), elles représentent entre 95 et 99 % des entreprises selon les pays et participent entre 60 et 70 % de la création nette d’emplois. Pour autant, révèle Bloomberg-BusinessWeek, la part du PIB américain produite par des PME est inférieure à 50 % et décline constamment depuis 2002. Faut-il voir là une tendance lourde ou aberration provisoire ?

John Naughton (blog), professeur à l’Open University, éditorialiste au Guardian et qui s’apprête à publier From Gutenberg to Zuckerberg : What You Really Need to Know About the Internet (De Gutenberg à Zuckerberg : ce que vous avez vraiment besoin de savoir à propos d’internet), n’a eu qu’à jeter un oeil au dos de son iPhone pour réfuter les propos de Friedman. Au dos d’un iPhone, on trouve la double mention « Conçu par Apple en Californie » et « Assemblé en Chine ».

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Image : L’inscription au dos de l’iPhone : « conçu par Apple en Californie, assemblé en Chine ». photographiée par Chen Zhao.

Apple n’est plus une start-up et l’économie des appareils d’Apple n’a pas aidé les Etats-Unis à créer des emplois, explique-t-il. Andy Grove, ancien PDG d’Intel ne répondait pas autre chose à Friedman : « Friedman a tort. Les start-ups sont une chose merveilleuse, mais elles ne peuvent pas par elles-mêmes accroître l’emploi de haute technologie. Il faut observer ce qu’il se passe après le moment mythique de la création dans le garage, quand la technologie passe du prototype à la production de masse. C’est la phase où les sociétés passent à l’échelle. C’est le moment où elles mettent au point les détails des conceptions, comprennent comment faire les choses à moindre coût, construisent des usines et embauchent des gens par milliers. Le passage à l’échelle est un travail difficile, mais nécessaire pour donner de la matière à l’innovation. » Or, explique Andy Grove : « Le processus de passage à l’échelle n’est plus produit aux Etats-Unis. Et tant que ce sera le cas, injecter du capital dans de jeunes sociétés qui construisent leurs usines ailleurs continuera à renvoyer un mauvais retour en terme d’emplois américains. »

Cela ne s’applique pas seulement aux Etats-Unis, estime John Naugthon, mais également à tous les pays industrialisés où les gouvernements fantasment sur le fait que de nouvelles entreprises de hautes technologies sont la clé du renouveau industriel. Maire Geoghegan-Quinn, la commissaire européenne chargée de la recherche, de l’innovation et de la science, ne disait pas autre chose : le défi de l’Europe est d’être capable de commercialiser des idées aussi réussies que le fait les Etats-Unis, avec ses iPhone et autres Facebook. Et notamment en les portant au niveau industriel avec lequel celles-ci sont conçues… Pour autant qu’on apporte la preuve que ces entreprises sont bel et bien la clé du renouveau industriel des pays développés, ce qui en terme d’emplois n’est pas si sûr.

Car les start-ups ne créent d’emplois dans leur pays d’origine que pour un nombre relativement restreint de personnes hautement qualifiées. C’est pourquoi, comme le souligne Andy Grove, le taux de chômage de la Silicon Valley est en réalité plus élevé que la moyenne nationale américaine.

En fait, estime John Naughton, le fait que les emplois manufacturiers se soient déplacés vers la Chine n’est pas un aléa de la mondialisation, mais bien un choix idéologique. Dans un récent débat télévisé, le dirigeant syndical Jim Hoffa a fait sursauter son interlocuteur en lançant une attaque sur Apple, en estimant qu’assis sur ses 78 milliards de dollars de revenus, la firme de Cupertino ne les investissait pas aux Etats-Unis. « Mais n’ont-ils pas une obligation de construire l’Amérique, de mettre les gens aux travail ? » explosait-il en s’en prenant aux milliards de dollars dont ces sociétés disposent à l’étranger.

Bien sûr, remarque Naughton, le patriotisme et le protectionnisme sont des concepts dépassés pour les grandes entreprises technologiques mondialisées, mais faut-il pour autant penser que la responsabilité sociale de ces sociétés a disparu ? N’ont-elles pas une responsabilité sociale envers les pays qui leur fournissent des gens qualifiés et instruits qui les rendent si innovantes et rentables ? Sommes-nous déjà dans le monde plat que décrivait Tom Friedman ?

Apple, caricature d’une économie du net mondialisée ?

Ces accusations contre Apple, symbole de la délocalisation du savoir-faire américain, n’ont pas cessées depuis, au contraire. Les résultats exceptionnels de la firme de Cupertino n’ont fait que renforcer la critique dans les médias américains, qui viennent de culminer dans l’édifiant reportage sur les conditions de travail des ouvriers chinois qui assemblent l’iPad et l’iPhone que viennent de livrer Charles Duhigg et David Barboza au New York Times, qui sont descendus chez l’assembleur chinois, Foxconn, qui fabrique environ 40 % des appareils électroniques vendus à l’échelle mondiale (voir la synthèse publiée par LeMonde.fr).

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Image : détournement publicitaire par Greenpeace Suisse.

Pourtant, ce n’est pas tant ce qui se passe dans ces usines chinoises – certes dramatique – que les conséquences de cette mondialisation qu’il faut observer. Selon un autre article du New York Times, Apple dispose de 43 000 employés aux Etats-Unis (bien loin des 400 000 Américains qu’employait General Motors dans les années 50, pour prendre un autre symbôle de l’industrialisation américaine d’une autre époque). A Foxconn City, 230 000 personnes travaillent à fabriquer les iPhone et les iPads. Le New York Times estime même à 700 000 personnes le nombre de personnes qui travaillent à produire les produits d’Apple dans le monde. En d’autres termes, Apple fournit 10 fois plus de travail en dehors des Etats-Unis que dans les Etats-Unis, souligne perfidement David Gewirtz pour Zdnet.

« Des histoires similaires pourraient être racontées sur presque n’importe quelle entreprise d’électronique », estiment les journalistes Charles Duhigg et Keith Bradsher. « L’externalisation est devenue commune dans des centaines d’industries, y compris les services comptables, juridiques, bancaires, la construction automobile ou pharmaceutique ». Alors que la conception est encore en grande partie américaine, la production est allée bénéficier de conditions réglementaires et tarifaires plus avantageuses ailleurs.

Bien que les Américains soient parmi parmi les travailleurs les plus instruits dans le monde, le pays a cessé de former des personnes au niveau de compétences intermédiaires, celles dont les usines ont besoin, estiment les journalistes. « Nous vendons des iPhone dans plus d’une centaine de pays », explique un cadre d’Apple sous couvert d’anonymat. « Nous n’avons pas l’obligation de résoudre les problèmes de l’Amérique. Notre seule obligation est de faire le meilleur produit possible. »

La flexibilité mondialisée

Pourtant, rappelle-le New York Times, l’avantage de la Chine n’est plus sur les coûts de production (d’autres pays sont bien moins chers). La Chine a utilisé les investissements des firmes occidentales pour innover sur ses chaînes de travail. Désormais, la qualité de la Chine c’est d’abord la rapidité, la flexibilité et le savoir-faire – et bien sûr, toujours le coût de production, lié à une dérégulation totale qui offre des conditions que les entreprises mondiales ne peuvent plus trouver dans les pays développés, semblent oublier naïvement les journalistes du New York Times. C’est la principale qualité de l’assembleur Foxconn : pouvoir réagir et servir très rapidement une commande. « La chaîne d’approvisionnement est en Chine aujourd’hui », a déclaré un autre dirigeant d’Apple. « Vous avez besoin d’un millier de joints en caoutchouc ? C’est la porte de l’usine d’à côté. Vous avez besoin d’un million de vis ? Cette usine est à un pâté de maisons. Vous avez besoin que la vis soit un petit peu différente ? Il faudra trois heures. » Aucune ville comme Foxconn n’existe aux Etats-Unis. « Quelle usine américaine peut trouver 3 000 personnes durant la nuit pour augmenter la production et les convaincre de vivre dans des dortoirs ? » Foxconn apparaît comme le symbole de la flexibilité à l’échelle hyperindustrielle, grâce à une législation du travail quasiment inexistante, devenue impossible à trouver dans les pays développés.

La Chine a fourni des ingénieurs à une échelle à laquelle les Etats-Unis n’auraient pu répondre, expliquent encore les journalistes du New York Times en guise d’exemple. Les dirigeants d’Apple avaient estimé avoir besoin d’environ 8700 ingénieurs industriels pour superviser et guider les 200 000 travailleurs à la chaîne impliqués dans la fabrication des téléphones. Les analystes de la société avaient estimé qu’il aurait fallu 9 mois pour rassembler autant d’ingénieurs qualifiés aux Etats-Unis. En Chine, il a fallu 15 jours.

Il est difficile d’estimer combien coûterait la fabrication d’iPhone aux Etats-Unis. Selon certains spécialistes, il faudrait ajouter 65 $ par téléphone pour transférer la fabrication, quand les profits d’Apple tournent plutôt autour d’une centaine de dollars par téléphone. En théorie, la construction nationale pourrait être une solution viable. Mais ces calculs demeurent abstraits. Pour que l’iPhone soit produit aux Etats-Unis, il faudrait transformer la législation et les économies nationales et mondiales, avoir accès à la fois à plus de flexibilité et plus de compétence, et moins de régulation, pour que la fabrication et l’assemblage se fasse à proximité, pour réduire encore et encore les coûts.

« La Chine est à la création de gadget ce que la Silicon Valley est à la création d’entreprise », ironise Sarah Lacy. « Les Chinois ne fabriquent pas que des produits de moindres qualités, c’est eux qui fabriquent les meilleurs produits du monde, comme ceux d’Apple ! »

L’article du New York Times conclut en esquissant les solutions à ce problème. Les dirigeants d’Apple, interpellés par le président Obama à ce sujet, avaient suggéré que le gouvernement réforme la politique des visas pour aider les entreprises américaines à embaucher des ingénieurs étrangers. D’autres avaient exhorté le président à donner aux entreprises un « congé fiscal » afin qu’ils puissent rapatrier leurs profits de l’étranger qui pourraient alors, selon eux, être utilisés pour créer du travail au pays. Steve Jobs estimait même qu’il serait possible de relocaliser une fabrication qualifiée si le gouvernement aidait à former plus d’ingénieurs… Sauf que beaucoup, aujourd’hui, ne trouvent plus d’emplois aux Etats-Unis…

Les Etats-Unis seront-ils en mesure de tirer parti des innovations de demain pour créer de l’emploi ? Durant la dernière décennie, la fabrication de semiconducteurs, le boom des énergies vertes et des technologies d’affichages ont créé des milliers d’emplois, mais si nombre de ces industries ont commencé en Amérique, une grande partie de l’emploi s’est faite à l’étranger. Est-ce vraiment pour répondre aux contraintes et à la flexibilité de production que les entreprises ont délocalisés ? Assurément, elles sont allées chercher ailleurs des conditions de production (légales, managériales, ingénioriales…) qu’elles ne trouvaient plus chez elle. Certes, les pays développés disposent encore de la création marketing et logicielle, qui ne nécessite pas les mêmes niveaux d’emplois que la fabrication… Pour combien de temps ?

Il n’y a pas d’innovation sans fabrication

Comme l’explique dans un article David Talbot de la Technology Review (intitulé « Pouvons-nous encore construire les ruptures technologiques de demain ? »), « après des décennies d’externalisation de la production dans un effort pour réduire les coûts, de nombreuses grandes entreprises ont perdu de leur expertise d’ingénierie et de tâches complexes de conception nécessaire pour produire à grande échelle les technologies plus plus innovantes ». Les chercheurs ont commencé à documenter les liens complexes entre l’innovation et la fabrication en observant comment la dégradation de l’industrie manufacturière américaine pourrait affecter l’émergence de nouvelles technologies à l’avenir. Ainsi, explique le professeur de management Willy Shih de la Harvard Business School, la perte de la capacité de production de semi-conducteurs en silicium a incontestablement freiné le développement de cellules solaires à base de silicium aux Etats-Unis.

« Nous avons appris que, sans un pied dans la fabrication, la capacité à innover est nettement compromise », explique Michael Idelchik, vice-président des technologies avancées de General Electric. Le problème avec l’externalisation de la production n’est pas seulement que vous finissez par perdre votre expertise en ingénierie, mais que « les entreprises deviennent dépendantes de l’innovation de quelqu’un d’autre pour la prochaine génération de produits ». La conséquence, dit-il, est que les chercheurs et les ingénieurs perdent leur compréhension du processus de fabrication et de ce qu’ils peuvent en faire. « Vous pouvez concevoir tout ce que vous voulez, mais si personne ne peut le fabriquer, qui s’en soucie ? »

Talbot donne l’exemple du développement récent de l’industrie des piles à combustible pour les automobiles électriques, autour de Détroit, comme un modèle d’innovation, même si le capital-risque peine à suivre et même si la décomposition en un tissu de petites entreprises ralentit les capacités de production.

En fait, ces transformations du monde de l’emploi ne touchent pas que les pays développés. Elles sont globales, précise Eric Brynjolfsson, et elles touchent autant les Etats-Unis, que les usines d’électroniques chinoise ou les services de transcription indiens. Selon le Conseil national des sciences américain, les Etats-Unis perdent des emplois de haute technologie à mesure que celles-ci déplacent leur R&D en Asie, rapporte le Wall Street Journal.

Une innovation sans emplois

Malgré les chiffres encourageants que tentent de nous faire avaler les acteurs du numérique, comme le signalait récemment Gordon Day, président de l’Institut des ingénieurs en électronique américaine, l’industrie du numérique peut générer de hauts revenus, mais elle ne parvient pas à employer beaucoup de gens. C’est là un constat qui rend les responsables politiques toujours méfiants vis-à-vis du numérique, qui ne parvient pas à tirer la reprise du marché de l’emploi, au moins parce que son essor n’est pas à la hauteur de la crise que connaissent les industries traditionnelles. C’est le constat que dressait avant lui Jeremy Rifkins dans L’âge de l’accès ou qu’il évoque dans son nouveau livre La troisième révolution industrielle. C’est celui de Brian Arthur dans « la deuxième économie ». C’est également celui d’Erik Brynjolfsson, directeur du Centre pour les affaires numériques de la Sloan School of Management du MIT, et d’Andrew McAfee dans Race Against the Machine : How the Digital Revolution Is Accelerating Innovation, Driving Productivity, and Irreversibly Transforming Employment and the Economy (La course contre la machine : comment la révolution numérique accélère l’innovation, dirige la productivité et irréversiblement transforme l’emploi et l’économie) ou encore des économistes David Autor et David Dorn dans un article intitulé « The Growth of Low Skill Service Jobs and the Polarization of the U.S. Labor Market » (La croissance des emplois de services peu qualifiés et la polarisation du marché du travail américain). Alors que la croissance économique s’accélère, la croissance des emplois ne suit pas le même rythme, tant s’en faut, explique David Talbot pour la Technology Review (voir également cet autre article intitulé « L’évolution tectonique de l’emploi »).

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Image : détournement d’une image des Luddites, qui, il y a 200 ans, s’en prenaient aux premières machines textiles, accusées de voler l’emploi des hommes.

« Bien sûr, certains aspects de l’iPhone sont uniquement américains. Le logiciel de l’appareil, par exemple ou ses campagnes marketing innovantes ont été largement créé aux États-Unis. Apple a récemment construit un centre de données de 500 millions de dollars en Caroline du Nord. Les semi-conducteurs de l’iPhone 4 et 4S sont fabriqués à Austin, au Texas, par la société de Corée du Sud Samsung. Mais ces installations ne sont pas d’énormes sources d’emplois. Le centre d’Apple en Caroline du Nord par exemple dispose seulement de 100 employés à temps plein. L’usine de Samsung embauche 2400 personnes. »

La conception logicielle et marketing pour des appareils produits à des millions d’exemplaires nécessite des investissements bien moins importants que la production et au final produit bien moins d’emplois que les processus de fabrication.

Robert Solow, prix Nobel d’économie 1987 pour ses recherches macroéconomiques sur la croissance (Wikipédia), affirme que les progrès technologiques ont toujours créé du chômage durant une période d’adaptation, mais jusqu’à présent, l’emploi a toujours fini par repartir à la hausse, suite à ces phases. Mais ce qu’expliquent Erik Brynjolfsson ou Brian Arthur, c’est qu’il pourrait ne plus en être ainsi à l’avenir. Les gains de productivité de l’économie numérique risquent de ne pas pouvoir se retrouver dans l’emploi. De 2000 à 2007, le produit intérieur brut et la productivité américains ont augmenté plus vite qu’ils ne l’avaient fait durant toutes les autres décennies depuis les années 60, alors que la croissance de l’emploi est restée relativement faible. En fait, expliquent ces auteurs, les progrès dans l’automatisation de travail liée à la robotisation et à la logicielisation des tâches, se déploient à un rythme si rapide, que les travailleurs ont du mal à s’adapter au changement.

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Image : La croissance de l’emploi aux Etats-Unis par décade, montre que malgré la croissance économique, les Etats-Unis perdent globalement de l’emploi sur la première décade du XXIe siècle. Via le bureau des statistiques du travail américain et la Technology Review.

La croissance de l’emploi est restée forte aux deux extrémités du marché : pour les postes les moins rémunérateurs (dans le domaine du service, du nettoyage, de la sécurité…) et pour les postes haut de gamme (techniciens, gestionnaires…). Pour les ouvriers, les responsables administratifs, employés de production ou les représentants de commerce, le marché du travail n’a pas augmenté aussi rapidement. Il a même parfois diminué. Depuis la récession, toutes les pertes d’emplois le sont dans des catégories de postes moyens, ceux qui sont le plus facilement remplaçables en partie ou totalement par la technologie. « Les emplois à faibles et hauts salaires ont progressé rapidement, tandis que les emplois intermédiaires – sur lesquels on compte pour soutenir une classe moyenne solide – sont restés à la traîne », estime le prix Nobel d’économie Paul Krugman. L’automatisation logicielle et robotique a progressé au détriment des emplois de la classe moyenne… Et le développement de l’économie des services n’a pas compensé l’employabilité de l’économie de la production de biens.

Le développement de la technologie devrait permettre à ces employés sur le carreau d’inventer de nouvelles façons d’être productifs, comme le montrent ceux qui utilisent les dispositifs des nouvelles technologies pour créer leurs propres emplois… « Le problème, estime Brynjolfsson, est que beaucoup de ces gens déplacés ne sont pas suffisamment éduqués ou n’ont pas assez de connaissances en technologie pour exploiter ces progrès rapides et développer des niches entrepreneuriales insoupçonnées ». Pour Brynjolfsson et McAfee, pour résoudre ce paradoxe, il faudrait appliquer ces technologies qui transforment l’économie pour la rendre plus productive à l’actualisation et l’amélioration du système éducatif.

C’est là un tout autre défi et il n’est pas sûr qu’il permette un décollage de l’emploi équivalent à ceux qui ont été perdus.

Hubert Guillaud

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  1. La volonté du réseau social d’exploiter sans entrave les données personnelles de ses membres heurte de front la nouvelle politique européenne de protection de la vie privée, estime John Naughton pour TheObserver (traduit par Courrier International). « Le discours de ces sociétés témoigne du travail de sape entrepris par Google, Facebook et compagnie contre la tentative des pouvoirs publics de limiter la liberté d’exploiter les données privées des internautes. Leur argument est le suivant: les sociétés Internet créent beaucoup d’emplois et sont bonnes pour l’économie. Les gouvernements européens feraient donc mieux de ne pas se mettre en travers de leur chemin. » Reste que la preuve qu’elles créent beaucoup d’emplois est encore à faire souligne Naughton. En effet, il revient sur le rapport de Deloitte sur le développement de l’emploi via Facebook en Europe et pointe comment le cabinet de conseil se défile face au contenu du rapport : « aucune garantie, expresse ou implicite, n’est donnée et aucune responsabilité n’est ou ne sera acceptée par ou au nom de la société Deloitte ou ses partenaires, employés, agents, ou toute autre personne, concernant la précision, l’intégrité ou l’exactitude des informations contenues dans ce document ».

    Et de conclure : « Le seul but de ce genre de rapports est d’impressionner ou d’intimider les dirigeants politiques et les autorités réglementaires, qui semblent ignorer à quel point les cabinets de consultants sont utilisés par les entreprises pour conférer une aura de respectabilité empirique à des inepties. »

  2. Article très intéressant, merci pour toutes les références citées que je n’avais pas réussi à trouver tout seul.
    Faites attention à l’orthographe, ça gâche un peu le plaisir de la lecture « Friedman à tord »–> « tort », et beaucoup de participes passés à accorder avec le bon sujet..

  3. « Têtes chercheuses de l’emploi de demain, les start-up innovantes sont en première ligne. Beaucoup annoncent des chiffres mirifiques alors que ceux fournis par le ministère de la recherche lequel orchestre chaque année le Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes sont d’une pâleur à faire frémir. Depuis 1999, près de 10 000 emplois auraient été créés alors que chaque année 50 000 emplois disparaissent dans la filière industrielle. A haute qualification et forte productivité, ce secteur est peu pourvoyeur d’emploi. Qui plus est, ces entreprises évoluent dans un secteur très concurrentiel. Dès lors tout développement n’est possible que dans le cadre d’une mondialisation consentie, diminuant par là la perspective d’un large accroissement de l’emploi national », explique « François de la chevalerie » dans une tribune au Monde.

  4. « Les cadres de Foxconn ont laissé entendre que leur objectif à long terme est de sortir complètement l’être humain de la chaîne d’assemblage. D’ici 2013, la société prévoit d’installer un million de robots dans ses usines et, à mesure que l’intelligence artificielle va se développer, elle va sans doute faire encore plus appel aux machines qu’aux travailleurs. Foxconn a même envisagé la possibilité de bâtir des usines entièrement automatisées, des endroits où des machines fabriqueraient d’autres machines sans aucune intervention humaine. »

    (…) Les efforts faits par Foxconn pour automatiser ses usines laissent penser que la manière dont sont produits les iPhone aujourd’hui ne va pas durer et que tous ces emplois dans les chaînes de production sont de toutes façons voués à disparaître. Apple ferait bien d’investir dans cet avenir. Lorsque votre iPad sera fabriqué par un robot, vous n’aurez enfin plus à vous sentir coupable de rien. »

    Farhad Manjoo pour Slate.

  5. Sur le même modèle, Steve Denning, pour Forbes, explique longuement pourquoi le Kindle ne pourrait pas être produit aux Etats-Unis. « Donc, le déclin du secteur manufacturier dans une région déclenche une réaction en chaîne. Une fois la fabrication externalisée, les processus d’ingénierie et d’expertise ne peuvent être maintenus, car ils dépendent d’interaction quotidienne avec la fabrication. » Faisant référence à l’article de Gary Pisano et Willy Shih, “Restoring American Competitiveness” (.pdf), il estime que de nombreux domaines de fabrication sont déjà perdus pour les américains. Ultime espoir ? Le Gourou de l’innovation veut le voir dans le développement de la fabrication personnelle : « De la même manière que les ordinateurs personnels ont fait de nous tous des techniciens informaticiens amateurs et des administrateurs de logiciels, la fabrication numérique a la possibilité de nous transformer tous en ingénieurs amateurs capables de redécouvrir la « joie de faire les choses ». Mais cela prendra du temps…

  6. « Steve Jobs estimait même qu’il serait possible de relocaliser une fabrication qualifiée si le gouvernement aidait à former plus d’ingénieurs… Sauf que beaucoup, aujourd’hui, ne trouvent plus d’emplois aux Etats-Unis… »
    Quelle est la source de cette information? Nous avons un mal fou à trouver des ingénieurs aux US. Je serais curieux de voir vos chiffres d’ingénieurs aux chômages aux US.