#Lift12 : Concevoir des machines empathiques

Le designer britannique Ben Bashford (@bashford) commence sa présentation (.pdf) sur la scène de Lift en nous présentant quelqu’un qui vit dans sa maison, mais avec qui il s’entend extrêmement mal. C’est son boîtier de télévision par câble. « Ca ne marche jamais ! » Son fonctionnement est trop compliqué, ça ne fait jamais ce qu’on veut, s’emporte le designer. Pourtant, si l’on en croit Byron Reeves et Clifford Nass, dans leur ouvrage The Media Equation, nos interactions avec les ordinateurs, les télévisions et les nouveaux médias devraient être aussi sociales et naturelles que celles que nous avons avec d’autres êtres humains. Nos ordinateurs devraient être conçus comme des êtres humains. Force est de constater que nous en sommes loin.

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Image : Ben Bashfort sur la scène de Lift, photographié par Ivo Näpflin pour LiftConference.

Pire, comme l’explique le programmeur Alan Cooper dans The Inmates Are Running the Asylum : Why High Tech Products Drive Us Crazy and How to Restore the Sanity (Les détenus courent à l’asile : pourquoi les produits high tech nous rendent fous et comment retrouver notre santé mentale), quand on met un processeur dans quelque chose, il arrête d’être ce qu’il était avant pour devenir un ordinateur, avec tous les défauts qu’on attribue à ce type de machine.

Pourtant, ce n’est pas forcément le cas, estime Ben Bashford en pointant vers plusieurs produits tels que Nest (vidéo), ce thermostat intelligent qui analyse le comportement des gens dans la maison et adapte la température en fonction ; Izon (vidéo) une caméra connectée directement à votre téléphone ; Nike+ Fuelband (vidéo), le bracelet pour mesurer son activité physique ; la balance Withings qui permet de suivre l’évolution de son poids ou le moniteur de sommeil Lark (vidéo) …

Tous ces produits sont des produits physiques avec des services web. Ce ne sont plus ni des ordinateurs ni des produits conventionnels. Ils se rangent désormais dans le rayon divers et c’est la plus grande catégorie d’objets à venir. Les objets deviennent quelque chose de différent de ce qu’ils étaient. Les ordinateurs eux-mêmes se transforment, ils deviennent des meubles, des capteurs, des objets… Ils sont désormais présents tout autour de nous dans tout ce qui nous entoure. Nous sommes entrés dans l’âge de l’informatique ubiquitaire qu’imaginait Mark Weiser. Les ordinateurs sont partout et s’ils deviennent plus humains, cela signifique que les gens seront partout. Les ordinateurs seront capables de nous parler comme le fait déjà Siri. Nos outils vont nous reconnaître, adapter leurs comportements en conséquence. En ajoutant une connexion réseau aux produits, on les rend différent. « Cela n’en fait pas nécessairement des robots », constate Ben Bashford, « mais je n’ai pas de nom pour exprimer ce qu’ils deviennent ».

Confrontés à ces produits, on ne se demande pas ce qu’ils font, mais comment ils le font. Ce robot de nettoyage a-t-il une personnalité plaisante ? C’est la remarque que faisait pourtant Ryan Mckenney, un utilisateur du robot nettoyeur Mint, en commentaire du produit sur le site Amazon.
Cela signifie que le designer ne doit plus concevoir un produit, mais une personnalité ! « Qui conçoit-on ? Qui est-il ? Que veut-il ? Comment ressent-il ? Que fait-il ? Comment peut-il communiquer avec les gens ? Quelle personnalité lui donner ? »… sont désormais autant de questions que nous devons nous poser.

Jusqu’à présent, pour répondre à ce défi nous avons eu tendance à utiliser l’anthropomorphisme des objets, c’est-à-dire à faire des objets à l’image de l’homme. Mais cela nous a plutôt conduit dans la vallée de l’étrange : là où les choses deviennent inquiétantes à force d’être trop réelles. Comment pouvons-nous, en tant que concepteurs, garder le contrôle sur nos personnages ? Pour répondre à cela, Ben Bashford propose le concept de « Personne viable à minimum ». C’est exactement l’inverse de la vallée de l’étrange en fait : plus la représentation est abstraite, plus on risque d’être apprécié par de nombreuses personnes, à l’image du smiley.

Mais il y a d’autres manières de créer de l’anthropomorphisme que par la représentation. Quand le Tower Bridge de Londres tweetait automatiquement, il parlait à la première personne, pour annoncer son ouverture ou sa fermeture, tout en étant un pont. « Nos objets doivent-ils se référer à eux-mêmes en disant « je » ? »

Mais il y a d’autres façons encore de cendres nos objets humains. Le mouvement est une autre façon de rendre les choses humaines, comme la lampe Pixar. La lumière, comme celle qui bat sur le Mac Book Pro d’Apple, montre que la machine ne semble jamais morte.

« Le meilleur ordinateur est un calme et invisible serviteur », disait Mark Weiser. Plus vous pouvez agir par intuition, plus vous êtes intelligents, disait-il encore. « L’ordinateur doit étendre nos inconscients. La technologie doit créer du calme. » A l’image de l’informatique ambiante, qui communique peu d’information pour signaler son existence dans notre environnement périphérique. « Nos plantes par exemple, sont des dispositifs ambiants. On ne les remarque pas, pourtant elles sont là. Elles font quelque chose d’intéressant. Plus on les assemble, et plus notre environnement devient calme, à la manière d’un jardin luxuriant. Pourrions-nous demain utiliser l’information de cette façon, l’assembler pour faire apparaître une multitude d’informations, pareille à un jardin, sans qu’elle ne nous agresse ? », interroge le designer.

Défions-nous du skeuomorphism, prévient le designer. Le « skeuomorphisme » consiste à conserver des éléments ou une structure qui caractérisait une technologie dans un état antérieur, dans ses formes nouvelles. Comme c’est le cas du livre numérique qui signe le livre papier ou les rivets de nos jeans devenus inutiles. Le skeuomorphisme consiste à utiliser de vieilles fonctionnalités pour que les gens soient plus à l’aise avec de nouvelles propositions technologiques. Et Ben Bashford d’en appeler à faire confiance aux gens pour gérer le changement. Il nous faut chercher de nouvelles esthétiques, de nouveaux utilisateurs. Si nous souhaitons trouver d’autres fonctions, ces propriétés devraient provenir de la nature des matériaux que nous utilisons eux-mêmes. Cela nécessite une certaine empathie envers la technologie, pour inventer de nouveaux espaces de design pour les machines, afin qu’ils puissent être utilisés tant par des humains que des machines, tant par des personnes non humaines que par des personnes humaines… La manière dont les choses communiquent est également importante, afin d’éviter que les machines ne communiquent dans notre dos. Il est nécessaire de faire de belles coutures, plutôt que de chercher à les faire disparaître (faisant référence au « sans couture », qui fait que l’utilisateur ne devrait pas se rendre compte d’un passage technique à un autre, comme, quand avec son téléphone mobile, il passe d’une borne émettrice à une autre). Il nous faut créer des joints entre les systèmes, assène le designer. « Le but de la conception n’est pas de nous faire oublier que nous sommes confrontés à des machines, mais de faire en sorte que nous n’ayons plus besoin de le remarquer..

Avec nos amis, nous cherchons à atteindre une compréhension mutuelle, une empathie sans mots. C’est sur ce modèle que nous devons imaginer une véritable empathie avec les machines. Les machines avec lesquelles nous serons capables de sympathiser sont celles avec lesquelles nous aurons une utilisation la plus « confortable » possible. « L’important n’est pas tant que les machines sympathisent avec nous, qu’elles deviennent nos amis, mais que nous nous sympathisions avec elles. »

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. «…nos interactions avec les ordinateurs, les télévisions et les nouveaux médias devraient être aussi sociales et naturelles que celles que nous avons avec d’autres êtres humains.»

    Prenez-vous réellement les ordinateurs pour des êtres humains?

    😉