Les nouvelles formes du travail sont-elles solubles dans le management ?

Les nouvelles formes du travail (travail mobile, travail à distance, travail collaboratif…) peinent à se développer en France, estime Xavier de Mazenod (@xm), responsable de l’agence Adverbe et animateur de ZeVillage, un réseau social qui interroge les nouvelles formes du travail. Malgré l’enthousiasme des salariés pour un travail qui s’adapte à leurs modes de vies, ces nouvelles formes achoppent sur la difficulté du management à remettre en question les principes qui le fondent : la compétition, le caporalisme, la hiérarchie, le cloisonnement… Alors, oui, « à quand la révolution du management ? »

Les réactions de peur dans le débat posé par Newsring sur la généralisation du télétravail sont très éclairantes sur la manière binaire d’aborder le sujet. On met toujours en cause l’efficacité du travail à distance et le risque de l’atomisation de l’entreprise.

Ces peurs, ce retard culturel expliquent en partie un certain retard du développement du télétravail en France. La mayonnaise semble ne pas prendre.

Pire, les entreprises sont peu intéressées voire hostiles.

Côté syndicats, l’hostilité à priori a disparu. A part quelques réticences comme à la CGT-Education, beaucoup de confédérations ont bien compris que le télétravail était moins une idée de patron avide d’économies qu’un élément de bien-être des salariés. Comme la section syndicale CFTC des agents du ministère des affaires étrangères qui reproche même à leur employeur d’être un peu mou sur le sujet ou encore celle-ci ou celle-là dans le milieu des nouvelles technologies qui réclament une expérimentation du télétravail dans l’entreprise.

Nous sommes tous des coworkers nomades !

Et si le retard français n’était qu’apparent et cachait une autre réalité ? Et si le télétravail était une grille d’analyse qui ne rende pas compte de la révolution des usages déjà entamée  ?

Les entreprises traînent des pieds pour télétravailler mais les salariés y sont largement favorables. Selon une étude publiée par Citrix (fournisseur de solutions de réunions à distance) en février 2012, “87 % des collaborateurs interrogés estiment que le télétravail permet d’être autant, voire plus productif”. Pire, “56,2 % des salariés déclarent ne pas avoir la possibilité de télétravailler”.

Autant d’exemples qui montrent bien le décalage entre les aspirations des salariés et celles des entreprises.

Or, les usages sont en marche. Combien de cadres sont déjà des télétravailleurs occasionnels, pour terminer un rapport à la maison ? Combien de mamans restent le mercredi chez elles pour travailler et se rapprocher de leurs enfants ? Un télétravail « gris », non encadré par un avenant au contrat de travail ni par un accord d’entreprise. Mais qui existe pourtant.

Un phénomène qui expliquerait pourquoi les bureaux sont inoccupés à près de 45 % dans les entreprises. Entre les travailleurs mobiles et les vrais-faux télétravailleurs, le bureau n’est plus le seul lieu de travail.

Quant aux travailleurs indépendants, ils pratiquent déjà massivement le travail à distance sans avoir l’appellation de « télétravailleur » réservée aux seuls salariés depuis l’Accord national interprofessionnel de 2005.

Les comportements changent, les demandes évoluent, les outils, les réseaux et les infrastructures rendent possibles de nouvelles formes de travail et bouleversent les anciennes.

Comme l’explique Matthieu Scherrer, rédacteur en chef de Management qui consacrait un dossier au sujet dans son numéro de février 2012, « le travail n’est plus un lieu où l’on se rend mais quelque chose que l’on fait, peu importe le lieu et le moment ».

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Image : La Mutinerie, nouveau lieu de coworking ouvert à Paris, photographiée par Ophelia Noor pour Owni qui lui consacre un article.

La frontière entre vie professionnelle et vie privée est devenue floue. On travaille, selon ses besoins, chez soi ou dans un tiers-lieu (télécentre, espace de coworking) mais aussi en mobilité, en déplacement dans le train, dans un aéroport, dans un hôtel ou dans un café confortable équipé de Wi-Fi (sur ce thème de la désynchronisation du travail, voir le compte-rendu du colloque Demain le travail mobile (.pdf) organisé par Chronos et Actipole 21. Ces modes de travail, ne demandent qu’à se populariser, à être formalisés dans les entreprises pour le plus grand bénéfice de tous.

A quand la révolution du management ?

C’est bien de l’organisation du travail et de nos choix de vie dont il est question. Ils changent en profondeur et le déploiement des technologies accélère cette mutation.

Mais les entreprises (et les administrations) sont toujours largement structurées comme au XIXe siècle : on doit se déplacer vers le travail avec les pertes de temps, les coûts et le stress que cela engendre. Et là où il faudrait de la souplesse et de la flexibilité aux organisations pour s’adapter aux aspirations des salariés, on vit toujours sur un mode hiérachique trop raide et trop cloisonné.

Pas étonnant que les cadres, notamment intermédiaires, aient peur, soient tiraillés entre des structures du passé et une organisation d’avenir : ils se sentent perdus. Pas étonnant qu’il soit difficile de convaincre son manager ou son patron de télétravailler.

Que peuvent faire les organisations pour se réformer ? Lâcher prise et essayer de comprendre, au sens littéral, l’évolution des modes de vie et l’appétit de liberté et d’autonomie des salariés.

Pour clarifier le débat, il faudrait aussi en finir avec les fausses oppositions. Entre mobilité (travail en déplacement), télétravail (travail à distance) et coworking (travail ensemble) qui sont les facettes d’une même mutation, et entre salarié et non salarié puisque le désir d’indépendance est fort si l’on en croit le succès de l’autoentrepreneuriat et plus encore du renouveau du statut d’indépendant.

Le secret de cette transformation des organisations réside probablement dans le développement du “management par la confiance”.

Dans un séminaire récent sur les « utopies managériales », les entrepreneurs brésilien Ricardo Semler (Semco) et français Michel Hervé (Hervé thermique) estimaient :

« qu’une organisation du travail fondée sur la méfiance a priori favorisera l’émergence d’un type humain conforme au soupçon initial et dont il convient effectivement de se méfier, tandis qu’une organisation du travail fondée sur la confiance a priori verra se multiplier les salariés responsables, autonomes et proactifs, à la hauteur des espérances mises en eux. »

Une analyse corrélée par l’étude du Centre d’analyse stratégique de 2009 qui a comparé la situation de plusieurs pays de l’OCDE  : les pays qui managent par la confiance sont aussi ceux qui comptent le plus de télétravailleurs.

Aujourd’hui, nous sommes tous des télétravailleurs-coworkers-nomades. Bien au-delà des quelques laboratoires avant-gardistes où se pratiquent officiellement ces formes de travail. Pour que la mutation soit complète, nous avons juste besoin d’adapter nos organisations et d’apprendre à maîtriser les outils. Vaste programme qui, à nouveau, est tout sauf technique.

Xavier de Mazenod

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0 commentaires

  1. Je ne peux que recommander à tous ceux que ce sujet intéresse et interroge, de lire le récent ouvrage de A.Zylberberg, P. Cahuc et Y.Algan « La Fabrique de la défiance ». La particularité française y est bien décryptée.

    Et comme le disait hier Pierre Rosanvallon lors du Colloque fêtant les 15 ans d’existance de l’ODC de la CFDT : nos écoles (de commerce) forment des dirigeants, pas des managers. Voilà une autre vérité que l’on néglige trop souvent car ce ne sont pas les mêmes métiers et encore moins les mêms rôles dans une organisation.

    Nicole

  2. Ils ne faut pas oublier les handicapés physiques et les pathologies psychiques pour qui la contrainte sociale est insurmontable…

  3. @Gilbert : Je ne les oublie pas. e télétravail est en effet une solution pour donner l’accès au travail à des personnes handicapées ou malades qui ne peuvent pas se rendre sur le lieu de travail, ou qui ne peuvent pas supporter un collectif de travail.

    Sur ce sujet, regardez l’interview-vidéo du directeur du Fonds d’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique : http://bit.ly/o2KsEV

  4. A lire ce sujet, je me demande si on ne pourrait pas introduire également, au-delà et de façon complémentaire à la question de la confiance/défiance, celle de l’aspect « capriciel » de l’univers travail : caprices du fantasme « temps réel », le tout tout de suite : il faut être capable de montrer (en interne, au client, à soi-me^me) qu’on en a sous le capot, qu’on peut actionner de la RH au pied levé et en grande pompe. Parfois c’est justifié. Mais combien de fausses urgences obligent chaque jour des millions de personnes à refaire plusieurs fois leur travail ? Parce que c’était « pour il y a une heure » ?
    Le temps perdu à se « rendre au travail » (…) l’est malheureusement souvent au carré : on perd son temps en déplacements, mais on perd surtout beaucoup de temps sur place dans un idle time – pour prendre une analogie informatique. On sait très bien que le rendement productif n’est pas constant, petites et grandes organisations confondues, mais réponds en pic à divers signaux.
    Donc au delà du problème de confiance dans le fait que le travail puisse être fait, il me semble qu’à distance il devient difficile pour un manager de débouler au bureau d’un collaborateur pour lui imposer d’interrompre séance tenante ses activités en cours, parce que telle « urgence ».
    Et donc il faudrait trier les fausses urgences (mais alors on va devoir remettre en cause certaines lacunes des compétences management, et pire peut-être, leur ego), des vrais (mais alors il faudrait que les salariés soient en mesure d’en prendre la mesure, eux aussi).

  5. Je souhaitais réagir au commentaire de Madame Nicole Turbé-Suetens que je suis avec intérêt. Je suis enseignant chercheur dans une grande école de commerce et j’ai notamment un cours intitulé « management d’équipe projet » au cours duquel j’amène progressivement les étudiants à travailler à distance puis à manager à distance. Cela n’est pas évident pour eux – qui sont pourtant de la génération Y – mais une fois qu’ils ont expérimentés la classe virtuelle, ils en redemandent : plus de concentration, plus agréable, plus efficace selon eux. Je n’en fais pas un absolu, mais je suis convaincu que notre rôle d’enseignant en école de commerce est au contraire de préparer les étudiants à être capable d’adapter par eux-mêmes leur façon de manager pour qu’ils soient prêts à répondre aux nouvelles formes d’organisation du travail que nous ne connaissons pas encore aujourd’hui.
    Par ailleurs, je parlerai davantage de leadership en la matière plutôt que de management. Car, comme vous le notez, le travail est d’abord une question de relation de confiance avec l’équipe concernée.