Open Data (1/4) : Où en est-on ?

Claire Gallon de LiberTIC, l’association nantaise de promotion de l’ouverture des données publiques (@LiberTIC), et Charles Nepote du programme Réutilisation des données publiques de la Fondation internet nouvelle génération (Fing) (@CharlesNepote, @la_fing), principaux coorganisateurs de la Semaine européenne de l’Open Data qui avait lieu à Nantes du 21 au 26 mai 2012, ont commencé par poser un état des lieux assez complet du mouvement de réutilisation des données publiques.

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Ce que l’Open Data a réalisé

Le mouvement pour la réutilisation des données publiques est un mouvement mondial né début 2009 et qui a connu une forte accélération en 2010-2011, estime Charles Nepote. Si le mouvement a été esquissé par la liste des 8 principes pour un gouvernement ouvert en décembre 2007, qui a initié et cristallisé une dynamique auprès de multiples acteurs associatifs, il est devenu un principe avec l’investiture de Barack Obama et le lancement en mars 2009 du projet Data.gov (voir l’historique retracé par Wikipédia ou celui de Simon Chignard sur son blog : « Comment l’Open Data est devenu un objet politique »).

Aujourd’hui, dans le monde, une quinzaine d’Etats et une cinquantaine de communautés urbaines (sans compter les villes du Royaume-Uni, où une centaine de communautés urbaines se sont lancées dans la libération de données sous l’impulsion du gouvernement britannique) parmi les plus importantes villes américaines sont impliquées. PublicData.eu recense quelques 215 initiatives d’acteurs publics en Europe, que ce soit au niveau national (Belgique, Finlande, Suède, Norvège, Espagne, Grèce, France, Royaume-Uni…) ou régional.

En France, c’est Kéolis et Rennes Métropole qui ont lancé la première initiative en 2010 avec l’entrepôt de données de Rennes Métropole, rejoint par d’autres initiatives régionales et territoriales (dont les plates-formes Open Data de Paris, de la Saône-et-Loire, de la Loire Atlantique, du Loir-et-Cher, de la Gironde, de la Communauté urbaine de Bordeaux, du Grand Toulouse, de Nantes, Montpellier … voire la carte des initiatives d’ouverture des données publiques établie par LiberTIC), puis par le lancement fin 2011 d’EtatLab puis du portail Data.gouv.fr, l’initiative portée par l’Etat. En 2 ans, le paysage juridique s’est simplifié, comme le soulignait Regards Citoyens il y a quelques mois. L’essentiel des jeux de données convergent autour de deux licences : l’Open Database License(ODLB) et la Licence ouverte (.pdf). L’initiative Open Data va-t-elle être portée plus avant par son inscription dans la charte de déontologie du gouvernement Ayrault ?

Carte France Open Data V4  Flickr - Photo Sharing! - Google Chrome
Image : la carte de France de l’Open Data maintenue par LiberTIC, version 4, mise à jour janvier 2012.

Pourtant « si le mouvement commence à se structurer, force est de reconnaître que nous en sommes encore au temps des pionniers », souligne Charles Nepote. Si on observe la carte de France des initiatives d’ouverture des données publiques maintenues par LiberTIC, on constate que de plus en plus de collectivités s’engagent à différents niveaux de territorialité dans le domaine de la publication de données réutilisables. D’ici 18 mois, 11 villes sur les 15 plus grandes villes de France auront ouvert leurs données. Régions, conseils généraux, villes et agglomérations, mais également prestataires de services des villes (comme Suez Environnement) ou sociétés privées (le portail Open Data de la SNCF par exemple) ont rejoint le mouvement, sans compter le rôle moteur d’associations citoyennes qui organisent la coproduction des données comme Open Street Map ou Regards Citoyens. Pas moins de 8 mouvements citoyens locaux de réutilisation de données ont déjà vu le jour (c’est-à-dire initiés par des associations de citoyens et non pas par l’acteur public), comme Open Data 69 ou le collectif Open Data de Touraine. « La France a rattrapé son retard au démarrage », estime encore Charles Nepote. Hors la libération de données par l’Etat, on a plus de 800 jeux de données ouvertes par les acteurs territoriaux qui ont permis de produire plus de 200 applications…

Les défis à venir de l’Open Data

Reste que ces premiers chiffres passés, l’approche de l’Open Data demeure encore très technique, très geek. L’une des grandes questions que se posent les animateurs du mouvement, c’est comment toucher le grand public, comment élargir la dynamique à d’autres acteurs qu’à des gens impliqués dans la publication et la réutilisation des données. Le mouvement n’a pas réussi notamment à toucher les acteurs traditionnels de l’économie sociale et solidaire ou de la démocratie participative.

Néanmoins, l’Open Data n’a pas produit que des jeux de données. Il a montré tout d’abord que le sujet était un levier interne de modernisation pour les acteurs publics. Recenser les données, rationaliser les systèmes d’information, aider au décloisonnement des services, élargir la culture de la donnée (en en faisant un outil de monitoring, de pilotage de la décision publique), améliorer la qualité des données et surtout introduire de nouvelles dynamiques de dialogues avec les usagers, se sont vites montrées comme des enjeux certainement encore plus essentiels que la libération des données elles-mêmes. Elle permet d’initier de nouvelles relations à l’information et plus encore elle est un moyen de nouer une nouvelle forme de dialogue entre les administrations et leurs publics.

L’Open Data a aussi permis de forger des partenariats entre acteurs du territoire. Il a permis également de développer de nouveaux services, même si le marché est encore fragile et balbutiant. Charles Nepote s’étonne néanmoins qu’aucun acteur public n’ait publié son catalogue de données (incluant les données non encore publiées). Sans cet outil, comment connaître l’offre de données potentielle ? C’est pourtant à ses yeux ce qui permettrait de mieux dialoguer avec les potentiels réutilisateurs, si essentiels à l’élargissement de cette démarche. Il s’étonne également de l’obsession des applications. Pourquoi être aussi obnubilé par le développement d’applications ? « On aimerait voir plus de diversités dans les modalités d’usages » explique-t-il. A quand des dispositifs urbains ou hybrides, des services qui publient par e-mails plus que via des applications pour smartphone… Les méthodologies d’animation souffrent également de l’obsession du concours, alors qu’elles mériteraient d’être ouvertes à un peu plus de créativité (« cartoparties » permettant de cartographier ou documenter le territoire de données, approche de type « résidence » pour accompagner des publics spécifiques avec des spécialistes du sujet, etc.). Enfin, la question de l’éthique des données est une question qui est presque absente du débat, alors qu’elle est une question primordiale.

Pérenniser, généraliser et banaliser les pratiques de l’Open Data comme levier de développement des territoires et des organisations est encore un enjeu à atteindre. Standardiser, mutualiser et harmoniser les initiatives également. Il n’est pas si simple de développer la coproduction et les usages sur ce sujet qui parait à tous bien technique. Pour tous, la clef repose dans l’animation. Car c’est par l’animation qu’on développera l’appropriation des données par le plus grand nombre, qu’on dépassera le public de geeks auquel les données s’adressent pour le moment. Car le risque est là, que le petit milieu de l’Open Data finisse par ressembler à celui des acteurs de la concertation publique : un microcosme qui évolue le plus souvent en vase clos. L’Open Data a besoin de systématiser et structurer le dialogue entre acteurs, de porter une attention particulière aux acteurs historiques de la médiation et de la concertation par lesquels le sujet peut s’élargir. Et certainement de développer la pédagogie de la culture des données.

Le chemin parcouru en deux ans a été considérable conclut Charles Népote pour remonter le moral des troupes. « Dans de nombreux territoires, un vrai dialogue s’est instauré entre l’acteur public et un petit cercle de développeurs et de réutilisateurs. La tension qui était présente quand on évoquait ce nécessaire dialogue avant le lancement des initiatives a partout disparu. Le dialogue a montré ses vertus. Reste à l’élargir. »

En effet. Les données ont été un moyen pour faire discuter l’acteur public avec des acteurs auquel il ne parlait pas nécessairement. Réussira-t-on à étendre ce dialogue constructif à d’autres objets que les données ? Peut-on étendre le dialogue à d’autres publics que les seuls développeurs ? L’acteur public doit-il élargir le champ des données à mettre en dialogue avec la société et mieux coproduire les données avec les citoyens ? Les données semblent être un prétexte pour interroger la transformation de l’acteur public et la façon de faire société. Reste à savoir si le plus petit morceau de technologie que sont les données est le bon levier ? Suffira-t-il pour pérenniser les actions engagées ?

Le risque existe que le mouvement s’enferme dans des questions techniques, jouant de données toujours plus particulières ou complexes, peut préhensiles par le grand public. La libération de données budgétaires par exemple, s’il porte un enjeu de transparence publique, demeure un objet très technique, difficilement utilisable par le grand public. Il y a une exigence de libération de données toujours plus variées et de cocréation de données plus accessibles. Il y a certainement un enjeu dans la question de publication d’autres jeux de données, comme les données personnelles que l’administration dispose sur chacun de nous ou la coproduction de données utiles à tous. Et pour cela, le plus important, est incontestatblement de continuer et élargir le dialogue engagé avec les utilisateurs.

Hubert Guillaud

Retrouvez notre dossier réalisé à l’occasion de la semaine européenne de l’Open Data :

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0 commentaires

  1. Sujet passionnant pour beaucoup de raisons, j’attends les 3 prochains épisodes avec impatience.
    Ravi de voir que la quesiton de « l’offre » et de sa difficile appréhension commence à émerger, car elle me semble être un angle mort de beaucoup de ceux qui voient dans les données publiques (les data en général à vrai dire), une nouvelle sorte de pierres précieuses qui seraient disponibles en l’état, dans des gisements bien cachés et qu’il suffirait de « libérer ».
    On trouve dans ces discours une forme de néo-positivisme qui est d’autant plus troublant qu’il est ici porté par le « bon côté » de la force : des citoyens, des citadins et/ou des innovateurs qui veulent améliorer le fonctionnement démocratique au sens large, et non des managers ou gestionnaires cyniques qui veulent renforcer les moyens de contrôle par des indicateurs automatiques (des data) fort discutables et fort discutés.
    Il y a un vrai danger à laisser croire que les collectivités, les institutions publiques ont des données toutes prêtes (ce mythe de la donnée « brute ») qui constitueraient une « offre ».
    La sociologie et l’histoirte des sciences et des techniques ont montré depuis lontemgps que les données se fabriquaient. Et ça n’est pas une critique de leur valeur, bien au contraire. Les données sont toujours adressées, elles répondent à des questions, équipent des activités précises. Dans de nombreux domaines, beaucoup de choses ont déjà été accomplies et étudiées en termes de partage de données : génomqiue, biomédecine, astronomie, etc. Les travaux qui ont analysé ces processus (Bowker et Star en sont les auteurs les plus connus) ont bien montré que les données à chaque fois devaient être bricolées en concertation et finalement réinventées pour instaurer une infrastructure solide et efficace.

    Libérées telles qu’elles les données existantes (quand elles figurent sous cette forme et non sous la forme de savoirs tacites reposant sur des échanges quotidiens) n’auraient pas grand sens.
    Il ne faut donc pas les libérer, sonder une offre externe aux citoyens, mais les fabriquer, les produire, et dans l’idéal sans aucun doute les co-produire. Définir à plusieurs — et pas seulement dans les DSI institutionnelles — les problèmes auxquelles elles doivent permettre de répondre, les formats qu’elles doivent prendre, les catégories dans lesquelles elles doivent se distribuer, etc.
    C’est le travail que font des acteurs comme Liber-TIC, mais, me semble-t-il sans assumer complètement les conséquences de l’exercice sur la définition de ce qu’on appelle des données. Ce n’est sans doute pas le rôle des acteurs du mouvement que de poser ces questions un peu métaphysiques, mais il y a un enjeu fort, du côté des chercheurs, à prendre en considération ce travail, souvent invisible, au risque sinon d’accompagner des changements discutables du côté des conditions de travail dans les institutions elles-mêmes et une floraison de jeux de données produites les yeux fermés, à la va-vite, sans grand intérêt ni pour ceux qui les font circuler, ni pour ceux qui s’en saisissent.

  2. Je ne pense pas qu’il n’y ait que le risque que ce mouvement s’enferme dans des questions techniques peu compréhensibles par nous tous citoyens, il existe aussi et surtout des risques de « too much » transparence qui ne laisserait plus de marge de manoeuvre aux administrations publiques, avec la volonté de chaque citoyen de donner son avis (et dieu sait que ces avis sont divergents!), limitant ainsi leur efficacité!
    En même temps, il y a aussi des risques liés à la vie privée (où est vraiment la barrière entre données publiques et données personnelles?) et des questions se posent encore sur la fiabilité de ces données et le problème de « marchandisation »…
    L’Open Data doit donc encore faire face à de nombreux risques…
    Cet article sur ce sujet est d’ailleurs plutôt intéressant http://123opendata.com/blog/open-data-liberalisation-donnees-risque/