Réutilisation des données personnelles (1/4) : Rendre leurs données aux utilisateurs

A l’occasion d’un voyage d’études organisé par la Fing dans le cadre de son projet MesInfos, nous avons rencontré des acteurs du projet britannique MiData. Dans le même esprit que MesInfos, le projet MiData engage plusieurs grandes organisations vers le partage des données personnelles entre les organisations et les individus que ces données concernent. La baseline de ces deux projets pourrait être la même : « Si vous savez quelque chose sur moi, alors je dois le savoir aussi et faire ce que je veux de cette information ».

D’où vient exactement ce projet ambitieux ? Pourquoi s’engager ainsi sur cette voie de la réutilisation des données personnelles ? Quels en sont les grands enjeux ? Comment pense-t-on concrètement opérer ce changement ?

Les données personnelles sont l’avenir des données publiques

En quelques mois, les gouvernements britanniques et américains sont passés, sur leurs feuilles de route – voir notamment celle pour le gouvernement numérique que vient de publier la Maison Blanche -, du sujet de l’Open Data (qui n’est pas clos, tant s’en faut) à celui des données personnelles. Qu’est-ce qui explique ce glissement ?

Pour David Eaves (@daeaves), les données ouvertes de prochaine génération sont les données personnelles : « Il s’agit d’un tout nouveau type de données ouvertes. Ouvertes non pas au public, mais à la personne à laquelle appartiennent vraiment les données (…). L’opportunité est importante. Non seulement cela pourrait révolutionner l’accès des citoyens à leur propre santé ou à leur consommation d’énergie, mais cela pourrait permettre aussi de réduire les coûts de partage des dossiers de santé, qui à leur tour pourrait créer des économies pour l’industrie dans son ensemble. »

En fait, estime Tim O’Reilly (@timoreilly) dans une présentation consacrée à ce sujet, lorsque les données publiques sont libérées pour s’adapter à chacun, elles deviennent alors vraiment un bien public au sens économique le plus large. La thèse derrière la « divulgation personnelle des données », c’est que lorsque les consommateurs auront accès à leurs données personnelles et que le marché aura créé de nouveaux outils pour les mettre en œuvre, les citoyens seront habilités à faire des choix économiques, d’éducation et de mode de vie qui leur permettront de mieux vivre.

La réutilisation des données personnelles est donc la continuité et la conséquence de l’ouverture et de la réutilisation des données publiques. Elle consiste à les adapter à chacun. Elle consiste à les élargir par des données qui ne sont pas nécessairement publiques, mais qui, légitimement, appartiennent aux utilisateurs ou les concernent. Elle vise à fournir un service plus personnalisé et donc au final plus adapté aux besoins de chacun. Elle promeut un renversement de la relation de l’utilisateur aux données collectées sur lui, à la fois dans un but d’autonomisation des individus, de fluidification et d’amélioration de la relation, et dans un but de stimulation économique. C’est en cela qu’il faut entendre les initiatives MyData américaine ou MiData britannique, comme un prolongement des initiatives Open Data initiées préalablement.

Des outils au service de l’autonomisation des individus et de l’innovation des entreprises

Le projet britannique MiData, annoncé en avril 2011, qui consiste à renverser la relation consommateur, a été officiellement lancé à l’automne 2011, avec l’objectif d’amener plusieurs grosses organisations à partager les données personnelles qu’elles détiennent avec les clients que ces données concernent, et ce, afin que ces derniers puissent également en tirer des bénéfices.

La restitution des données personnelles aux individus est aussi une préoccupation partagée par d’autres gouvernements. 2011 a été l’occasion pour le gouvernement des Etats-Unis de publier un mémorandum intitulé Smart Disclosure (.pdf) (la divulgation – de données – intelligente), appelant à la diffusion de l’information vers les citoyens. Comme l’explique Alex Howard pour O’Reilly Radar (@digiphile, @radar), la divulgation intelligente, c’est « quand une compagnie privée ou un organisme gouvernemental permet à une personne d’accéder périodiquement à ses propres données dans des formats ouverts lui permettant de facilement les utiliser ». Et ce, prioritairement dans le domaine de la finance personnelle, de la santé et de l’énergie (même si cela n’est pas appelé à se limiter à ces secteurs). Elle consiste à développer de nouveaux outils afin que “les données qu’on rend publiques puissent aider les gens à faire de meilleurs choix de santé, à aider les petites entreprises à innover, à aider les scientifiques à réaliser de nouvelles percées », expliquait le président Obama. « Nous souhaitons faire une meilleure promotion de l’information gouvernementale en responsabilisant les citoyens par de nouvelles façons de participer à leur démocratie. (…) Nous souhaitons libérer plus de données dans des formats réutilisables sur la santé, la sécurité et l’environnement parce que l’information c’est le pouvoir. Notre rôle est d’aider les gens à prendre des décisions éclairées et les entrepreneurs à transformer les données en de nouveaux produits pour créer des emplois. »

Dans cette logique, plusieurs outils ont été mis en place par le gouvernement américain. Un Blue Button permettant aux vétérans de l’armée américaine d’accéder et de télécharger leurs données de santé. Un Green Button (@greenbuttondata) permettant à chacun de télécharger des informations sur ses données énergétiques provenant de son fournisseur d’électricité. Et d’ici la fin de l’année, le département américain de l’éducation devrait mettre en place un Purple Button pour permettre de télécharger les données scolaires.

Green Button
Image : Page d’accueil du site Green Button permettant aux Américains de télécharger leurs données énergétiques provenant de leurs fournisseurs d’électricité.

Une des versions les plus puissantes de la divulgation de données, estime Alex Howard, porte sur les données (produits ou services, incluant les tarifs, les algorithmes, la qualité et les fonctionnalités) qui combinées aux données personnelles (historique du client…) permettent d’accéder à des “moteurs de choix » (moteur de recherche, cartes interactives, applications mobiles…) et permettent aux consommateurs de prendre de meilleures décisions en contexte, que cela concerne un achat ou une décision contractuelle. Il y a quatre grandes catégories où cela s’applique, estime encore Alex Howard :

  • Quand le gouvernement publie des données sur des produits ou des services. Par exemple, quand le département de la santé publie des données sur la qualité des hôpitaux ou celui sur l’éducation publie des informations sur plus de 7000 institutions éducatives.
  • Quand le gouvernement publie des données personnelles sur des citoyens, comme c’est le cas du Blue Button ou comme c’est le cas de BrightScope, un site d’information qui s’appuie sur des données ouvertes pour permettre de mieux comprendre les relations entre entreprises et investisseurs dans le domaine de la gestion du patrimoine et des plans de retraite.
  • Quand une entreprise privée diffuse des informations sur des produits ou services dans des formats lisibles par les machines. D’autres entreprises peuvent ensuite utiliser ces données pour permettre aux consommateurs de s’autonomiser, comme c’est le cas avec Billshrink ou HelloWallet qui permettent à chacun d’améliorer ses décisions de recherche de crédits à la consommation.
  • Quand une société privée publie des données personnelles sur les usages de ses clients, comme c’est le cas des fournisseurs d’électricité dans le cas de l’initiative Green Button ou quand les banques permettent à leurs clients de télécharger leurs historiques de transaction dans des formats lisibles par des machines pour les transférer sur Mint ou d’autres services financiers similaires.

L’initiative américaine est assez pragmatique. Elle implique les services fédéraux vers des objectifs très concrets et s’appuie sur un écosystème de startups et d’organisations non gouvernementales qui permettent de montrer très concrètement les enjeux et objectifs du projet.

L’économie comportementale et les fonctionnalités sociales au coeur des dispositifs

Depuis l’annonce, le gouvernement américain a mis en place un groupe de travail dédié à la mise en oeuvre de cette politique menée par Case Sunstein (Wikipédia), le spécialiste de l’économie comportementale qui voit dans la “divulgation intelligente » un moyen pour armer les consommateurs, c’est-à-dire « faire en sorte que les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et soient en mesure de comparer les options ».

L’initiative britannique MiData n’est pas aussi avancée que l’initiative américaine – déjà en partie opérationnelle. Elle s’inscrit pourtant également dans une stratégie visant « l’autonomisation du consommateur », rappelle Kristin Green, qui pilote cette stratégie au sein du Département pour l’innovation et les compétences du monde des affaires (BIS). Il s’agit là aussi de donner aux consommateurs l’information et les outils dont ils ont besoin pour prendre de meilleures décisions et payer moins cher au quotidien.

L’initiative est partie d’un constat : aujourd’hui, les organisations gardent jalousement l’information qu’elles possèdent à propos des consommateurs. Tout comme l’initiative américaine, elle s’appuie sur les bases établies par l’économie comportementale. L’idée est de permettre aux consommateurs d’agir comme des « agents économiques rationnels » dans leur relation avec les organisations, explique Rory Gallagher du Cabinet Office, autre département qui copilote le projet.

Cette vision très rationnelle (et également très individuelle) de la relation de l’individu à sa consommation et aux institutions publiques pose néanmoins question. Est-elle suffisante pour motiver des changements de comportements ? Comme l’expliquaient Richard Thaler et Case Sustein dans leur livre, Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision ou Jonah Lehrer dans Faire le bon choix : Comment notre cerveau prend ses décisions : la rationalité est loin d’être toujours notre meilleur guide. Nous ne sommes pas des agents économiques rationnels et faire des économies même (voir plus encore) quand on en a besoin n’est pas toujours notre priorité. Enfin, ces visions laissent aussi les individus assez isolés dans les choix qui sont les leurs. Certes, ils peuvent récupérer leurs données, mais s’ils demeurent isolés face aux services leur permettant de les réexploiter, est-ce que cela sera suffisant pour qu’ils se les réapproprient ?

Derrière la libération des données personnelles, l’enjeu, comme l’expliquait Sean Park pour la finance lors de la dernière conférence Lift, est bien de développer des plateformes de partages de ces données personnelles qui introduisent des fonctionnalités sociales tout en préservant la confidentialité des données. Et c’est certainement à ce jour dans le monde financier qu’on trouve le plus d’outils communautaires de ce type. Mais ce ne sera à terme pas le seul : l’éducation, l’énergie, la santé sont autant de secteurs où les plateformes communautaires d’exploitation de données sont appelées à exploser sous l’afflux de données dont il faudra extraire du sens. Car, comme le soulignait récemment Henri Verdier, les gens sont prêts à échanger leurs données contre un service qu’ils estiment valable. Reste que dans le champ de la réutilisation des données personnelles, pour beaucoup, ils sont encore à faire naître.

Hubert Guillaud, Marine Albarede

Retrouvez notre dossier « Réutilisation des données personnelles » :

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0 commentaires

  1. RAS LE BOL DE CETTE SYNTHESE DE BIG BROTHER ET DU « MEILLEUR DES MONDES »!!!
    Lâchez-moi la grappe! Ma vie privée n’est pas une marchandise, et je n’ai pas besoin de l’opinion des marchands de soupe de tout poil pour prendre mes décisions tout seul et vivre ma vie en adulte!
    REVOLUTION CONTRE CE NOUVEAU TERRORISME!!

  2. Où en sont les initiatives de partage des données des entreprise en France à l’heure actuelle ? Quelles sont les entreprises pionnières dans le domaine ?

  3. @Olivier : La Société Générale permet depuis longtemps à ses clients de télécharger certaines de leurs données bancaires au format CVS, leur permettant d’en faire ce que bon leur semble. Le Crédit Agricole a annoncé des services permettant à ses clients de faire d’autres usages de leurs données. Axa Banque semble s’interroger sur le sujet par l’ouverture d’API permettant de développer de nouveaux services… Mais ce dernier cas ne semble pas permettre aux gens de récupérer leurs données bancaires, c’est plus du développement de services dont il est question que de la réutilisation de données personnelles. La différence est importante.

    Il y a peut-être d’autres acteurs engagés dans cette réflexion. Pour l’instant (comme bien souvent autour du monde), ce sont plutôt les acteurs bancaires qui sont le plus avancés sur ces questions. Dans le cadre du projet MesInfos piloté par la Fing, les partenaires actuels sont Cap Digital, Crédit Coopératif, Google, GS1, Orange, Monoprix, Société Générale. Mais, hormis la Société Générale, ou les initiatives de Google permettant aux internautes de récupérer une partie de leurs données, aucun ne semble encore avoir lancé une initiative de réutilisation des données personnelles de leurs clients. Reste que c’est certainement l’un des buts du groupe de travail… Faire éclore des initiatives.

  4. @Pierre : justement, le principe de la réutilisation des données personnelles que les entreprises détiennent sur vous devrait également vous permettre de leur dire que votre vie privée n’est pas une marchandise… Ce que vous ne pouvez pas leur dire actuellement.

  5. @Hubert Guillaud:
    Certes, vous avez raison. Mais pourrait-on rêver d’un système de « liste rouge » comme il en existe par exemple pour la pub par courrier? (Le système « Robinson – Stop Publicité » fonctionne très bien). A partir du moment où les allergiques viscéraux au flicage marketing – je ne dois pas être le seul, quand même! – auraient une garantie raisonnable de non-exploitation, au moins de non-revente, de leurs données personnelles, la situation serait clarifiée et certainement apaisée.
    Et si au moins on commençait par une véritable application des règles juridiques en matière d’opt-in et d’opt-out……………

  6. @Pierre : même une révolution n’en viendra pas à bout. Seule une apocalypse le pourrait (je ne la souhaite pas plus que ça).
    En tout cas pas le mirage d’un avantage concret dans cet horizon rayonnant. Ce que nous dépenserons moins en consommant mieux, nous l’aurons perdu en temps à éplucher des informations à 99% inutiles.
    La référence à Orwell n’est pas exagérée lorsqu’on entend le novlang « solution » informatique. Mais ce qu’Orwell n’avait pas soupçonné, c’est l’individu auto-flic, auto-aliéné, schyzophrène, auto-rationnel ayant totalement perdu la foi fut-ce en lui-même. Mais, ne sous-estimons pas la volonté et la capacité de l’homme à redevenir maître de son destin.