Réutilisation des données personnelles (4/4) : Quels services pour les données personnelles ?

L’une des questions que pose la restitution des données aux utilisateurs est de savoir ce qu’ils vont pouvoir en faire. Pour les entreprises, la question de la réutilisation est au coeur des questionnements sur le retour sur investissement. Quant aux utilisateurs, beaucoup se demandent encore comment utiliser ces données qui vont leur être rendues.

Qu’allons-nous pouvoir faire des données qui demain, devraient nous être rendues ? Quels outils nous permettront de tirer sens de ces données ? Et plus encore, quels services nous permettront de les réutiliser, de les coupler à d’autres, pour qu’elles nous deviennent utiles ?

Que faire de nos données ?

Force est de constater que pour l’instant peu d’acteurs ont des réponses à ces questions. D’abord, parce que bien souvent, on imagine encore mal, précisément les données auxquels nous pourrons accéder. Il est probable que seules certaines données, les moins « sensibles » pour l’entreprise, celles qui ne correspondent pas à un réel avantage concurrentiel, soient d’abord partagées. Aurons-nous accès à nos relevés de consommations énergétiques ou à nos données de consommation en temps réel ? Que contiennent nos données de santé qui puissent être exploitable ? Que ferons-nous de nos données de consommation provenant des commerçants chez qui nous achetons ? Comment les exploiter, en faire sortir du sens ? Que pourrions-nous faire des résultats scolaires qui nous seront peut-être un jour rendus ? Une fois qu’on aura classé nos données bancaires, comment pourraient-elles nous aider à mieux consommer ou à mieux économiser ?

Ces questions n’ont pas beaucoup de réponses aujourd’hui. Et pourtant, si ces données nous deviennent accessibles, nombre de services de demain seront créés pour nous aider à les exploiter. Et ceux qui arriveront le mieux à les exploiter, à offrir de nouveaux services utiles aux gens, feront certainement partie des services phares que nous utiliserons au quotidien.

Reste qu’on voit bien, que ce soit dans le partage des données personnelles comme dans le partage des données publiques, qu’une des questions de fond demeure l’appropriation. Que faire de ces données récupérées ? Comment les exploiter ? Et comment les exploiter de manière à ce qu’elles me bénéficient à moi, utilisateur de bout de chaine ? Malgré son impératif actuel, faire des économies ne sera pas une motivation suffisante pour exploiter ces données. Il faut aussi que ces données aient une réelle valeur d’usage ; qu’elles permettent de nous simplifier la vie, de faire des projets, qu’elles révèlent nos envies, nos désirs, nos plaisirs… Pas seulement quelles nous apprennent plus de nous.

Il n’y aura pas de MiData sans services

Dans certains domaines, des services commencent à émerger. Dans le champ de la santé, de la consommation et bien sûr des finances personnelles, passant outre la libération de données personnelles elle-même.

On peut déjà se demander si le renseignement de données n’est pas en passe de devenir une fausse formalité. Des systèmes, certes encore un peu contraignants, permettent désormais de scanner ses factures ou ses notes pour les transformer en données et les exploiter rapidement, à l’exemple d’ArchiveMe, d’Expensify ou de Refact développé par les français d’User Studio (vidéo). Scanner ses achats devient toujours plus simple, sans qu’il soit nécessaire de récupérer les données de nos tickets de caisse. Nos téléphones, en se transformant en terminaux de paiements, avec des systèmes tels que Square, pourraient nous permettre demain d’enregistrer l’essentiel de nos dépenses, sans même avoir besoin de passer par la restitution de nos données bancaires ou d’accéder aux dépenses de nos cartes de crédit.

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Image : Depuis une facture PDF de votre opérateur téléphonique, ArchiveMe est capable de reconnaître le montant total pour le transformer en données, via MacGeneration.

Des services de gestion finances personnels très simples, à l’image de Mint, Hello Wallet, Simple, Toshl ou le britannique MoneyDashboard, se multiplient, en promettant de transformer la gestion de ses finances personnelles en jeu. Si la saisie de donnée est facilitée par l’utilisation de nos données bancaires ou de transaction monétaire, ces systèmes demeurent encore proches de Money, le logiciel de gestion financière personnel imaginé par Microsoft il y a longtemps. Pas sûr qu’il parvienne à convaincre au-delà des convaincus. Gérer ses finances avec précision peut permettre de surveiller et contrôler ses dépenses et ses recettes pour les optimiser, mais est-ce un service suffisant pour que tout le monde l’adopte ? Quelles fonctionnalités additionnelles le service va-t-il proposer ? A l’image de BillGuard (vidéo de présentation) qui surveille et vous alerte sur les charges indues de votre carte de crédit.

Dans le domaine de la gestion de ses données personnelles, beaucoup imaginent construire des entrepôts ou des coffres-forts de données, depuis lesquels nous donnerons des autorisations en contexte. En Angleterre, autour du projet MiData, plusieurs sociétés ont annoncé des services en ce sens, mais la plupart sont encore en phase de test, non opérationnel. The Customer’s voice, actuellement en bêta-test, devrait ainsi proposer un entrepôt de données (Personal Data Store), des applications à valeur ajoutée pour l’individu, connectées à cet entrepôt, mais aussi une place de marché sur laquelle les individus pourraient déclarer aux organisations leurs intentions. Un autre service, parmi les plus avancés, est peut-être MyDex, qui permet de récupérer ses données personnelles aisément pour les corriger, ou en faire des usages divers ; MyDex est actuellement lui aussi à l’état de prototype. Avec ces nouveaux services viennent de nouveaux modèles d’affaires, qui peuvent être divers, mais sont surtout encore à imaginer. Pour William Heath, fondateur de MyDex, le principal défi reste dans la nécessité de convaincre les organisations de participer à un tel système, qui est synonyme d’une réelle évolution des mentalités. Parmi les premières à se lancer, selon lui, devraient se trouver des organisations pour lesquelles les données personnelles ne représentent pas un réel avantage compétitif. En somme, quid de la poule ou de l’œuf… dans ce projet où certains demandent d’abord des services pour se rendre compte des usages et bénéfices possibles, et où d’autres ont avant tout besoin d’organisations engagées et de données partagées pour fournir ces services ?

Dans le domaine des entrepôts de données personnel, l’un des projets les plus avancés (américain) semble être Personal. Un service qui permet de gérer très finement les accès à ses données… Mais qui reste fastidieux, car il nécessite à la fois d’entrer ses données et de gérer par soi-même toutes les autorisations et donc tous ses contacts, un par un.

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Image : page d’accueil de Personal.

Dans le domaine de la santé, il n’existe pas vraiment de systèmes qui se proposent d’exploiter la liste de vos achats en pharmacie, la liste de vos consultations médicales, ou celle de vos remboursements de mutuel pour les rendre plus lisible, plus exploitables… Mais nombre de services sont peut-être à trouver dans le croisement de ces données avec les outils provenant du Quantified Self. Ajouter ses données médicamenteuses à celles permettant de surveiller son poids, de documenter sa santé, ou monitorer son activité physique semble offrir des passerelles d’exploitation simples et possibles.

Dans le domaine de la consommation énergétique, tout le monde souhaite nous équiper de tableaux de bord pour surveiller notre consommation. Mais ceux-ci seront-ils suffisants pour nous faire changer de comportements ou ne serviront-ils qu’à alimenter un écran de plus dans nos maisons ? A quels services allons-nous les coupler pour qu’ils prennent sens ? Pour qu’ils soient plus utiles que seulement informatifs ? Pour qu’ils agissent à notre place ou nous aident à agir ?

La valeur sera dans l’utilisation sociale de nos données personnelles

Surtout, les services collaboratifs donnent une autre perspective en terme de bénéfices, que les systèmes unipersonnels n’offraient pas. Reste, bien sûr, que le Graal des services ne résidera pas tant dans l’exploitation personnelle de nos données personnelles, mais bien sûr dans leur exploitation collective, collaborative, avec des services offrant des garanties de confidentialités, tout en permettant d’optimiser les services par le jeu social. Imaginez un service de gestion de vos données financières comme Mint ou Simple, augmenté de fonctionnalités sociales, vous permettant de trouver des gens ayant les mêmes profils financiers que vous, vous permettant de vous liez à des gens qui ont le même type de prêt immobilier que vous pour peut-être le renégocier collectivement. Wesabe, un service de gestion personnel de ses finances qui a depuis fermé, avait ainsi esquissé une première approche de fonctionnalités sociales, expliquait ArsTechnica en 2009. Le site permettait à ses membres de se donner des objectifs et de communiquer avec ceux qui avaient les mêmes objectifs que vous. Des fonctionnalités sociales permettant de comparer ses frais bancaires, ses factures télécoms ou énergétiques… par exemple. Si ce type de service n’existe pas encore, etorro, cette plateforme collaborative de boursicoteurs, offre un bon exemple de comment pourrait s’esquisser une plateforme de mise en relation d’utilisateurs autour de données financières. Bill Shrink est une autre illustration de l’apport des fonctionnalités sociales autour de nos dépenses personnelles. Il permet de surveiller ses dépenses (en essence, en fournisseurs d’accès mobiles, en service de télévision, en carte de crédit) en partant des usages réels des gens pour leur proposer des services mieux adaptés à ceux-ci, et moins chers, comme un outil comparatif partant de vos dépenses réelles.

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Image : page d’accueil de Bill Shrink permettant de faire des comparatifs sociaux de certaines de nos dépenses.

De même dans le domaine de la consommation par exemple : votre profil pourrait révéler que vous êtes finalement un gros consommateur de pain. Pourriez-vous monnayer cette proposition de consommation auprès d’un autre boulanger en l’échange d’une remise ? Pourriez-vous brancher votre liste de consommation en temps réel à un outil capable de vous inciter à consommer plus de légumes ou plus bio, selon des objectifs fixés par vos soins, et vous invitant à réorienter vos choix de courses, pour vous rappeler vos objectifs ? Quel serait l’apport de fonctionnalités sociales pour vous aider à atteindre ces objectifs ou quels objectifs nouveaux l’apport de fonctionnalités sociales pourrait permettre d’imaginer ?

Les idées ne manquent pas – et vous en aurez sans doute d’autres et de meilleurs que nous. Il y a dans l’utilisation de ces données beaucoup de choses à inventer. Et indéniablement, c’est dès à présent qu’il va être utile de se lancer. Ceux qui sauront exploiter les données personnelles libérées seront assurément les prochains Google et Facebook.

Des services plus respectueux de notre confidentialité ?

Reste que ces nouveaux services, contrairement à la première vague de ceux qui ont cherché à exploiter nos données personnelles – devront être exemplaires dans la confidentialité, l’anonymisation et la minimisation des données. Il va falloir enfin penser des fonctionnalités sociales qui ne nous mettent pas nus devant tout le monde. Qui soient respectueuses des autres. Qui ne s’accaparent pas les données indument, mais qui les respectent pour fourbir des services à haute valeur ajoutée. Ces services devront être d’autant plus exemplaires que les données que nous allons leur confier seront plus sensibles. Ce ne seront pas nos photos de vacances, nos humeurs, nos relations sociales ou nos lectures que nous allons leur confier, mais bien des informations plus sensibles et plus personnelles encore (finance, santé, consommation…). Des données personnelles qui mériteront le plus grand respect, qui n’accepteront pas de changements unilatéraux dans les conditions de réutilisation.

Cette nouvelle génération de données personnelles qui s’annonce ne peut être que l’occasion de renforcer notre maîtrise de nos données. Autant dire que face aux CGU léonines des réseaux sociaux que nous utilisons que dénonçait brillamment Lionel Maurel dans une récente présentation, nous ne pouvons aller que vers un progrès radical.

Marine Albarede et Hubert Guillaud

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