Utiliser la biologie synthétique pour comprendre la nature

Un récent article de la Technology Review fait le point sur les recherches actuelles en biologie synthétique et pointe surtout vers des directions prometteuses.

La biologie synthétique est un sujet fascinant mais dont la valeur scientifique est souvent controversée. Grosso modo, cette discipline récente propose de créer ex nihilo des séquences complètes d’ADN et donc, à terme, des créatures originales. L’objectif n’est pas de fabriquer des minotaures ou des sirènes mais surtout de nouvelles bactéries. Le but avoué de bon nombre de chercheurs serait la mise au point d’organismes susceptibles de produire des biocarburants en grande quantité et, on l’espère, moins polluants qu’actuellement.

Au centre de la biosynthèse figure l’idée de code et la métaphore informatique : on peut agir sur l’ADN comme on le ferait sur un programme. En isolant certaines fonctions au sein de la double hélice, on pourrait même générer des « composants de base » d’une toute nouvelle architecture logique. On serait ainsi en mesure de créer des langages de programmation de la vie de « haut niveau », qui permettraient aux ingénieurs du futur de bidouiller l’ADN sans entrer dans les complications chimiques.

Toutefois, c’est justement cette métaphore informatique qui pose problème. De nombreux biologistes traditionnels froncent les sourcils à cette idée. A leurs yeux, le vivant, système complexe par excellence, ne saurait être contrôlé par des méthodes issues de logiques aussi simples. Pas question non plus, selon eux, d’évacuer la réalité des interactions chimiques au profit d’abstractions purement formelles.

Mais même les pionniers de la biologie synthétique sont conscients des limites d’une approche trop simpliste et réductionniste.

Ainsi, James Collins (Wikipedia). Celui-ci est le premier à avoir créé au début des années 2000 un « interrupteur vivant », autrement dit un couplage de deux séquences d’ADN qui s’inhibaient l’une l’autre, ce qui faisait que lorsqu’une des séquences produisait une protéine, elle empêchait l’autre de s’exprimer – et vice versa. Ce système a donné naissance à une multitude de composants vivants plus sophistiqués et au système des biobricks, l’un des projets phares de la biologie synthétique contemporaine.

Pourtant Collins lui-même n’est pas enthousiaste du tour qu’ont pris aujourd’hui les choses : trop tôt, trop vite selon lui.
On s’est précipité pour créer un marché autour d’une technologie qui n’était pas prête, a-t-il expliqué à la Technology Review. « Les entreprises sont en train de siphonner tout l’oxygène de la discipline… Elles absorbent toutes nos semences, c’est à dire les jeunes chercheurs qui devraient rester dans les laboratoires universitaires et travailler à de nouvelles manières de faire du génie génétique ». Et Collins de prédire qu’« un grand nombre de carcasses d’entreprises de biotechnologie joncheront le côté de la route dans les prochaines années ».

Une image d'Existenz, le film de Cronenberg, hanté par la présence des mutations biologiques
Une image d'Existenz, le film de Cronenberg, hanté par la présence des mutations biologiques

Un « retour à la nature », via la génomique

Parmi ces « cadavres », on trouve la première société de George Church, Codon Devices (censée devenir, selon Church, le « Intel de la biotechnologie »), laquelle a dû fermer ses portes en 2004. George Church, on le connait bien et Internet Actu lui a consacré bon nombre de pages. De fait, l’article de la Technology Review tourne autour de la nouvelle start-up de Church, Warp Drive Bio. Celle-ci connaîtra peut-être un sort plus enviable que Codon Devices, ayant attiré l’attention de Sanofi Aventis, et conclu un fructueux partenariat avec cette entreprise française.
Mais l’intérêt est ailleurs. La Technology Review a interrogé le cofondateur de Warp Drive Bio, Gregory Verdine. Ce dernier adopte une nouvelle approche de la biologie de synthèse qui, pour employer l’expression de Church, s’avère « ironique et intéressante ». Plutôt qu’utiliser les outils de la « synbio » afin de créer des organismes à partir de rien, pourquoi ne pas partir dans le sens inverse en essayant de comprendre comment la nature a mis au point des composés tout à fait efficaces ?

En effet, explique Verdine, depuis des années les compagnies pharmaceutiques ont accumulé des millions d’échantillons issus de divers environnements. Leur but était d’y repérer des composés susceptibles de posséder des vertus thérapeutiques. Mais continue-t-il, la quête était longue, et surtout guidée par la chance. Du coup, cette forme de recherche a été largement délaissée.

Selon Verdine, on peut maintenant aller beaucoup plus vite. Au lieu de faire de longues analyses chimiques d’un échantillon, on peut directement chercher l’ADN. « Grâce à la baisse des prix des outils de séquençage, on peut tester l’ADN de tous les microorganismes se trouvant, par exemple, dans une goutte de vase. »

En effet, continue Verdine, la plupart des produits médicinaux rencontrés dans la nature mettent en jeu des groupes de gènes assez similaires. On pourrait donc scanner les échantillons en quête de tels groupes, pour voir s’il est possible de découvrir de nouveaux composés. Restera ensuite à synthétiser ces molécules en utilisant les techniques de l’ingénierie génétique.

« Nous utilisons la génomique et la bioinformatique pour découvrir un groupe de gènes. Mais ce dernier est juste une unité d’information. Ce qui nous intéresse c’est d’obtenir la molécule. La biologie synthétique a pour but d’incorporer ce groupe de gènes dans des usines biosynthétiques, susceptibles de créer la molécule. Si vous n’obtenez pas la molécule, les gènes sont inutiles ».

Que ce soient les méthodes de Verdine, la « machine à accélérer l’évolution » de Church ou l’application des théories de la vie artificielle à la biologie synthétique (comme dans les travaux de Ricard Solé), il semble donc qu’on assiste aujourd’hui à une convergence entre la biologie traditionnelle, respectueuse des systèmes complexes et la méthode plus « informatique » de la biologie synthétique.

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. Une approche neurophysiologique (apprentissage par stabilisation synaptique) était constitutive du « hardware », destinée à rendre les ordinateurs « intelligents », capable d’apprendre. Où en sommes-nous?

    Quant à la sélection/fabrication de bactéries, l’approche « évolution dirigée » consistant à sélectionner les mutants intéressants, mais non sélectionnés (on pense d’ailleurs à l’évolution dirigée provoquée par l’utilisation des antibiotiques…) et une « astuce » pour éviter leur prolifération, consistant à les rendre dépendantes d’une substance n’existant pas dans la nature :

    http://www-dsv.cea.fr/dsv/la-dsv/toute-l-actualite/en-direct-des-labos/a-c-g-evolution-chimique-d-un-genome-bacterien