Comment Wikileaks a explosé en plein vol

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article de Foreign Policy (@ForeignPolicy) en date du 16 août. Il s’intitule « Comment Wikileaks a explosé en vol », on le doit à Joshua Keating (@joshuakeating), et il offre une réflexion intéressante sur ce qui est en train d’arriver à Julian Assange et à Wikileaks, autre feuilleton de cette fin d’été.

« L’histoire de Wikileaks, commence Keating, jadis un conte passionnant sur le lever du secret politique et l’empowerment des activistes en ligne, est aujourd’hui consacrée principalement aux aléas de l’immunité diplomatique, aux relations britannico-équatoriennes et à la législation suédoise concernant le viol. Il y a fort à parier que ce n’est pas le scénario que Julian Assange, qui s’est réfugié depuis plusieurs semaines dans une pièce aveugle de l’Ambassade de l’Equateur à Londres, avait à l’esprit quand il a fondé Wikileaks il y a 6 ans. Alors que Assange a obtenu l’asile de l’Equateur, mais sans moyen de s’y rendre, alors que Wikileaks se débat avec ses problèmes financiers et techniques, ça vaut le coup de se demander comment on est arrivé là. Comment une organisation qui se voulait l’avenir du journalisme se retrouve-t-elle dans un tel soap opera ? Quand on y regarde de près, explique Joshua Keating, plusieurs erreurs tactiques peuvent expliquer cette situation.

freeassange
Image : Manifestation de soutien à Julian Assange devant l’ambassade d’Equateur à Londres, photographiée par Chris Marshall le 27 août 2012.

L’une d’elles est que Wikileaks a accepté d’être associé à un agenda politique particulier : celui d’Assange. Cela concerne aussi la question de l’anti-américanisme. Assange a déclaré qu’il ne considérait pas le site comme antiaméricain et il est vrai que les fuites n’ont pas exclusivement visé les Etats-Unis. Une des premières fuites importantes de Wikileaks concernait le Kenya – et il y a d’autres exemples. Néanmoins, depuis 2010, il est assez difficile de défendre l’idée que Wikileaks est un système de transmission neutre. Presque toutes ses opérations majeures ont visé le gouvernement américain et des entreprises américaines. Même quand il annonce la publication de télégrammes syriens en juillet dernier, Assange est prompt à déclarer que ces documents sont gênants pour la Syrie, mais aussi pour ses alliés. Assange n’a pas accru sa crédibilité avec son talk-show The World Tomorrow, diffusé par RT (une chaîne créée par le gouvernement russe) dans le premier épisode duquel il a réalisé une interview un peu complaisante du leader du Hezbollah Hassan Nasrallah. Par ailleurs, Assange, défenseur de la transparence, se retrouve maintenant en ménage avec Rafael Correa, le président équatorien, qui n’est pas connu pour être un grand défenseur de la liberté de la presse. Le gouvernement américain a sans doute toujours considéré Assange comme une menace, mais il aurait été plus écouté par les Américains critiques du fonctionnement de leur administration s’il n’avait pas tout fait pour passer pour antiaméricain. D’autant qu’après avoir dit détenir des documents compromettants pour le Kremlin, on n’a jamais rien vu sortir, ni sur la Russie, ni sur la Chine.

De toute façon, poursuit Keatin, faire des promesses non tenues et survaloriser ses fuites a toujours été une marque de fabrique du travail d’Assange. Comme dernièrement, les 5 millions de mails de la société Stratfor (Wikipédia), beaucoup moins intéressants, selon Keating, que ce qu’annonçait Assange. De même pour les e-mails syriens qui ont bien montré l’implication de sociétés et d’hommes politiques occidentaux auprès du régime syrien, mais rien de plus que ce que la presse avait déjà révélé par ailleurs.

De manière répétée, Wikileaks s’est aussi montré peu capable de garder le secret. Si Bradley Manning, le soldat américain soupçonné d’être à l’origine de la fuite des télégrammes, a été arrêté et est détenu aujourd’hui, c’est, au tout départ, à cause d’un mail envoyé par Assange dans un mauvais canal (Jean-Marc Manach, rappelle avec raison que ce n’est pas exact, contrairement à ce que dit un peu rapidement Joshua Keating : Manning a été identifié par l’un des premiers donateurs de Wikileaks – NDE). Les fameux télégrammes américains détenus par Wikileaks ont fuité dans un journal norvégien qui n’était pas partenaire. Et d’autres exemples encore… Les défenseurs de Wikileaks accusent souvent les médias de mauvais traitement. C’est vrai dans certains cas, mais Wikielaks a là aussi commis des erreurs en s’aliénant des partenaires comme le Guardian et le NY Times pour des raisons pas toujours de principe (dans le cas du Times, le point de départ est un portrait d’Assagne qu’il a trouvé peu flatteur).

Ainsi, selon Keating, le plus gros problème de Wikileaks, c’est qu’il est associé de trop près à Assange. Une organisation gagne rarement à voir son chef accusé d’agression sexuelle, mais Wikileaks aurait mieux survécu à ces accusations s’il n’était pas son seul visage public – une situation qui est presque totalement du fait d’Assange. « Je suis le coeur et l’âme de cette organisation, son fondateur, son philosophe, son porte-parole, son premier codeur, son organisateur, son financier et tout le reste. Si tu as un problème avec ça, va te faire foutre », a écrit Assange à l’un de ses bénévoles islandais… qui a pris Assange au mot et a quitté l’organisation, comme beaucoup d’autres.

Donc, pour toutes ces raisons, les attentes créées par Wikileaks ont été déçues. Et Wikileaks en tant qu’organisation a été mise à l’écart à cause d’une affaire de justice qui – même si Assange prétend le contraire – a peu à voir avec la mission du site.

Wikileaks aurait-il été plus crédible et fort sans Assange à sa tête ? Nous ne saurons jamais. Mais quelle que soit la manière dont se termine cette histoire de l’Ambassade d’Equateur, les tenants des secrets les plus sensibles du monde se sentent aujourd’hui beaucoup plus tranquilles qu’ils ne l’étaient il y a deux ans. »

Xavier de la Porte

« Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 1er septembre 2012 était consacrée à l’apparition d’une option « informatique et sciences du numérique » en Terminale Scientifique en compagnie de Gilles Dowek, directeur de recherche à l’Inria, qui a participé à la rédaction du programme de cette option, et Alexis Kauffmann (@framaka), enseignant en mathématiques au lycée français de Rome et animateur de Framasoft. »

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0 commentaires

  1. Effectivement, les « secrets les plus sensibles du monde se sentent aujourd’hui beaucoup plus tranquilles qu’ils ne l’étaient il y a deux ans ».
    Mais, est-ce réellement à cause de Julian Assange que Wikileaks a perdu de sa crédibilité ? N’y aurait-il pas également la possibilité d’une campagne de décrédibilisation orchestrée par certains services de renseignements ? (c’est un peu leur métier tout de même).

  2. Étrange analyse… Il faudrait plutôt voir dans tout ceci la déliquescence de l’État-nation: les forces de l’ordre qui restent campées devant l’ambassade d’Equateur pour arrêté quelqu’un pour un acte ridicule (dans sa nature comme dans sa coïncidence chronologique) concernant la Norvège qui vise à l’extradition aux USA… j’y vois surtout la fin de la limitation de l’application du droit au territoire, et donc une révolution cognitive.
    Le fait que la privatisation des services de renseignements, et, en l’occurrence la personnalisation (je n’ose parler d’individualisation : nous y verrons plus clair dans une dizaine d’années à ce sujet) se cherche encore, que Wikileaks disparaisse alors qu’on voit un certain nombre d’initiatives émerger avec des fonctionnements alternatifs mais toujours dans une même dynamique, me porte à croire que la mésaventure d’Assange n’a pas d’importance.
    Ce qui se joue ici c’est la survie de l’État-nation, sa légitimité et sa force matérielle pure. Et il n’a pas encore montré toute sa capacité de nuisance, nous irons sans doute beaucoup plus loin, d’un côté comme de l’autre.

  3. Bien, après coup, on peut toujours dire des choses. Mais faire wikileaks au départ, c’était avoir une détermination folle; aujourd’hui, on peut dire que cette folie est une erreur stratégique, mais sans folie y aurait-il eu wikileaks?

  4. Le Guardian ne dit pas que Manning a été identifié à cause d’un mail d’Assange : Assange avait certes envoyé un mail aux premiers donateurs de WikiLeaks en les mettant tous en copie, suite à quoi Adrian Lamo (l’un d’entre-eux) a voulu tester WikiLeaks en proposant cette liste de donateur comme « fuite », et WikiLeaks la publia.

    C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle Bradley Manning décida de contacter Lamo par la suite, mais aussi et surtout en raison de sa réputation en matière de hacking, et parce qu’il est gay; Lamo certifia à Manning que tout ce qu’il lui dirait resterait confidentiel… avant de le dénoncer aux autorités US. Ce n’est donc pas tant à cause d’une erreur d’Assange que d’un choix de Lamo que Manning se retrouve en prison.

  5. Ce qu’il y a de bien, c’est que ça ne coûte rien de continuer de s’en prendre à un type totalement assiégé par un système tout entier.
    Je décerne donc la palme de la chronique la plus sévèrement burnée de l’année à Xavier de la Porte, qui ne fait que reprendre des « on dit » à propos de l’Equateur, de l’Amérique latine en général, au sujet RT et autres choses du genre.
    Il est étonnant qu’au passif de Assange ne soit pas rappeler l’absence des publications promises au sujet des banques américaines. C’est bête, ça aurait pu être intéressant. Xavier préfère rappeler les promesses sur le terrible Poutine, le seul vrai ennemi de la planète, après Bachar, les chinois et Sadam…

  6. Article superflu sans intéret. Le cas d’Assange et de wikileaks est largement plus complexe que quelques lignes de baratin inutile à plus ou moins charge. Critiquer la neutralité de Wikileaks par du pseudo journalisme est assez pathétique ; et se faire l’écho d’une pareille soupe, c’est peu flatteur pour InternetActu…
    Il y a eu un certain nombre d’analyses nettement plus intéressantes sur la toile Anglophone, c’est dommage d’avoir sélectionné cet article.