Les grandes entreprises seront-elles les garages de l’innovation de demain ?

« Si vous tentez de dresser la liste des grandes entreprises qui ont lancé un changement de paradigme des innovations ces dernières décennies, vous trouverez Apple… et Apple », ironise Anthony Scott (@ScottDAnthony), directeur pour l’Asie et le Pacifique d’Innosight, un cabinet qui conseille les plus grandes entreprises, auteur du Petit livre noir de l’innovation, dans un article intitulé « L’entreprise, le nouveau garage » publié par la Harvard Business Review (@HarvardBiz). La perception populaire veut que la plupart des entreprises sont trop grosses pour produire des innovations qui changent le jeu. Pour cela, il faut soi des entrepreneurs visionnaires à la Gates, Jobs, Zuckerberg, Page et Brin. Soit des petites entreprises agiles adossées à des sociétés de capital-risque. « Pourtant, l’inventivité d’Apple ne doit pas être considérée comme une anomalie », estime Anthony Scott. « Elle indique un changement spectaculaire dans le monde de l’innovation. La révolution initiée par les start-ups et les sociétés de capital-risque a créé les conditions pour que les grandes entreprises aujourd’hui se mettent à libérer l’innovation qu’elles contiennent. »

Trois tendances sont à l’origine de ce changement, estime Anthony Scott. Tout d’abord, l’augmentation des coûts et la diminution de la facilité de l’innovation signifient que les start-ups sont maintenant confrontés aux mêmes pressions à court terme que celles qui ont freiné l’innovation dans les grandes entreprises. C’est-à-dire que dès qu’un jeune entrepreneur connait un peu de succès, il doit se battre contre des dizaines d’imitateurs. Ensuite, les grandes entreprises ont intégré à leurs stratégies les notions d’innovation ouverte, des processus de gestion moins hiérarchisée et ont intégré les comportements entrepreneuriaux à leurs savoir-faire. Enfin, bien que l’innovation a toujours été produite et axée sur le service, il s’agit de plus en plus de créer des modèles d’affaires qui exploitent avant tout les forces uniques de grandes entreprises.

Il est encore tôt pour être définitif, mais pour Anthony Scott, la preuve est irréfutable que nous entrons dans une nouvelle ère d’innovation, dans laquelle des individus dans l’entreprise (qu’il appelle les « catalyseurs ») utilisent les ressources de leurs sociétés (les moyens, la capacité de faire des développements à grande échelle, l’agilité) pour développer des solutions à un niveau mondial que peu de petites sociétés peuvent espérer atteindre. Ces entreprises poussent dans un territoire qui était autrefois le privilège d’entrepreneurs isolés et d’ONG.

Les 4 époques de l’innovation

Pour apprécier ces changements, Anthony Scott dresse le tableau de ce qu’il appelle les 4 époques de l’innovation. La première période d’innovation est celle de l’inventeur solitaire, allant de la presse de Gutenberg à l’ampoule d’Edison, à l’avion des frères Wright voir à la ligne d’assemblage de Ford. Avec le perfectionnement de la chaîne de montage, il y a un siècle, la complexité croissante et le coût de l’innovation, celle-ci est devenue hors de portée des individus au profit de laboratoires privés et de départements de R&D d’entreprises. La plupart des innovations remarquables des 60 années suivantes sont sorties des laboratoires : de DuPont (comme le nylon), Procter & Gamble, Loockheed… La troisième période de l’innovation est née dans les 50-60, quand les entreprises ont commencé à devenir trop grosses et trop bureaucratiques pour explorer les franges de l’innovation. Les innovateurs se sont mis à quitter les grosses entreprises pour essaimer de nouvelles entreprises avec l’aide de nouvelles formes de financements venant du capital risque comme Sequoia Capital (Wikipédia), et ont donné naissance aux Apple, Microsoft, Cisco Systems, Amazon, Facebook ou Google.

« Mais la vie est devenue peu à peu difficile pour ces innovateurs dans les grandes entreprises à mesure que la demande de performance à court terme des marchés a augmenté. La mondialisation a accéléré le rythme du changement. » Au cours des 50 dernières années, l’espérance de vie des entreprises a diminué de 50 %. En 2000 le monopole de Microsoft semblait imprenable, Apple jouait en marge du marché de l’informatique, Zuckerberg était étudiant et Google était encore une technologie à la recherche d’un modèle d’affaires, rappelle le consultant.

Le rythme haletant de l’innovation, de ses conditions et de ses outils nous amène à la quatrième ère de l’innovation, quand les « catalyseurs d’entreprise peuvent avoir un impact transformationnel ».

« Alors que les inventions qui ont marqué les trois premières époques étaient généralement des percées technologiques, cette quatrième s’ouvre sur une transformation des modèles d’affaires ». Une analyse montre que de 1997 à 2007, plus de la moitié des entreprises qui étaient sur la liste des 500 premières entreprises de Fortune et de moins de 25 ans étaient des entreprises qui ont innové par leurs modèles d’affaires, comme Amazon ou Starbucks.

Comment innover dans un environnement de plus en plus concurrentiel ?

Aujourd’hui, il est plus facile que jamais d’innover, ce qui peut suggérer que c’est le moment idéal pour démarrer une entreprise, estime Anthony Scott. Les outils en ligne à faibles coûts couplés à des marchés hyperconnectés permettent de mettre les capacités d’innovation dans les mains du plus grand nombre et aux idées de se propager rapidement. Pour beaucoup de start-ups, 25 000 $ est suffisant pour lancer son business, comme le montre l’incubateur Y Combinator et ses nombreux imitateurs. Ces bailleurs de fonds à un stade précoce ont contribué au lancement de nouvelles entreprises prometteuses comme Dropbox, Airbnb, Xobni, Scribd, Hipmunk et beaucoup d’autres…

Mais étonnement, la facilité et la rapidité d’innovation qui favorisent le développement de petites sociétés, peut aussi se retourner contre elles. « Jusqu’à présent, la concurrence était moins frénétique permettant aux start-ups de disposer de quelques années pour développer un produit difficile à reproduire. Aujourd’hui, les jeunes entreprises peuvent certes jouir d’un succès rapide, mais ont peu de temps avant de devoir lutter contre leurs nombreux imitateurs. » Groupon par exemple a atteint plus rapidement que toute autre société dans l’histoire le milliard de revenus, mais des dizaines de copies sont venus le concurrencer et celles-ci sont capables de résister beaucoup plus longtemps. Groupon peut bien sûr continuer à battre ses challengers, mais l’hypercompétition associée à un raccourcissement des cycles de développement rend plus difficile que jamais la création d’un avantage concurrentiel durable pour les start-ups. « En d’autres termes, les start-ups sont de plus en plus vulnérables aux mêmes pressions du marché des capitaux qui nuisent aux grandes entreprises, et ce, avant même qu’elles aient développé leurs premiers actifs d’entreprises. »

L’innovation dans les grandes entreprises existe

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Image : la page d’accueil de Healthy Heart for all.

Medtronic n’est pas une start-up. Fondée en 1940, la société est aujourd’hui le grand fabricant de dispositifs médicaux avec 16 milliards de dollars de chiffre d’affaires et est surtout connue pour ses stimulateurs et défibrillateurs implantables (pacemakers). Cela n’empêche pas l’entreprise d’innover, notamment avec son programme Healthy Heart for all, un programme qui vise à apporter cette technologie aux Indiens les plus pauvres qui en ont désespérément besoins. Fin 2010, explique Anthony Scott, « j’ai visité l’hôpital de mission à Durgapur, une ville d’un million d’habitants nichée dans le nord-est de l’Inde, près du Bangladesh ». Lors de sa visite, Scott a pu voir l’innovation de Medtronic en action. S’inspirant du système de soin de la cataracte pour des patients à très faibles revenus imaginés par Aravind Eye Care System, Medtronic a utilisé des électrocardiogrammes à bas prix pour faire des tests cardiaques sur des dizaines de patients, en envoyant les résultats pour qu’ils soient lus par des médecins. Pour rendre ses pacemakers plus abordables, Medtronic a travaillé avec un partenaire indien afin d’innover dans le dispositif, mais également dans son mode de financement. Au final, Medtronic a développé un programme sans développement technique particulier, mais il a développé un nouveau modèle d’affaires pour pénétrer un marché qui est longtemps resté hors de portée, sur le modèle de Vodafone (et de son service de paiement mobile en Afrique M-Pesa). Le premier implant pilote du programme Healthy Heart for all est né en septembre 2010. Même si le nombre total de pacemakers vendu via ce programme est encore faible (une cinquantaine seulement), le pilote a montré la promesse du modèle et Medtronic prévoit d’étendre le programme sur toute l’Inde et dans d’autres pays émergents.

Quels seraient les défis auxquels serait confrontée une start-up visant à rivaliser avec Medtronic ? Une start-up pourrait certes trouver un plan de financement et un espace d’expérimentation pour développer ses prototypes, estime Anthony Scott. Mais il lui faudrait bâtir à zéro un nouveau stimulateur cardiaque et obtenir une approbation réglementaire (ce qui prendrait du temps) ou initier un partenariat avec un fabricant établi. Il aurait du mal à rencontrer des médecins locaux, avec lesquels Medtronic a déjà des relations. Medtronic a des capacités, de l’expérience, des relations, de l’expertise et des ressources que les jeunes entrepreneurs n’ont pas toujours.

Pour Anthony Scott, Medtronic est un exemple de la quatrième époque de l’innovation dans laquelle nous entrons. Elle mélange l’approche entrepreneuriale des start-ups financées par le capital-risque avec les capacités uniques des laboratoires privés de la deuxième époque de l’innovation.

Anthony Scott voit des exemples de cette nouvelle ère de l’innovation partout. En 2007, nul n’aurait deviné qui allait devenir le chef de file du marché des livres électroniques, puisque ni Amazon ni Barnes & Noble n’avaient de compétences avec ce type d’appareils. Mais tous deux avaient des canaux de distribution uniques. L’accès à l’innovation extérieure qui caractérisait les jeunes entrepreneurs permet désormais à ces grandes entreprises de développer des dispositifs en moins de 24 mois. Androïd de Google, le système de Telepresence de Cisco, la Nespresso de Nestlé, la Kinect de Microsoft sont autant d’exemples de ce schéma selon lui.

Portraits d’innovateurs en grande entreprise

En apprenant à décentraliser leurs activités stratégiques et leur innovation, en favorisant l’agilité, les grandes entreprises sont devenues de plus en plus accueillantes à ceux qu’Anthony Scott appelle les « catalyseurs » : ces chefs de mission qui pilotent les ressources de l’entreprise en dehors de rails habituels pour relever de nouveaux défis.

Et Scott de donner quatre exemples de catalyseurs de l’innovation dans de grandes entreprises. Healthy Heart de Medtronic n’aurait pas existé sans Keyne Monson. En 2008, la direction internationale de l’entreprise lui a confié la tâche d’imaginer un modèle d’affaires qui augmenterait la présence de Medtronic en Inde. Monson a travaillé avec de nombreux collaborateurs tant interne à l’entreprise qu’externe dès l’origine du processus. Ses premiers efforts ont été soutenus par la division indienne de Medtronic qui a joué un rôle crucial dans la conception, la dotation et l’exécution du pilote et l’extension du programme.

Le système PureITEt Scott d’évoquer également Unilever et son programme Unilever Sustainable Living qui vise à réduire l’impact écologique de l’entreprise de moitié. Yuri Jain, vice-président en charge de la division eau a soutenu le système de filtration PureIT, visant à développer un système de filtrage pour élargir l’accès à l’eau potable. Pureit produit de l’eau potable à très bas coût (1/2 cent le litre) sans énergie électrique ni eau courante. Lancé en Hindoustan en 2004, Unilever s’est appuyé sur sa chaîne d’approvisionnement pour distribuer le produit dans tout le pays. Unilever estime que 35 millions de personnes boivent de l’eau filtrée via Pureit… Et Unilever espère développer par 10 d’ici 2020 l’accès au système de filtration mis au point par ses équipes.

Autre exemple que met en avant Scott, celui de Syngenta. S’inspirant du conditionnement unidose de la grande consommation, le géant de l’agrobusiness s’est intéressé en 2005 aux petites exploitations avec l’aide de Nick Musyoka qui a conçu le programme Uwezo (« capacité » en Swahili) qui fournit aux petits exploitants de petites doses de produits chimiques pour protéger leurs cultures. Le prix n’a pas été suffisant pour attirer les exploitants, il a également fallu s’appuyer sur les détaillants qu’il a fallu former et initier des programmes via téléphones mobiles. Aujourd’hui, Syngenta vend son programme Uwezo au Kenya seulement pour 6,5 millions de dollars et l’entreprise prévoit de l’étendre à d’autres pays africains et asiatiques. Syngenta s’est engagé à soutenir à hauteur de 500 millions de dollars ce programme dans les 10 prochaines années.

Dernier exemple qu’évoque Scott, celui du programme Villes intelligentes d’IBM. En 2008, IBM a lancé un vaste InnovationJam, deux sessions de 72 heures de brainstorming impliquant plus de 150 000 employés, des partenaires commerciaux et des clients pour concevoir la prochaine génération de produits de croissance d’IBM. IBM a investi 100 millions de dollars pour mener 10 expériences à petites échelles et poursuivre les résultats qui ont émergé de ce brainstorming collectif, autour de projets qui portaient sur l’eau, l’énergie, les systèmes de transports ou la santé. Colin Harrison a été choisi pour piloter le projet de simulation d’environnement à risque. A l’origine son projet devait réfléchir à comment améliorer l’efficacité de la circulation des personnes, des véhicules et de l’énergie. L’idée était d’offrir à l’entreprise une vision unifiée pour produire une offre de service adaptée. A l’occasion d’un voyage à Masdar City (Wikipedia) à Abou Dhabi aux Émirats arabes unis en 2008, il a l’idée d’un centre d’opérations intégré pour la ville. C’est c’est ainsi qu’est née l’initiative Villes intelligentes d’IBM (Smarter Cities) : offrir un ensemble d’infrastructures technologiques et de services pour aider les villes à mieux gérer l’énergie, l’eau, la circulation, le stationnement, les transports en commun… Pour donner un exemple récent de l’action d’IBM, Anthony Scott évoque l’exemple de Stockholm qui prévoyait de construire un tunnel d’un milliard de dollars pour soulager la congestion du trafic, mais était ennuyé par le coût de l’opération et la gêne que cette construction allait durablement créer. IBM a proposé à l’aide de capteurs d’agir autrement et d’offrir des incitations aux conducteurs pour prendre des itinéraires de substitutions (voir le récit de Zdnet sur cette initiative). Le plan Smarter Cities a été adpoté pour le 10e du coût du tunnel : il a réduit l’émission de gaz à effet de serre de la ville, les retards des transports publics (de 17 %) et le trafic de plus de 50 %. Depuis IBM développe des projets à Rio, Berlin, Pékin, Dublin, Singapour, New York, Chicago… A Chicago, une application permet de suivre en temps réel les rues dégagées par les chasse-neige l’hiver. Une initiative qui pour Anthony Scott illustre à quel point un « catalyseur » peut exploiter l’innovation pour résoudre de grands problèmes tout en accélérant la croissance des profits. Smarter Planet d’IBM devrait rapporter 10 milliards de dollars de recettes à IBM en 2015.

Les entreprises savent-elles vraiment accueillir les innovateurs ?

« A une autre époque, Monson, Jain, Musyoka et Harrisson auraient été des innovateurs de garage. Sauf que les garages qu’ils ont utilisés étaient parmi les mieux équipés et les mieux dotés de la planète », explique Anthony Scott. « Tous les environnements d’entreprises sont désormais propices à cette nouvelle ère de l’innovation », défend enthousiaste le consultant. Mais, pour que les catalyseurs prospèrent, les entreprises doivent faire preuve d’innovation ouverte, d’approches systémiques, elles doivent être capables de simplifier et décentraliser les mécanismes de décision et être tolérantes aux échecs. Elles ont besoin de pousser l’innovation à une échelle où l’objectif doit conduire le projet. Comme l’explique Daniel Pink dans son livre (Drive : la surprenante vérité sur ce qui nous motive), les gens créatifs sont d’abord motivés par l’autonomie et par le fait que leur travail soit pour eux un but, bien avant les incitations financières.

Pour Anthony Scott, cette nouvelle ère d’innovation va avoir un impact tant sur les financeurs que sur les innovateurs pour qui travailler pour une grande entreprise va redevenir le moyen de maximiser l’impact de leurs innovations, tant que les entreprises elles-mêmes qui doivent mettre en place des environnements pour accueillir ces catalyseurs.

Bien sûr, Anthony Scott livre là un discours terriblement séducteur aux entreprises qu’il conseille, leur redonnant de l’espoir dans leurs capacités d’innovation. Son analyse de l’évolution de l’innovation est assez éloignée de celle d’un Von Hippel par exemple, pour autant, il montre bien que l’innovation n’est pas schématique. Et que l’avantage compétitif de l’innovation ouverte et décentralisée de l’ère des start-ups pourrait bien trouver demain sa limite. Si l’internet a été une plateforme qui rend possible toutes les innovations, force est de constater qu’elles n’ont pas toute le même poids. Que produire des smartphones, des liseuses, des tablettes ou d’autres gadgets est certes possible pour tout le monde, mais cela ne veut pas dire que tout le monde pourra devenir leader de son marché.

Katherine Reynolds Lewis pour Fortune se demande si l’analyse d’Anthony Scott n’évoque pas un mythe : celui de l’employé entrepreneur. Ces catalyseurs qui exploitent les ressources et la puissance d’une grande entreprise sans perdre l’agilité des innovateurs sont-ils si nombreux ? Sont-ils en développement ? Les grandes entreprises savent-elles vraiment les accueillir ? interroge-t-elle de manière très critique.

Une grande partie de la rhétorique qui entoure ce qu’on appelle également les « intrapreneurs » promet plus qu’elle n’offre, estime Len Schlesinger, président de l’école de commerce Babson College. « Certains dirigeants d’entreprise vont jusqu’à dire : « Nous voulons que nos 300 000 employés deviennent des entrepreneurs ». C’est juste complètement absurde. (…) La réalité, c’est que vous demandez aux gens d’afficher un ensemble de comportements dans un environnement qui, par sa nature même, tend à être très hostile à ces activités. » Cultiver une culture entrepreneuriale en entreprise est presque aussi difficile que de réussir à lancer une start-up et survivre au-delà de son quatrième anniversaire, rappelle Katherine Reynolds Lewis. Dans nombre d’entreprises, les employés jouent la carte de la sécurité, car le moindre échec est bien souvent durement sanctionné. « Si les sociétés veulent favoriser l’entrepreneuriat, elles doivent vraiment s’engager à soutenir l’autonomie et soutenir ceux qui essuient des échecs », estime Patrick Supanc, fondateur de Alleyoop, une division indépendante de Pearson, le géant de l’éducation, qui créé des logiciels éducatifs pour adolescents avec des concurrents directs de Pearson. Pour Katherine Reynolds Lewis, cette perspective semble un tel changement culturel, que cela lui parait impossible. « Mais comme de plus en plus de sociétés cherchent de nouvelles idées pour animer leur bureaucratie bornée, il est possible que se perpétue la rhétorique des intrapreneurs. Les investisseurs, les employés et les clients feraient bien de rester sceptiques. »

Certes, concède Anthony Scott dans une interview avec Leslie Kwoh pour le Wall Street Journal, une grande entreprise ne saura jamais innover plus rapidement que le marché, mais elles savent mieux innover. Selon lui la crise financière oblige les grandes entreprises à se réveiller et à agir différemment. Face à une concurrence croissante, elles doivent s’adapter pour assurer leur propre survie. Pour lui, le programme Villes intelligentes d’IBM ou le programme agricole développé par Syngenta au Kenya, mélangent à la fois la puissance et la légèreté. Pour lui, les start-ups doivent arrêter de penser que leur réussite ne peut-être fondée que grâce à la stupidité ou la lenteur des grandes entreprises. « Il serait peut-être temps de commencer à penser à un partenariat avec les grandes entreprises plutôt que de chercher à en être seulement les pirates. »

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Beaucoup de lignes pour pas grand chose je trouve. C’est surtout les prix des brevets, des procès et autres exceptions juridiques au principe de liberté (parfois par l’achat d’une loi ou l’invention d’une autorité au législateur) qui dissuadent les petits acteurs de l’innovation, pour aujourd’hui. Et encore, cette dissuasion semble chère pour des résultats discutables.

    Le soutien à l’autonomie est un grand changement culturel, c’est certain, mais il est bien plus envisageable que la perpétuation du modèle industriel, avec le salariat comme corollaire, qui, faut-il le rappeler, est justement en train de s’écrouler dans les pays développés (c’est en fait devenu justement une mesure du niveau de développement des pays). Les « sociétés » n’ont tout simplement pas le choix, c’est ça ou la guerre qui aboutirait de toutes façons à la même chose.
    Ils vivent dans quel monde ces gens ?

  2. De quelle innovation parle- t-on et pour le bénéfice de qui? les deux exemples qui terminent l’article (smart cities et Syngenta au Kenya) sont intéressantes à ce titre: dans les deux cas, on crée une dépendance durable des clients (villes ou paysans) à des systèmes qui ont en fait des alternatives (car le modèle IBM est un modèle de gouvernement savant qui fait tout reposer sur leurs systèmes d’information et celui de Syngenta provoque l’accoutumance aux pesticides en se présentant comme « à petites doses »). Quand Medtronic investit en Inde, il met en place une stratégie très double versant, puisque ce sont leurs « oeuvres sociales » qui vont leur permettre de prendre pied sur le marché, comme il est dit, pour ensuite le moissonner comme dirait Romney. Mais on oublie que l’innovation contemporaine doit incorporer les valeurs, les contributions. Tous les exemples donnés visent en fait encore une fois à valoriser les grandes entreprises qui veulent devenir leaders de leur marché ( et par définition il y en a très peu! ) alors que cela ne veut rien dire sur le plan de la contribution au bien commun ni même du succès intrinsèque. Ce que dit très bien l’article en revanche c’est que cette mise en évidence des grandes entreprises vient uniquement de la pression des marchés, financiers qui veulent l’innovation sans le risque, et le résultat à court terme, d’où l’appel à de la puissance déjà installée. Mais la mesure du succès étant précisément le succès financier, on tourne en rond, avec comme conséquence évoquée dans l’article la nécessité de valoriser la propriété industrielle contre tous les concurrents et de faire une politique agressive de brevets. Encore une victime de l’Applism… ( de Apple) qui font comme si le monde pouvait être réexpliqué par le succès d’Apple (après le fordisme et le sloanisme)

  3. @Dominique Boullier : je suis tout à fait d’accord sur la critique des exemples, qui illustrent bien la prédation à l’oeuvre derrière les questions d’innovation, comme vous nous l’expliquiez. L’innovation en entreprise le plus souvent ne se préoccupe pas vraiment des biens communs. Au contraire. Comme le disait Daniel Kaplan récemment : La numérisation de l’économie et le modèle de la plateforme redistribue les fonctions économiques : elle tend à découper les chaînes de valeur et favoriser les monopoles. Est-ce à dire que l’open source, le partage et le bien commun doivent être une valeur intrinsèque de l’innovation de demain, plutôt que de bâtir des enclosures ? Je veux bien y souscrire sans grande réserve pour ma part ;-).

  4. coquille : « défibrillateurs implantables (peacemakers) » -> pacemakers – Corrigé, merci. HG.

  5. Très intéressant ! La problématique posée par l’article, entre autres, est celle de l’innovation dans les grandes entreprises. Comment récupérer de l’agilité au sein de structures très structurées, organisées, peu portées à évaluer l’activité autrement qu’en chiffrant à l’avance la marge qui sera faite sur telle ou telle innovation ? Comment faire appréhender l’inconnu, et redonner le gout de l’exploration ?

    Il me semble que « coin » organisationnel mis en place par Pixar, Google ou encore 3M est fondamental : le fait que chaque employé, quel qu’il soit, puisse disposer de temps pour mener à bien des projets hors mission, pour creuser des idées nouvelles, est un passage à mon sens obligé. Quelle que soit la forme que cela peut prendre dans telle ou telle entreprise, dans telle ou telle culture. Cela rejoint pleinement ce que dit Daniel Pink sur la motivation, je trouve.

    Ces projets temps libres, ou pet projects, introduisent de fait du « jeu », dans les deux sens que peut prendre ce terme : un esprit ludique d’exploration, et une souplesse au sens mécanique qui rend possible de la nouveauté.

    merci pour ce compte-rendu très détaillé, qui apporte plein de questions et d’élements de réflexions…

  6. Au passage, la vision des « 4 vagues d’innovation » serait à confronter avec la vision donnée par Blanche Ségrestin et Armand Hatchuel dans leur récent et excellentissime petit livre « Refonder l’entreprise ». Il y a un mouvement de fond, à la fois lié à la crise et au rejet d’un mode de gestion strictement adossé sur la « corporate governance », qui rejoint d’autres préoccupations sociétales (donner du sens, s’épanouir dans son travail, enrichir ses interactions, se sentir utile, etc..). Ce mouvement de fond a déjà conduit à l’émergence de sociétés dont les missions ne sont pas uniquement de faire du profit. Aux USA de nouveaux statuts de société sont apparus, et cela s’articule avec les modifications d’organisations des grandes entreprises par ou pour l’innovation.