Les smartphones ont-ils tué l’ennui ?

La lecture de la semaine provient du site de CNN (@cnntech), on la doit à Doug Gross (@goud_gross), et elle s’intitule « Les smartphones ont-ils tué l’ennui ? Et est-ce là une bonne chose ? »

« Regardez les gens autour de vous dans la queue d’un cinéma ou sur le quai d’une gare », commence Doug Gross. « Il y a de bonnes chances pour qu’une grande partie d’entre eux aient le regard baissé sur l’écran de leur téléphone ou autre tablette, en train de regarder leurs mails ou leurs textos, ou de jouer à un jeu vidéo qui aurait nécessité il y a quelques années un ordinateur fixe ou une console.


Vidéo : le reportage vidéo associé de CNN : un microtrottoir sur les quais du métro de New York.

Grâce aux évolutions récentes de la technologie, la manière dont les gens passent le temps a radicalement changé. Les magazines posés dans les salles d’attente des médecins ne sont guère plus ouverts. Vous n’avez plus un regard pour vos voisins dans une file d’attente. Entre les smartphones, les tablettes et les liseuses, notre société tue chaque seconde d’ennui en un effleurement d’écran. La part de propriétaires de smartphone est en pleine croissance, et près de la moitié d’entre eux disent utiliser leur téléphone pour se distraire quand ils s’ennuient (moitié à laquelle il faudrait ajouter ceux qui, quand ils s’ennuient, se livrent à des activités moins divertissantes comme écrire des textos ou consulter des mails).

Tout cela fait sens, selon les chercheurs. Caresser son téléphone du doigt répond, disent-ils, à un besoin fondamental de l’être humain : tuer l’ennui par tous les moyens possibles. Christophe Lynn (blog, @chris_ly), professeur d’anthropologie à l’Université d’Alabama, compare ce geste au fait de fumer une cigarette. Les deux peuvent être selon lui des « pivots », « des choses qui nous transportent très vite de la monotonie de la vie quotidienne vers un monde de jeu non programmé ». Avec la possibilité qu’ils offrent de jouer, d’écouter de la musique, de regarder des vidéos, d’aller sur les réseaux sociaux et d’envoyer des textos, les smartphones sur-stimulent le désir qu’ont les êtres humains de jouer, dès que leur environnement se ternit, ajoute l’anthropologue. Et il pense que la société contemporaine pourrait encore renforcer ce désir. « Quand vous êtes habitués à une stimulation constante, dès qu’elle vous manque, vous ne savez plus quoi faire de vous-mêmes, ajoute le chercheur. Quand vous êtes habitués à ne plus avoir aucun temps mort, tout vide produit de l’angoisse. Et là, nous avons le smartphone, il est le perpétuel soulagement à nos angoisses. » »

Si nos téléphones sont si efficaces pour répondre à un désir ancestral, est-ce forcément une bonne chose ? se demande le journaliste de CNN.

A Oxford, au Centre de recherche sur les questions sociales (@socialissues), des chercheurs craignent que cela ne le soit pas. Selon eux, remplir toutes les secondes de notre temps en fixant notre téléphone risque de nous priver de la créativité et autres fruits qui, jusqu’ici, ont caractérisé notre confrontation à l’ennui, expliquent-ils dans « Le désir des désirs » :

« La surcharge informationnelle restreint considérablement le temps alloué à la réflexion personnelle, à la pensée, ou simplement à la digression mentale, écrivent les chercheurs anglais. Avec un téléphone portable continuellement allumé et une pléthore de distractions possibles pour l’œil, il est compréhensible que certains trouvent difficile de s’ennuyer de manière introspective. »

Sur cette question, les avis des personnes interrogées par le journaliste de CNN varient. Je vous en livre un plus intéressant que les autres. Une mère de famille admet qu’utiliser son téléphone la distrait parfois de son travail, ou même du visionnage d’un film. Mais, en comparaison des autres moyens de tuer le temps, elle voit là une bonne option. « Je me sens plus productive en lisant des trucs en ligne ou sur les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook qu’en restant assise à regarder la télé, explique-t-elle. »

Je me permets une remarque. Il me semble que c’est accorder beaucoup de crédit aux technos que de penser qu’elles tuent l’ennui, ou avoir une définition restreinte de ce que c’est que l’ennui. Je ne suis pas certain que l’ennui soit éliminé par l’activité. De même qu’on peut s’ennuyer en fumant une cigarette, les recherches menées par Mathieu Triclot (@Mathieu Triclot) sur les gamers tendent à montrer qu’on peut s’ennuyer en jouant (voir notamment Philosophie du jeu vidéo). Il serait même intéressant d’étudier l’ennui dans les réseaux. S’ennuyer sur Twitter, Facebook, ou dans une navigation hasardeuse peut être plus abyssale que rêvasser sur un banc la joue caressée par le soleil d’automne.

Xavier de la Porte

“Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 6 octobre 2012, préparée en partenariat avec rue89, était consacrée aux rapports du journalisme avec les algorithmes à l’occasion des Assises du journalisme en compagnie d’Eric Scherer (@ericscherer), directeur de la prospective et des nouveaux médias à France Télévision et d’Olivier Lecompte (@olivier_ternes), responsable des projets numériques du groupe Sud-Ouest. Enfin, en compagnie de Benoît Thieulin (@thieulin) de la Netscouade, l’émission s’est également intéressée aux pigeons, ces entrepreneurs qui ont fait campagne contre la réforme fiscale proposée par le gouvernement. »

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0 commentaires

  1. Les smartphones n’ont pas tué l’ennui, ils ont permis de le partager avec la planète entière >> Facebook -_-

  2. On est « productif » en apprenant sur FB que Mélanie est enceinte et que Céline a fait un gratin de nouilles? Ou en cliquant sur des pubs???? Faudra m’expliquer, mais vous me direz que c’est toujours mieux que de regarder des tunnels de pubs sur TF1, effectivement.
    Plus sérieusement, je trouve dommage d’utiliser à ce point la technologie à des insignifiances, alors que jamais dans l’histoire nous n’avons eu accès à autant de savoirs, de centres d’intérêts potentiels et de champs de créativité. (Quand j’ai un coup de blues, je vais sur Diaspora regarder les tags #digital art ou #steampunk… et je m’émerveille devant autant de talents).

  3. Certains acteurs de l’industrie du « gaming addictif » ont particulièrement bien compris qu’avec la large adoption des smartphones, les interstices de notre quotidien deviennent un marché extrêmement prometteur… Rendez-vous compte : un possesseur de smartphone utilise en moyenne chaque mois 6 applications; la moitié d’entre elles sont des jeux. Les jeux Angry Birds connaissent un tel succès qu’ils pourraient devenir à terme de sérieux concurrents de Facebook sur l’usage smartphone: en 2011, il y a 3 jeux différents de Angry Birds dans le TOP 10 des applications les plus téléchargées en Europe- toutes applications confondues ( Source: Distrimo). Les Américains y passent 200 fois plus de temps que sur Wikipedia et si l’immense majorité des Américains fait autre chose en même temps qu’ils regardent la TV, cette « autre » activité la plus pratiquée en même temps que la TV est… Angry Birds bien sûr, devant Facebook ( Source: GFK US, Conférence Ubik Paris, juin 2012).
    Ces « hungry birds » ou un autre jeu récemment sorti comme Song Pop – 2ième application la plus téléchargée en Europe ce été, incarnent cette nouvelle génération de jeux qui ne sont pas dépendants de la plateforme Facebook pour exister et sont accessibles simplement sur tous les écrans ( PC, smartphones, tablettes). Il sera donc de plus en plus aisé pour le « casual gamer » de succomber à la tentation de tuer le temps…même quand il n’est pas censé s’ennuyer. Donc si je dois donner mon sentiment : de la même manière que l’adoption des tablette tactiles contribue à l’allongement de l’expérience connectée à l’échelle de journée ( notamment très tard le soir ou très tôt le matin), le couple smartphone-jeux addictifs pourrait convaincre les joueurs de passer de plus en plus de temps à vouloir le tuer, ce temps…

  4. Merci pour cet état des lieux sur cette question intéressante et pour votre point de vue,
    Tout dépend aussi de ce qu’on fait sur son smartphone ; prendre le nouvel obs sur la pile de magazines lorsqu’on s’ennuie dans une salle d’attente, ou consulter l’app. nouvelobs sur son iphone : quelle est la différence ?

    Par contre, entre rêver, laisser son esprit vagabonder et consulter facebook, il y a sans doutes beaucoup plus de différences.
    Et effectivement on peut s’ennuyer sur son smartphone !
    Plus que l’ennui, je pense que ce qui serait intéressant c’est d’étudier l’impact des smartphones sur la rêverie, l’imagination. Là je pense qu’il y a vraiment une transformation….

    Au plaisir,

  5. Cela me fait penser à un texte qui avait été (je crois) relayé ici et qui reprenait « malaise dans la civilisation » de freud : tous les outils dont on dispose font de nous un « Dieu prothétique », en nous permettant de dépasser nos limitations.

    Mais cela ne nous apporte pas le bonheur. Les personnes qui tuent le temps sur leur smartphone ont-elles du désir pour ce qu’elles font ? Les jeux sont basés sur des automatismes et se répètent à l’infini. L’actualité aussi est lue sans plus d’intérêt…

    Qu’est ce que l’ennui ? À la fois une insatisfaction dans ce que l’on fait (souvent rien, mais on peut s’ennuyer dans une activité), mais aussi un refus de changer les choses. C’est l’intersection de ces deux désirs (ou non désirs) qui crée cet état.

    Sur le smartphone, l’ennui est toujours là, il est juste masqué; et devient aussi plus suportable…

  6. Oui mais non. Aujourd’hui c’est le smartphone, hier c’était le journal (ah l’âge d’or de la presse..). Direct Matin rubrique mots croisée / iPhone appli Angry Birds même combat. L’article est intéressant mais vous prenez la mauvaise cible, le coupable n’est pas le smartphone, le coupable est l’ennui même…
    Et puis bon, on dirait une congrégation de personnes s’ennuyant à mourir sur leur smartphones, mais pour ma part, j’ai très souvent fait de belles lectures sur mon 3’5pouces…

  7. Le téléphone a remplacé la clope, et cette dépendance (la même que celle du tabac) a un nom: la NOMOPHOBIE (La peur excessive d’être séparé de son téléphone mobile venant de la contraction de l’expression anglaise no mobile-phone phobia)
    Ma petite illustration à ce sujet :
    http://phila-paname.blogspot.fr/2012/07/jaimerai-bien-etre-nomophobe.html
    et un article interessant à lire sur ce nouveau phénomène :
    http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120410.OBS5801/la-nomophobie-jamais-sans-mon-portable.html