James Bond contre la techno

La lecture de la semaine n’est pas une lecture, mais quelques réflexions sur le dernier épisode de James Bond, réalisé par Sam Mendès, sorti sur les écrans la semaine dernière sous le titre de Skyfall.

La série des James Bond au cinéma pose la question du rapport au temps. Depuis près de 50 ans maintenant, différents acteurs incarnent le même personnage, sans que dans la narration il ne soit signifié qu’un nouveau 007 a succédé au précédent. Autrement dit, James Bond est à la fois un et multiple. Ce qui garantit sa résistance au passage du temps, et donc, au final son immortalité. Ce qui permet aussi que James Bond évolue avec son temps. Le contexte politique évolue, James Bond change d’ennemis et d’alliés. De nouveaux moyens de transport apparaissent, James Bond grimpe dessus et fait des cascades. Les critères de beauté changent, James Bond et les James Bond girls changent de corps en conséquence (il y a loin de Roger Moore à Daniel Craig en matière de muscle, ce dernier épisode s’en régale). Pendant 50, cela a fonctionné à merveille : le Mur de Berlin est tombé, l’Angleterre est devenue une province, le féminisme a remporté quelques victoires, James Bond a traversé toutes les évolutions du monde avec classe et efficacité. Or, la grande réussite de ce dernier épisode est de mettre en scène la confrontation de James Bond à une nouvelle évolution du monde – la technologie – et de poser une question pleine de mélancolie : James Bond est-il adapté à ce Nouveau Monde ? Le film pose la question à plusieurs niveaux : 007 lui-même est fatigué, presque vieillissant ; M, qui dirige le MI6, est remise en cause, on lui reproche de pratiquer le renseignement à l’ancienne, d’appliquer de vieilles méthodes face à des menaces nouvelles ; car le méchant de l’épisode, c’est un hacker, lâché par le MI6 alors qu’il avait piraté le système informatique chinois juste avant la rétrocession de Hong-Kong, capturé et torturé par les Chinois, qui revient pour se venger, ce qu’il fait depuis ses ordinateurs, « just point and click », comme il l’explique à James Bond, dans un hangar désaffecté, rempli simplement de serveurs et de quelques écrans. Quelle est encore l’utilité de James Bond dans un tel contexte ? C’est la question que pose le film.

La réponse est évidemment positive. James Bond terrassera l’ennemi et sauvera encore une fois l’Angleterre. Mais ce qui est intéressant, c’est la manière. D’abord, on adjoint à 007 un nouveau quartier-maître, un nouveau Q. Ce n’est plus le vieil ingénieur échevelé qui lui fournit des gadgets, mais un jeune et joli geek, un programmeur de génie qui n’apporte à Bond presque rien de matériel, mais le suit sur écrans et l’assiste grâce aux réseaux. C’est l’alliance de l’espion à l’ancienne et du geek qui fait merveille, alliance dans une scène assez belle où Q combat un programme protéiforme à grand renfort de ligne de code, mais où c’est James Bond qui, d’un regard, repère une récurrence dans le fatras de signes. Ensuite, James Bond est encore efficace quand il est assez habile pour choisir son terrain. C’est tout le sens de la scène finale où en demandant à Q de manipuler sa trace numérique, 007 mène son ennemi jusqu’à sa maison d’enfance, une vieille demeure perdue dans les terres d’Ecosse, où la seule technologie est un système électrique vacillant, un terrain prototechnologique donc où son savoir-faire traditionnel (vieux fusil et dynamite) vient à bout du génie informatique du grand méchant. La conclusion est rassurante : même avec ses méthodes à l’ancienne, 007 est encore efficace, il est encore en droit d’exercer son métier.

Outre l’habileté et la nouveauté de cette problématique, on notera qu’elle a comme vertu de rassurer le téléspectateur comme moi, et comme beaucoup d’autres, je suppose. Nous tous, qui devons faire face à de nouvelles manières de faire, de nouveaux outils, de nouveaux usages, et qui parfois nous sentons aussi vieux et dépassés. Nous qui n’avons pas toujours l’impression de comprendre ce qui se passe dans notre monde, mais aussi dans nos machines et dans nos environnements. Nous sommes comme James Bond. Comme James Bond, nous sommes les enfants d’un monde ancien qui doivent vivre dans un monde nouveau. Mais comme James Bond, nous ne sommes peut-être pas complètement inutiles. Comme James Bond, nous avons une place dans ce monde. Ainsi donc, au mépris d’une différence de musculature et d’un mode de vie un peu différent, je suis sorti de ce visionnage de Skyfall en m’écriant joyeusement « James Bond, c’est moi ».

Xavier de la Porte

“Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 10 novembre 2012 était consacrée aux aveugles face au numérique en compagnie de Tanguy Lohéac qui tient le blog Accessibilité militante et art (@TanguyLoheac) et de Soufiane el Jamil (@soufian59) qui tient le blog Ma vision des choses.

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0 commentaires

  1. Et comme James Bond, je pense que le pouvoir établit est rassurant.
    Je pense aussi qu’en temps de crise le contrôle démocratique est au mieux superflu, et pire pénalisant. Que dans l’urgence, face à la peur, il nous faut un Directeur. Directeur qui n’a pas a justifier ses choix, qui utilise à sa guise toute une organisation pour accomplir ses caprices.

    Il faudrait être fou pour remettre en cause l’ordre établit par le Directeur. Si quelqu’un le remet en cause, c’est même qu’il doit être fou. Le voilà qui évoque des blessures psychologiques, que l’on est bien obligés de juger légitime. Bon, le mal est fait: il est fou. La pureté du Royaume de sa majesté ne tolère pas les blessés psychologiques, ce sont des faibles. Éliminons les.

    Bref, en plus de la douceur du conservatisme à la papa, j’ai trouvé un peu côté réactionnaire que je trouve dommage de ne pas voir évoqué plus souvent dans les médias.

  2. James Bond est celui qui a pour mission de sauver l’Angleterre (M comme the Queen) et, à travers elle, l’Occident. Traditionnellement, ce sauvetage s’effectue sur un registre de surface, dans l’action anti-terroriste. Ici, nous avons affaire en sous-main à une (ré)assomption culturelle et artistique, comme si l’art et la culture de l’Occident avaient besoin à leur tour d’être sauvés. James Bond s’invite dans la tradition du grand art, et il le fait en se référant aux classiques du cinéma (M. le Maudit), de la peinture (Modigliani, Turner) et de la poésie (Tennyson). La scène la plus belle et la plus significative me semble celle d’un duel qui ressemble à un ballet se déroulant au somment d’une tour, dans un labyrinthe de miroirs, sous l’œil d’un Modigliani dont on craint à tout instant qu’il soit crevé (l’œil, la toile) et qui restera intact. Et le sens (l’enjeu) de l’entreprise est livré par les vers de Tennyson que M avec solennité devant la commission d’enquête. Voir notre m@p > http://www.voixhaute.net/2012/11/tennyson-ulysses.html

  3. Assez d’accord avec l’analyse générale que vous proposez. Skyfall vise d’abord à nous rassurer tous, inquiets que nous sommes devant « de nouvelles manières de faire, de nouveaux outils, de nouveaux usages ». Il le fait, comme le souligne plus haut, Christian Jacomino, avec un certain culot esthétique, compte tenu des contraintes économiques de la franchise 007. Mais il est en définitif plutôt réactionnaire par rapport à ces nouvelles technologies, au sens originel du mot qui désigne celui qui comme disait Marx veut faire tourner la roue de l’histoire à l’envers. Et le signe en est que la seule solution que trouve Bond pour répondre à Silva est le retour, pour ne pas dire la régression, vers les territoires fantasmés de l’enfance. Est-ce vraiment une solution ? De plus le film est contraint par le contrat narratif et économique. Pour que la « licence » fonctionne, Bond doit rester égal à lui-même. La nature conservatrice du personnage refait surface dans le dénouement. Bond renvoie les jeunes Q et Eve à leur ordinateur et à leur bureau. Le lieu central, celui de l’action et de la réalité, reste le sien, homme occidental blanc et d’âge mûr. Et cela ce n’est certainement pas possible. L’individu et la société de ces technologies ne peuvent rester inchangés. Et cela, c’est un vrai défi et une réelle inquiétude …