Surcharge informationnelle : combattre l’irrationalité par l’irrationalité

La lecture de la semaine provient du quotidien britannique The Guardian, on la doit à Oliver Burkeman (blog, @oliverburkeman) qui est le correspondant à New York du journal. Le titre de son papier : « pour lutter contre la surcharge informationnelle, trompez-vous vous-mêmes ».

Gmail, le service mail de Google, a ajouté une nouvelle fonctionnalité du nom de Inbox pause, qui permet quelque chose de très simple : mettre en pause l’arrivée de nouveaux mails. Ce service représente aux yeux de Burkeman une nouvelle phase de la guerre de longue haleine que nous menons contre la surcharge d’information. Prenez en considération cette absurdité, dit le journaliste du Guardian. Inbox pause ne réduit pas la quantité de mails dont nous sommes bombardés. Cela ne nous aide pas non plus à répondre plus vite. De toute façon, il y a déjà une manière idéale de faire une pause dans l’arrivée des mails, manière qui consiste à ne pas ouvrir la boîte pendant plusieurs heures. Ou même de résister à la tentation d’ouvrir les nouveaux messages. Mais notre volonté est trop faible pour cela : il nous faut un bouton pour nous donner l’impression de contrôler le déluge. Bref, Inbox pause est une innovation qui ne répond à aucun besoin rationnel, qui traite les usagers comme des enfants impulsifs. Pour tout adulte discipliné, Inbox pause est une insulte.


Image : e-mail overload par Will Lion.

J’utilise cette fonctionnalité depuis plusieurs semaines, dit Burkeman, et j’adore ça.

40 ans après qu’Avlin Toffler a popularisé le terme de « surcharge infirmationnelle« , nous devons l’admettre : nos efforts pour la combattre ont échoué. A moins d’être radical – se déconnecter complètement par exemple -, les remèdes recommandés ne marchent pas. Prenez la décision de relever vos mails deux fois par jour, et vous trouverez trop de messages qui attendent d’être lus. Faites un régime informationnel, et il terminera comme terminent tous les régimes : vous succomberez et consommerez à nouveau, avec un substrat de culpabilité. Peut-être faut-il repenser tout ça. Le problème n’est pas tant la surdose d’information que l’impression de perdre le contrôle. Pourquoi donc ne pas se concentrer sur les moyens de créer une impression de contrôle – Même si elle consiste, en partie du moins, en un aveuglement ?

Quand Google a créé « Priority Inbox », qui divise les messages reçus en « important » et « ordinaire », j’étais sceptique, explique Burkeman : les systèmes de priorisation consistent principalement à réordonner de manière assez inutile une liste de tâche. Mais mes amis qui ne jurent que par ce système ne l’utilisent pas vraiment pour établir des priorités : ils l’utilisent pour s’ôter toute culpabilité d’ignorer les mails non importants, et pour avoir ainsi l’impression de garder le contrôle. L’application « Boomerang » de Gmail et Outlook, permet de rejeter les messages et de les faire revenir plus tard ; pendant ce temps, les choses se calment, même si la charge en elle-même n’a pas changé. Je fais quelque chose de tout aussi illusoire avec les centaines de pages web que je bookmarke pour les lire après. Avant, cela provoquait en moi une sorte d’angoisse. Aujourd’hui je capture la page dans l’application de prise de note Evernote, je la marque « à lire » et la mets dans un dossier. La plupart du temps, je ne l’ouvre plus jamais. Mais cela fonctionne : j’ai l’impression d’avoir filtré l’information. L’angoisse disparaît. Je contrôle, je suis heureux.

« Tout cela est irrationnel. Mais le fait même d’être stressé par l’information est irrationnel. En théorie, nous pourrions suivre des millions de sources d’information, en pratique, nous le faisons qu’avec un petit nombre, et le choix est assez arbitraire. J’essaie de répondre à tous les mails personnels, mais je ne me soucie pas de répondre à tous les messages personnels sur Twitter. La pile de livres à lire sur mon bureau me jette un regard noir, mais je ne ressens jamais aucune angoisse à l’idée de tout ce que je pourrais lire sur le web si je le voyais. Pourquoi donc ne pas combattre l’irrationalité par l’irrationalité ? Inquiétez-vous moins de réduire l’afflux d’information. Cherchez plutôt des moyens de réduire le stress que procure cet afflux – et si cela signifie se tromper soi-même avec des boutons « pause », des « boomerang » et des trucs comme ça – qu’importe ? Dans la guerre contre la surcharge informationnelle, toutes les armes sont à utiliser. »

Voici pour ce texte d’Oliver Burkeman avec lequel je suis en plein accord. Avec une remarque. Comme on l’a dit déjà ici, notamment avec Anaïs Saint-Jude, la surcharge informationnelle, et l’angoisse qu’elle créé, ne sont pas propres à notre époque. Et donc, les moyens irrationnels d’y remédier ne sont pas non plus tout à fait nouveaux. Que ceux qui ont rempli des dossiers avec des pages de journaux recensant un livre à lire, une exposition à voir, un disque à écouter – et qui ont rangé ces dossiers sans jamais les ouvrir, mais avec un soupir de soulagement, lèvent la main.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 8 décembre 2012 était consacrée au Digital labor, portrait de l’internaute en travailleur exploité qui consiste, à la suite de l’ouvrage de Trebor Scholz Digital Labor The Internet as playground and factory (« Digital labor : Internet comme aire de jeu et usine »), à analyser l’apparition sur les réseaux d’activités qui produisent de la valeur et peuvent s’assimiler à du travail. Un travail contre lequel nous ne sommes pas forcément rémunérés. L’émission rassemblait Yann Moulier-Boutang (@boutangyann), professeur de sciences économiques à l’université de technologie de Compiègne et directeur de la revue Multitudes et Antonio Casilli (@bodyspacesoc) professeur d’humanités numériques à Télécom ParisTech, chercheur associé au Centre Edgar-Morin (EHESS), auteur des Liaisons numériques et directeur du numéro spécial « Cultures du numérique » de la revue Communications.

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires