Les robots domestiques ne sont pas pour demain

La lecture de la semaine provient de l’édition numérique du New Yorker. On la doit à Gary Marcus (@GaryMarcus), qui est professeur de psychologie à la New York University et elle s’intitule « Pourquoi fabriquer des robots est horriblement difficile ? »

« Les robots, tout un coup, font la Une de l’actualité. Mitsubishi vient d’annoncer avoir construit un robot spécialement créé pour nettoyer le réacteur nucléaire de Fukushima ; la Nasa travaille sur un homme à tout faire automatique adéquat aux travaux dans l’espace. Les deux dernières semaines ont vu paraître un nouveau guide pour robots sur iPad (où l’on trouve 36 robots provenant de 19 pays) et un investissement dans un site web baptisé RobotAppStore, sur lequel vous pouvez télécharger des applications pour Roomba, le robot aspirateur. Romo, l’un des derniers hits de Kickstarter, prévu pour sortir en mars 2013, est un tout petit robot qui utilise un iPhone comme cerveau électronique.

Robot App Store - Apps For Every Robot!

C’est quasiment la première fois que quelqu’un se lance sur le marché de la robotique de consommation courante. Il y a eu l’exemple de Nolan Bushnell, le fondateur d’Atari, qui s’y est essayé au début des années 80 avec une société du nom d’Androbot. Il a investi, et au final perdu, 33 millions de dollars de sa propre poche. 30 ans plus tard, les ordinateurs vont beaucoup plus vite, mais les robots semblent toujours aussi primitifs. Si vous allez dans un grand magasin, les seuls robots que vous risquez de trouver sont des jouets pour enfants ou des aspirateurs autopropulsés, pas des aides multitâches suffisamment adaptables pour changer des couches, tenir conversation ou préparer un dîner.

Les deux plus grands défis auxquels se confronte la création de tels robots sont, et ont toujours été, le hardware et le software. Du côté hardware, il existe aujourd’hui beaucoup de nouveaux robots qui peuvent faire des choses incroyablement cool. Un robot court plus vite qu’un homme, un autre danse le Gangnam Style, un autre, PR 2, plie les serviettes et va vous chercher une bière dans le frigo

Le problème c’est que, pour le moment, chaque nouveau robot donne l’impression de prouver un concept. Ceux qui sont rapides et puissants physiquement, comme Alphadog ou Petman sont encore dépendants de vérins hydrauliques actionnés par des pompes et des moteurs à essence, ils fonctionnent bien dans un laboratoire, mais vous n’en voudriez pas pour s’ébattre dans votre maison. Les autres, comme Baxter et PR2 sont capables de mouvements tout à fait sophistiqués, mais encore trop lents pour être utiles à domicile. PR2 met 5mn pour vous attraper votre bière.

Les processeurs d’ordinateurs continuent d’aller de plus en plus vite – doublant presque tous les 18 mois, selon la célèbre loi de Moore – et la mémoire coûte de moins en moins cher. Mais les moteurs et les actionneurs qui font bouger les robots ne s’améliorent pas aussi vite. Et il en va de même pour les technologies reliées à l’énergie, problème clé, qui progressent vite, mais pas au rythme de la loi de Moore. Erico Guizzo (@ericoguizzo), chargé de la robotique à IEEE Spectrum sur le blog Automaton explique : « Beaucoup de gens ont travaillé pendant des décennies sur les robots humanoïdes, mais les moteurs électriques nécessaires pour diriger les bras et les jambes du robot sont trop gros, trop lourds et trop lents. Les robots humanoïdes les plus avancés aujourd’hui sont encore d’énormes morceaux de métal trop peu sûrs pour être mis au milieu de gens. »

Comme Rodney Books, le fondateur de Rethink Robotics, l’expliquait à l’auteur, tout le problème est la différence entre l’information et la physique : « Si vous voulez utiliser un tas de sable bleu pour représenter un 0, et un tas de sable rouge pour représenter un 1, vous pouvez diminuer de moitié chaque tas, vous aurez la même information. Et vous pouvez encore avoir la même information avec un seul grain de sable de chaque tas. C’est ce qui s’est passé avec les ordinateurs, et c’est pourquoi ils sont toujours plus petits. Mais les lois de la masse et du mouvement ne sont pas les mêmes que les lois de l’information. Si vous bougez un bras avec la moitié de la force, vous n’obtenez que la moitié du résultat, ce qui signifie, par exemple, que vous ne pouvez pas miniaturiser un bras de robot et vous attendre à ce qu’il soulève des objets aussi lourds qu’avant. »

En même temps, que le robot ressemble à un être humain ou à un palet de hockey, son intelligence dépend du logiciel implémenté. Et l’intelligence artificielle est encore un work-in-progress, aucune machine n’approchant la souplesse de l’esprit humain. On ne manque pas de stratégies – de la simulation du cerveau biologique au deep learning, en passant par les techniques plus anciennes tirées de l’intelligence artificielle classique -, mais il n’existe toujours pas de machine assez adaptable pour se débrouiller dans le monde réel. Les meilleurs systèmes de vision automatique, par exemple, fonctionnent beaucoup mieux avec des objets isolés qu’avec des scènes complexes impliquant plusieurs objets ; un robot peut facilement apprendre à faire la différence entre une personne et un ballon de basket, mais c’est beaucoup plus compliqué pour lui d’apprendre pourquoi les gens se passent le ballon d’une manière et pas d’une autre. La reconnaissance visuelle d’objets complexes, et qui changent de forme, comme des spaghettis une fois cuits ou une main humaine qui se ferme, représente un défi terrible. Quant à trouver une manière fiable d’implémenter le sens commun dans un robot on en est encore plus loin.

Dans presque tout robot jamais construit, le défi principal est la généralisation, et le fait de sortir le robot du laboratoire pour le transporter dans le monde réel. C’est une chose de faire en sorte qu’un robot plie une serviette colorée dans une pièce vide ; c’est autre chose qu’il y parvienne dans un appartement en désordre, au milieu de nombreuses sollicitations visuelles qu’il ne peut pas tout analyser. De la même manière, la démo du robot qui court plus vite qu’un homme est étonnante, mais elle s’effectue sur un tapis roulant plat et horizontal, pas sur un terrain naturel.

Chaque jour ou presque, d’importantes avancées d’ordre incrémentales sont réalisées en robotique, et parfois, de vraies percées, comme avec la Kinnect Sensor 3D de Microsoft, qui rend possible la vision 3D en intérieur pour les jeux vidéo. Et une des plus importantes entreprises de Robotique, Willow Garage a récemment mis en open source la plus grande part de ses logiciels, ce qui signifie que de jeunes hackers, partout dans le monde, n’auront pas à réinventer la roue à chaque fois qu’ils créent un nouveau robot. Mais avant que nous soyons assistés au quotidien dans notre quotidien, la route est encore longue et semée d’embûches. »

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 29 décembre 2012 était consacrée au livre Hackers : bâtisseurs depuis 1959 publié chez Owni éditions en compagnie de ses auteurs, les journalistes Sabine Blanc (@sabineblanc) et Ophelia Noor (@noorchandler).

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0 commentaires

  1. C’est très intéressant, merci !

    Je suis soulagé, les droïdes ne sont pas pour demain.
    Je pense que c’est une bonne chose, d’une part parce que tout ceux qui cherchent une activité n’en ont pas (bien que ce point de vue soit relatif, une société remplie de robots pourrait tout à fait générer un important besoin de main-d’œuvres), et d’autre part je ne suis pas convaincu que cela ne génère pas des comportements sociopathes dont on pourrait aisément s’affranchir pour le moment.

    En d’autres termes, c’est la pensée que me venait ce matin, si vous me le permettez, s’il reste des progrès à accomplir dans ce domaine de recherche, il reste également beaucoup à faire entre nous, humains, condition initiale sans doute d’une réussite ultérieure dans quelque domaine que ce soit.

  2. Parmi tous les obstacles soulevés dans l’article, le plus important, parce que je le pense insurmontable, c’est la capacité d’analyse d’une scène de la vie courante par un robot, ou tout autre machine informatisée. En effet ce qui nous permet de comprendre une scène (nous les humains) c’est le sens qu’elle a. Or ce sens est inaccessible aux machines car il implique le mémorisation et la mobilisation non seulement de concepts et de règle mais aussi d’imagination pour appliquer les bonnes règles aux bons objets et de repérer les bons objets auxquels une règle peut être appliquée de manière adéquate. Le tout dans un contexte qui n’est PAS défini dans la scène.

  3. Article interessant, merci!

    Juste un petit detail dans la version du New Yorker il est fait reference a la « so-called Moore’s law » qui ici est traduite par « celebre loi de Moore ». Dans la mesure ou la conjecture de Moore n’a rien d’une loi (on n’arrive deja plus a la suivre) je trouve surprenant que le traducteur ai decide d’enleve ce detail qui donne de la credibilite a l’argumentation.

    Encore merci pour l’article.

  4. Excellent article, merci.
    J’ai pré-commandé un ROMO car j’ai envie de toucher du doigt à la robotique d’aujourd’hui, mais j’ai bien conscience qu’elle ne nous offre encore que des jouets ou assimilés… Et je mets NAO dans le même panier!
    Pour moi le robot humanoïde et capable de tâches généralistes n’existera probablement jamais. Le robot spécialisé est la voie la plus sûre…
    N’oublions pas que nous sommes le fruit de millions d’années d’évolution, que notre cerveau et notre système moteur sont des merveilles que la technique n’arrivera pas à reproduire en quelques décennies (même en s’appuyant sur le biomimétisme).
    Avez-vous eu la chance d’observer un enfant pendant quelques années apprendre à devenir un petit humain utile? C’est faisable mais que c’est laborieux et long!
    Bilan : Continuons à jouer, ça ne nous rendra que meilleurs !

  5. « Parmi tous les obstacles soulevés dans l’article, le plus important, parce que je le pense insurmontable, c’est la capacité d’analyse d’une scène de la vie courante par un robot, ou tout autre machine informatisée. »

    L’obstacle soulevé n’est-il pas pas avant tout la question de la vitesse du traitement d’une grande quantité d’informations? Si tel est le cas, ce n’est qu’un obstacle temporaire amha.

    « Je suis soulagé, les droïdes ne sont pas pour demain. »

    Les robots humains peuvent ainsi, dans leur grande majorité, continuer à travailler comme des robots. oh, wait…

    À part ça, je regrette toujours que tant d’énergie soit dépensée sur les robots humanoides (bipèdes) ; je peux comprendre que ce soit un défi excitant, mais n’est-ce pas plus la « mécanique » qui progresse ainsi que la robotique? Les 2 sont certes liés, mais la mécanique ne réprésente qu’une petite partie du problème de la robotique. Ça permet peut-etre de patienter le temps qu’on ait les moyens technologiques de rendre les robots plus autonomes, bref de pouvoir en faire autre chose que des armes ou des jouets (ce qui est un peu la meme chose mais pour des publics différents, certes).