Kramer.com contre Kramer.com

La lecture de la semaine provient des pages « Mode et style » du New York Times. On le doit à Pamela Paul, et il porte le joli titre de Kramer.com vs Kramer.com. Vous aurez immédiatement saisi la référence au film.

« En général, commence Pamela Paul, les couples divorcés préfèreraient ne plus se voir. Jamais. Mais quand vous partagez la garde de vos enfants, vous avez à subir les face-à-face à l’occasion des continuelles allées et venues. Pensez aux discussions houleuses au sujet des vacances, des fêtes d’anniversaire où il faut emmener un enfant, des oublis de cahiers chez l’un ou l’autre parent. Des contretemps désagréables qui prennent des proportions diaboliques quand Maman, par exemple, décide de cuisiner kasher alors que Papa sert des côtes de porc… Même si la coordination entre parents divorcés fonctionne bien, difficile d’éviter les coups de fil en larme, les paroles désagréables pendant les transferts, ou les piques sur l’argent lancées pendant le baiser sur le front des enfants.

Sauf, bien sûr, si tout cela a lieu à distance. De nos jours, la froide distance induite par la technologie aide à tempérer les échanges chargés d’émotion entre parents séparés. Et, selon les avocats spécialisés en droit des familles et les parents concernés, régler les détails via la technologie est, pour une bonne part, un progrès conséquent.

Image extraite du film Kramer contre Kramer
Image : image extraite du film Kramer contre Kramer de Robert Benton, d’après le roman d’Avery Corman.

C’est la garde partagée – à distance. Et cela fait une grande différence. Et la journaliste de citer le témoignage d’une femme séparée de son ami quand leur fille avait 8 mois, elle a aujourd’hui 2 ans. Cette femme explique que quand elle doit discuter organisation en face à face avec le père de sa fille, ils se disputent inévitablement, donc, elle passe par le mail. Tout ce qui concerne la répartition du temps, les transferts, les jours où l’enfant est malade, tout ça passe par l’électronique. Ca permet d’éviter les discussions tendues devant l’enfant.

Aucune surprise, note Pamela Paul, à ce que, après le divorce, vous ayez des désaccords avec quelqu’un avec qui vous ne vous entendiez pas assez bien pour rester marié. Et de citer un spécialiste du droit des familles qui explique que parfois, des gens ne veulent plus parler à leur ex parce que le simple ton sa voix les insupporte : « Mais ils peuvent s’écrire par mail, ajoute ce juriste, ils peuvent partager un agenda en ligne. Ils peuvent utiliser beaucoup de ressources de l’Internet. Il existe même des applications pour la gestion du divorce. »

A eux seuls, reprend Pamela Paul, le mail et le texto ont presque révolutionné les relations familiales post-divorce. Et la journaliste de citer plusieurs témoignages allant dans ce sens. Celui notamment d’un couple divorcé qui, quand une situation pose problème, trouve un arrangement par mail, puis inscrit le point d’accord dans un agenda partagé sur Google. Plus de dispute. Plus de malentendus. Tout est inscrit et consultable à n’importe quel moment par les deux parents.

De tels arrangements, précise la journaliste, sont de plus en plus nécessaires. A la différence des années 1970, époque de Kramer contre Kramer, où les mères obtenaient la garde des enfants presque par défaut, les divorces d’aujourd’hui engendrent des familles binucléaires de plus en plus égalitaires. La garde partagée est presque devenue la norme.

L’organisation et la coordination entre parents deviennent une priorité. Et les parents ne sont pas les seuls intéressés par le recours à la technologie pour aider à cette coordination. La technologie est devenue d’un usage si commun dans les arrangements post-divorce qu’elle fait désormais formellement partie du processus légal, une évolution approuvée par les juges et les avocats. De nombreux jugements de garde partagée stipulent désormais des sessions Skype entre les enfants et le parent absent. « Tout cela est exposé en détail, explique un avocat, votre téléphone doit être accessible à certaines heures et si vous ne respectez pas les règles, vous pouvez perdre la garde. » Les parents, ajoute Pamela Paul, doivent souvent acheter un téléphone portable à leurs enfants, et des heures et des fréquences d’appel sont fixées. Ainsi, l’un ou l’autre parent ne peut pas faire barrage dans la communication avec l’autre parent. Quand les relations se détériorent au point qu’il faut un nouveau jugement, les juges exigent de plus en plus souvent que les parents règlent leur différent grâce à la technologie. Une nouvelle catégorie d’outils en ligne a été spécialement conçue pour permettre aux parents de s’organiser à distance. Un service du nom de Our Family Wisard permet aux avocats de contrôler les échanges de mail entre parents pour s’assurer qu’ils se répondent dans les temps. Les parents peuvent créer un carnet partagé des dépenses et recevoir automatiquement des notifications et des rappels de leurs obligations. Tout ceci fonctionne bien à condition que les parents l’utilisent tous les deux. Si ce n’est pas le cas, on retourne devant le juge. Ces outils et services numériques d’organisation de la garde sont considérés comme l’ultime recours, quand tout le reste a échoué. Mais Pamela Paul rapporte plusieurs témoignages expliquant que dans le cas de séparations très conflictuelles, les parents ne communiqueraient plus si ces outils n’existaient pas. Par ailleurs, le fait que les discussions aient lieu par écrit permet de garder des traces, qui peuvent par la suite devenir des preuves.

Néanmoins, précise la journaliste, quiconque s’étant déjà disputé par mail le sait, le clavier n’empêche pas le message d’être irritant. L’humour, l’ironie, et même la gentillesse sincère peuvent s’évaporer dans le nuage. Toutes les nuances ne passent pas dans le texte tapé. Et puis, il arrive que la simple apparition du message suffise à blesser. Existe-t-il une technologie qui puisse résoudre ce problème ? »

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 5 janvier 2013 était consacrée à L’homme simplifié en compagnie de son auteur Jean-Michel Besnier, philosophe, professeur à Sciences-Po Paris et à la Sorbonne où il est titulaire de la chaire des technologies de l’information et la communication.

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0 commentaires

  1. Intéressant toutefois la conclusion glisse naïvement sur un côté sombre de cette nouvelle dimension numérique des relations post-divorces, le maintien d’intimité communicationnelle plus forte.

    >> Et puis, il arrive que la simple apparition du message suffise à blesser.
    >> Existe-t-il une technologie qui puisse résoudre ce problème ?
    C’est bien pire à l’ère numérique où les messages se sont multipliés. Une séparation est bien souvent souhaitée par un des deux parents contre la volonté de l’autre. La rupture était plus sèche avant l’ère numérique, en raisons des contacts moins fréquents mais aussi plus affirmée. Cette continuité partielle n’est pas forcément un mal en particulier pour d’éventuels enfants communs, mais peut devenir un souci important et peut participer aussi de la difficulté à « tourner la page » pour les ex-conjoints.

    L’ère numérique offre ainsi la possibilité de communiquer plus facilement notamment par message électronique mais aussi de sur-communiquer et pour certains de rester de manière non-désirée et excessive dans la sphère intime de l’autre, avec même une déviation possible, le harcèlement numérique, dont il est d’autant plus difficile de se prémunir que dans des situations de garde partagée, le contact ne peut être rompu. D’un point de vue informationnel il y aussi une continuité après la rupture ; le contact reste dans le carnet d’adresse, les signaux de notification sont les mêmes, la présence peur retser importante ans la liste des messages. La facilité de communiquer a pour pendant la difficulté de protéger sa sphère informationnelle.

    C’est aussi la difficulté de rompre qui prend une nouvelle forme à l’ère du numérique.

  2. Beau texte ; plus intéressant que votre dernier invité – le philosophe de Science Po qui racontait n’importe quoi avec une mauvaise foi évidente.